Aujourd’hui à la tête de sa propre maison de porcelaine Rushanming, Keming Li (EMAC 2023) a grandi dans une famille détentrice d’un savoir faire oublié pendant plus de 800 ans : la porcelaine Ru. Il a commencé par fuir cet héritage, avant de le faire prospérer..

 

Keming Li porte en lui un héritage quasi-millénaire. Originaire de Ruzhou, dans la province du Hénan, à l’ouest de la Chine, cet entrepreneur et designer de profession est né dans une famille de céramiste maîtrisant l’art de la porcelaine Ru. Considéré comme un trésor national chinois, cet artisanat n’a existé que pendant une courte période de la dynastie des Song (960-1127). Simples, élégants, ces ouvrages sont d’un bleu-vert particulier, désigné par le mot « Tianqing » en Chinois. « C’est le bleu du ciel après le passage de la pluie », décrit poétiquement Keming Li.

Un art longtemps déclaré perdu. Les pièces d’époque sont d’une extrême rareté – moins d’une centaine. Après plusieurs tentatives de reconstitution, c’est à partir de 1949, sous la République Populaire de Chine qui souhaitât remettre l’artisanat chinois sur le devant de la scène, que les fours céramiques Ru firent leur grand retour.

Un four céramique Ru, Rhuzou, province du Henan, Chine.

« Ma famille est impliquée dans cette industrie depuis mon enfance, dit-il. C’était un environnement familier. » Mais comment s’imaginer un futur dans un secteur si traditionnel ? Lui qui grandit au milieu des fours à porcelaine ne peut se projeter. Il part de sa province natale pour étudier le design à Wuhan et prend un poste à Pékin dans une agence d’architecture d’intérieur en 2012.

En 2015, il est amené à travailler sur l’annexe de l’ambassade américaine dans la capitale chinoise, où il doit notamment intégrer des ornements chinois similaires à ceux de la Cité Interdite. « Certains sont typiques de la dynastie des Qing, de celle des Tang. C’est là que je me suis rendu compte de la richesse du patrimoine de mon pays et de ma région. », explique-t-il. Son équipe doit, entre autres, utiliser la bien familière porcelaine Ru.

Keming décide alors de passer un diplôme d’art céramique aux Beaux-Arts de Pékin pour renouer avec l’artisanat familial, avant de revêtir sa casquette d’entrepreneur et de se pencher sur le marché contemporain de la porcelaine Ru. « Je pensais que nous pouvions essayer de transformer les objets de la dynastie Song en objets utilisables au quotidien. » Pourquoi produire des bols à pinceau si on n’écrit plus à l’encre de Chine ?  « Les objets de la cour étaient destinés à servir les besoins de l’époque et de la société de l’époque des Song. J’ai essayé de moderniser les choses. »

Avec sa marque Rushanming, il multiplie les partenariats, avec une marque de vin local sur le design de bouteilles par exemple, lance certaines collections via le financement participatif et entérine sa présence sur internet. Aujourd’hui, il incarne la troisième génération du renouveau de la porcelaine Ru.

Vases, tasses et théières en porcelaine Ru ©Rushanming

En 2023, il est intégré à la première cohorte du programme EMAC (Excecutive Media, Arts and Creation) entre HEC et l’université de Tsinghua. « En tant que marque artisanale chinoise et héritier d’un artisanat, j’étais très intéressé par ce programme. » En France, il rend visite à plusieurs maisons françaises de renom spécialisée dans la porcelaine de Limoges, comme Bernardaud, ou encore la Maison Louis Vuitton. « Je voulais comprendre comment ces entreprises ont pu se développer au fil des siècles, transmettre leur savoir-faire de génération en génération, et rester dynamique aujourd’hui. »

Son entreprise compte 28 employés et produit entre 60 000 et 80 000 pièces par an. La porcelaine de Keming Li est utilisée comme cadeau diplomatique, notamment lors de visites de chefs d’États étrangers en Chine. De son côté, il souhaite encourager la coopération interculturelle dans son industrie et faire connaître l’histoire de la société chinoise à travers les traditions artistiques de son pays. Certaines de ses pièces seront d’ailleurs visibles cet été à Paris, à l’occasion des Jeux Olympiques 2024.

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