L’épisode que je voudrais vous raconter concerne la communication en entreprise et s’est déroulé pendant ma carrière à la SwissRe, soit la Compagnie Suisse de Réassurance, Zurich. La branche commerciale de cette multinationale est – comme son nom l’indique – la réassurance, soit « l’assurance des compagnies d’assurances ». On peut comprendre l’importance d’une telle institution lorsque l’on pense à la garantie d’un avion géant telle que les gros transporteurs. Une seule compagnie d’assurances ne dispose pas de suffisamment de ressources pour « couvrir », comme on dit, le risque pour de tels engins. Avec le temps, un système perfectionné d’assurances croisées s’est mis en place au niveau mondial. Il y a un premier niveau, la coassurance, où plusieurs assureurs partagent les capitaux à assurer horizontalement, et un deuxième niveau, la réassurance (notre sujet), où chaque assureur réassure sa tranche auprès de réassureurs différents. L’émergence des moyens de communication toujours plus performants a facilité et encouragé ce partage de couverture au niveau international. On cite souvent le « Lloyds » britannique comme exemple de ce réseau, mais en fait, chaque pays est à même d’y apporter sa contribution. En ce qui concerne la Suisse, 9/10e de son chiffre d’affaires quasiment sont réalisés hors de la Confédération helvétique.

Je travaillais dans le département d’acceptations individuelles (dans le jargon « facultatives »), des branches responsabilité civile accidents automobiles. Un collègue s’était spécialisé dans le domaine géographique de l’Amérique latine. Ce collègue, un Bernois qui avait appris l’espagnol, s’occupait de ces assurances et réassurances de façon indépendante. Dans sa modestie, il parlait avec affection de son « petit kiosque », puisqu’il avait des rapports directs avec ses clients, au-delà des montagnes et des océans. Son bureau, qu’il occupait soit seul soit avec un assistant si besoin était, avait toute la documentation nécessaire. Pas mesquin, les dossiers étaient dans des tiroirs non fermés à clé ou des étagères ouvertes. En effet, les absences étaient gérées par une organisation stricte de remplacements, puisque le client est roi. On ne pouvait pas le laisser lanterner quand son correspondant attitré n’était pas atteignable ! C’est ainsi qu’un jour, un télex (les courriels n’étaient pas encore très courants) est arrivé apportant une modification à une proposition en cours. En un rien de temps, le dossier fut mis à la disposition du remplaçant, qui retrouva la correspondance précédente, et découvrit… que tous les travaux préparatoires avaient été rédigés en sténographie ! Les chiffres, eux, étaient bien identifiables ; les diagrammes, lisibles ; les couleurs, reconnaissables – mais que dire des prises de position, des commentaires, des suggestions ? Il a fallu toute la science et la diligence du remplaçant, aidé par ses collègues et sa connaissance du contexte, pour fournir une réponse adéquate. En matière de communication, la stratégie du « petit kiosque » résiste mal à la globalisation de l’économie.

Michel Cohen (H.64)

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