Comment en est-on venu à une telle crise ?

Les premiers jours de janvier, la population de l’ouest du Kazakhstan, où l’industrie pétrolière a bâti son empire, est descendue dans la rue. Les gens étaient mécontents de l’augmentation drastique des prix du GPL [gaz de pétrole liquéfié]. La grogne a rapidement gagné l’ensemble du pays. Bien vite, les motifs de contestation se sont élargis. Les manifestants en voulaient surtout à cette élite qui vit dans l’opulence, tandis que le reste de la population kazakh est très pauvre. L’une des principales revendications était la destitution de l’ancien Président Noursoultan Nazarbaïev qui, même s’il n’est plus au pouvoir, dirige encore en pratique le pays. C’étaient des manifestations pacifiques, jusqu’à ce que la situation prenne un tour imprévu, avec des groupes armés se joignant aux cortèges, cassant les vitrines, pillant, attaquant les commissariats de police et même les armureries. Et la réponse extrêmement violente de la part des forces de l’ordre qui a suivi. L’état d’urgence décrété dans tout le pays, les gens avaient ordre de rester chez eux. C’était dangereux dehors. Des centaines de civils ont été blessés ou tués par ces groupes armés ou par les forces militaires qui essayaient de reprendre le contrôle. Puis les moyens de communication ont été coupés. C’était très difficile d’obtenir des informations. Personne ne savait ce qui se passait.

Nous étions terrifiés. Le Président s’est enfin adressé au peuple à la télévision. Il a annoncé qu’il y avait eu une tentative de coup d’État. Que des individus contrôlaient ces groupes armés infiltrés dans les manifestations, et essayaient de faire basculer le pouvoir. Il avait également demandé le soutien de forces militaires des pays voisins. Pas seulement de l’armée russe, comme on le lit beaucoup dans les médias, mais des forces armées d’une coalition de plusieurs pays dont la Russie, le Kazakhstan, la Biélorussie, l’Arménie, le Kirghizistan et le Tadjikistan ayant signé un traité de sécurité collective les engageant à se soutenir mutuellement en cas de menace (OTSC). Les militaires sont arrivés, ont aidé à rétablir l’ordre et sont repartis. Depuis, la vie a repris un cours presque normal à Almaty, mais il est certain que les événements du début d’année vont laisser une profonde cicatrice.

Un jour, peut-être, saurons-nous ce qui s’est passé exactement, qui était derrière tout cela, pourquoi et comment on a pu en arriver là, et surtout comment éviter que ça ne se reproduise. Car c’était bien plus qu’une simple grogne sociale : des centaines de morts et de blessés, des milliers d’arrestations, des personnes accusées de trahison et de tentative de coup d’État, dont certaines faisaient partie des forces de l’ordre… De nombreuses questions restées sans réponse. Depuis, le gouvernement a été remanié, le Président et son entourage écartés des postes clés. Des réformes économiques sont en cours, et d’autres sont attendues dans la santé et l’éducation. Des changements nécessaires. Dommage qu’on en soit passé par là. En tant que nation, nous aurions pu éviter cela… Maintenant, nous sommes sur la bonne voie. Reste à vérifier si ces changements seront effectifs ou si ce n’est que du vent, auquel cas la situation risque indubitablement de se reproduire.

ANDREW BEKLEMISHEV (EMBA) est vice-président d’IDC-CIS et président d’HEC Alumni pour l’Asie centrale. Il vit et travaille à Almaty. La plus grande ville du Kazakhstan a été, début janvier, le théâtre de violences sans précédent. Des manifestations contre le prix du gaz se sont transformées en insurrection contre l’injustice sociale et la corruption, avant d’être réprimées dans le sang

Published by