« Vous ne ferez jamais d’études, ni d’enfants. » Ces mots, elle les a entendu à 13 ans. Aujourd’hui, Karine Rossignol (M.92) a trois filles et dirige Smart Immune, la première start-up française à être soutenue par la Fondation Bill & Melinda Gates. Son entreprise développe des thérapies contre le cancer, les maladies auto-immunes et même le VIH. Portrait d’une optimiste.

 

Le jour notre interview, Karine Rossignol, 54 ans, a la voix qui chante. Un premier patient vient d’intégrer l’essai clinique mené par sa start-up de biotech, Smart immune, visant à restaurer le système immunitaire des personnes atteintes de leucémie. « On appelle ça un game changing treatment. ». Porteur d’espoir…. Et créateur de valeur économique.

 

Donner un coup de pouce au vivant

Le corps met en moyenne dix-huit mois à régénérer des globules blancs qui permettent de lutter contre les agents pathogènes, virus et autres infections. Une fenêtre de vulnérabilité problématique : après une greffe de cellules souches – traitement classique en cas de dysfonctionnement immunitaire – le taux de mortalité des patients est de 50 % sur cinq ans.

 

Smart Immune propose d’accélérer le processus et de restaurer le système immunitaire en moins de 100 jours. Comment ? En produisant des progéniteurs de lymphocytes T, les ProTcell. En cultivant in vitro ces cellules, qui sont un sous type de globules blancs, dont la croissance est accélérée grâce à une technologie brevetée. « On a trouvé une façon de mimer le vivant et de les produire à partir de dons de cellules souches. Avec nos ProTcell, nous faisons en sept jours ce que la moelle osseuse fait en 15 mois. »

 

Injectées et amenées à migrer dans le thymus, un organe situé au-dessus du cœur, qui sert de « camp d’entraînement » au système immunitaire, ces progéniteurs deviennent des lymphocytes opérationnels en un peu plus de trois mois. Cette méthode a déjà permis de traiter, lors d’un essai clinique en cours, quatre « bébés bulles », des petits patients de 3 à 6 mois nés sans défenses immunitaires.

Un thymus post injection de ProTcell au bout de dix semaines. ©Smart Immune

 

L’histoire d’une ancienne patiente

 

Enthousiaste CEO et scientifique dans l’âme, Karine Rossignol ne s’est pas engagée dans la recherche par hasard. Atteinte d’un lupus, maladie auto-immune, à l’âge de 13 ans, elle passe un an à Necker, l’hôpital des enfants malades, à Paris. On lui prédit un avenir « sans études ni enfants. » Ironie du sort ou revanche, elle contribuera, des années plus tard, à mettre sur pied l’Institut Imagine, consacré à l’étude des maladies génétiques, sur le campus de l’hôpital Necker.

 

Karine Rossignol est, avant d’être HEC, docteure en pharmacie. Son externat, elle le fait… à l’hôpital Necker et travaille, pendant un an, sur un protocole pour les malades atteints de la mucoviscidose. « Une suspension aqueuse d’amiloride, avec laquelle on réhydratait le mucus de ces enfants, sauvegardant leur poumon. J’avais la bouche en cœur, avec mes 23 ans enthousiastes. » À ses tentatives de pousser la commercialisation du traitement, on lui répond : « pas de marché ». Qu’à cela ne tienne, master marketing HEC en poche, elle prendra la direction du luxe, chez Guerlain.

 

Pendant cinq ans, elle y sera cheffe de groupe soins international. C’était le début de l’ère LVMH, quand la famille du parfumeur était encore présente dans les murs. « Il n’y avait le droit aux pantalons que le vendredi, et il fallait porter des collants même en été ! », s’amuse-t-elle. Chez Guerlain, elle aurait pu y rester, mais décline un poste à New York lorsqu’elle suit son mari, qui étudie à Harvard. « On essayait de faire un bébé, et on s’est dit qu’on n’allait jamais y arriver si on n’était pas ensemble. » Elle prend un job alimentaire de responsable de comptoir au Lancôme du Prudential Center de Boston. « J’étais enceinte, j’avais une petite jupe bleu marine. Je rentrais chez moi avec de la poudre et du fard à joue sur le haut du ventre. Je n’avais jamais maquillé personne, mais là-bas avec l’accent français tu peux tout faire. »

 

Lever des fonds avec un ventre rond

 

Difficile, en revanche, de lever des fonds en étant enceinte jusqu’au cou. Alors que l’an 2000 point à l’horizon, Karine Rossignol tente de créer sa boîte, « un équivalent de Sephora.com ». Elle est alors établie à Londres, avec une fille en bas âge à gérer, un mari chez Goldman Sachs à New York, une recherche d’appartement en cours…. Et le ventre arrondi. « C’était chaud. Je me revois chez Atlas à la rentrée 99. Les fonds avaient toujours peur que je perde les eaux. » Et quand finalement un deal se profile à l’horizon… « Ça n’a pas marché car le jour où on devait signer, ce fut le 12 octobre, le jour où Charlotte est née. Après, je ne suis jamais arrivée à les convaincre de nous refaire confiance. »

 

Après une décennie, Karine Rossignol retournera vers l’hôpital Necker. Vers un médecin en particulier : Pr Claude Griscelli, qui l’avait soignée enfant. Ancien directeur de l’Inserm, il monte, au milieu des années 2000, l’Institut des maladies génétiques Imagine. L’ancienne patiente, alors cheffe de groupe chez Chanel, veut en être. « J’ai dû mettre six mois pour convaincre l’APHP de me rentrer dans une petite case. Doctorat en pharmacie, Chanel et Guerlain, ça ne rentrait pas dans les qualifications. »

Mais une fois à bord du projet, la nouvelle co-secrétaire générale contribuera, en dix ans, à lever 183 millions d’euros. « On a commencé à 800 euros sur le compte en 2006. C’était incroyable comme aventure. » L’équipe convaincra l’architecte Jean Nouvel de prendre le chantier, regroupera près de 450 chercheurs et médecins, financera de nombreux essais cliniques et construira des plateaux techniques flambants neufs pour retenir les talents. Karine Rossignol démarchera même des boîtes pour solliciter du mécénat en nature – en peinture Tollens plus exactement. « Le bâtiment est beau parce qu’on n’a rien lâché. Ce n’est pas parce qu’on est malade et qu’on est gamin que ça doit être moche. » Appuyant son propos, elle cite Robert Debré : « Les enfants sont notre éternité ».

50 millions d’euros en série A

 

Alors qu’elle s’attelle à la Fondation de l’Audition, à côté de l’hôpital des 15/20, deux collègues et amies lui proposent de monter Smart Immune, en 2017. « Une technologie basée sur vingt ans de boulot de deux femmes exceptionnelles », explique Karine Rossignol. À l’origine de la technologie ProTCell : le docteur Isabelle André et la professeur Marina Cavazzana, une pédiatre immunologue, femme scientifique de l’année 2012. « J’ai aussi eu un cancer à l’âge de 42 ans, et la chimio a un peu cogné, révèle-t-elle. Cette proposition, c’était un rendez-vous personnel que je ne pouvais pas manquer. »

 

Aujourd’hui, elle se consacre à la biotech avec, comme espoir, de pouvoir mutualiser les coûts de production pour proposer des thérapies cellulaires commercialisables au grand public. La technologie développée par Smart Immune, qui pourrait accélérer la reconstitution de cellules T pour réarmer le système immunitaire, intéresse la Fondation Bill et Melinda Gates, qui a un programme stratégique dédié au VIH.

 

Un premier investissement de 5 millions de dollars en equity est annoncé en mars 2023, faisant de Smart Immune, la première société française touchant un financement de la célèbre fondation américaine. Ainsi, la biotech a pu lancer l’essai clinique sur les patients leucémiques, à Paris, Marseille, et Nantes. La société vient de lancer une série A de 50 millions d’euros pour financer les opérations sur deux ans et demi, et « porter cet essai clinique à sa prochaine étape. »

 

Pr Marina Cavazzana et Karine Rossignol ©Smart Immune

Réconcilier le capital et la médecine

 

Mais ce dont elle dit avoir besoin, outre les fonds, ce sont… des HEC. « Des compétences HEC pures et dures. C’est du dev, de l’organisation, de la recherche de fonds, indique Karine Rossignol, martelant que le milieu de la biotech est créateur de valeur économique autant que thérapeutique. Je suis persuadée que les HEC et les écoles de commerce ont beaucoup à apporter. »

 

Son cri du cœur ? « Qu’on arrête de nous mettre dans une boîte avec un post-it sur le front à peine sorti de l’école ! »  Et de citer son estimée collègue Marina Cavazzana qui a commencé sa carrière de scientifique… par un bac littéraire. « Tout ça aussi pour dire que rien n’est écrit. »  Après son « on ne vit qu’une fois » d’au revoir, on a envie, nous aussi, après avoir parlé à Karine Rossignol, de pousser la porte de chez nous pour partir soulever des montagnes.

 

Photo de l’Institut Imagine: ©Patrick Müller

 

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