C’est au détour d’un cours à HEC que Julie Joly (H.97) a trouvé sa voie. Son premier stage dans une rédaction a été une révélation. Depuis, elle dirige le centre de formation des journalistes et crée sa propre école. Affaire de passion et de transmission.

Ecole Julie Joly (H.97)
Julie Joly (H.97)
1997 : Diplômée d’HEC.
1999 : Correspondante pour La Tribune en Allemagne.
1999 : Intègre le service Économie de L’Express.
2012 : Directrice du CFJ.
2016 : Fonde l’école W.
2017 : Rejoint le CA de Reporters sans frontières.
2020 : Membre du comité d’éthique de Radio France.
2021 : Entre au conseil de surveillance des Échos.

J’ai grandi dans une petite ville de l’Oise. Mes parents sont médecins, un univers assez éloigné du monde de l’entreprise. Je n’aurais probablement pas eu l’idée de tenter HEC si ma sœur n’avait pas intégré cette école trois ans avant moi ! Pour quelqu’un dans mon genre, à la fois littéraire et scientifique et sans idée claire de ce que je voulais faire plus tard, la prépa semblait une solution naturelle pour continuer à apprendre sans m’enfermer. Mes deux années au Lycée Henri IV furent particulièrement heureuses. Je découvrais la vie parisienne en même temps que l’autonomie. Puis, je suis entrée à HEC en 1994. Je n’ai jamais eu le sentiment de perdre mon temps, pourtant c’est surtout en dehors de l’école que j’ai développé ma culture générale : lettres modernes, histoire de l’art, droit, je me suis inscrite en parallèle d’HEC à tous les cours possibles à l’université. Je pensais alors que je n’avais pas la fibre entrepreneuriale. C’est amusant, car aujourd’hui je me considère vraiment comme une entrepreneure, mais je n’ai eu le déclic que beaucoup plus tard. Je mesure désormais à quel point ces années ont débloqué plein de choses… Surtout, c’est à HEC que j’ai découvert ma vocation : le journalisme. Très indécise, j’avais exploré plusieurs pistes : l’édition, l’humanitaire, l’analyse économique… J’ai fait des stages dans chacun de ces secteurs, sans jamais être pleinement convaincue.

Première impression

Et, un jour, Érik Izraelewicz est intervenu à HEC pour partager son expérience de journaliste économique. Je découvrais un métier, une vocation, la pratique et l’intelligence remarquable de cet homme. Cette rencontre m’a ouvert une fenêtre sur un monde inconnu. Je m’y suis engouffrée. Je me suis inscrite en mastère Management des médias à l’ESCP. Pendant cette année supplémentaire, j’ai pu faire huit mois de stages et découvrir la vie d’un quotidien (La Tribune), d’un hebdomadaire (L’Express) et d’un mensuel (Management)… J’ai adoré les trois ! Dès ma première conférence de rédaction et mon premier coup de fil pour une interview, j’ai su que j’étais là où je voulais être. Tout m’intéressait : les sujets, les débats entre journalistes, le choix des photos, le chemin de fer, le retour des lecteurs, et bien sûr, écrire… Quand je parle aux étudiants aujourd’hui, je leur promets de tout faire pour qu’ils ressentent la même évidence, ce point de bascule qui éclaire toute une vie.

Dans la foulée de ces premiers stages, fin 1998, La Tribune ouvrait un poste de correspondant permanent à Francfort, en Allemagne. Le rédacteur en chef m’a suggéré de candidater : je parlais très mal allemand, mais je n’ai pas hésité une seconde ! Cette expérience du journalisme en autonomie a été aussi intense que passionnante. Quelques mois plus tard, le magazine L’Express me proposait de rejoindre son service Économie. À l’aube des années 2000, on était en pleine bulle Internet. Les rédactions recrutaient, c’était un peu l’euphorie. J’ai quitté Francfort avec un pincement, mais je ne l’ai pas regretté : j’ai passé treize années très heureuses à L’Express. D’abord au service Économie, puis Politique et enfin, Société. J’y ai découvert l’enquête, les articles longs, l’exigence de l’écriture magazine, et la naissance du journalisme web. Et j’y ai surtout côtoyé une équipe de journalistes inoubliables.

Cas d’école

J’ai toujours aimé travailler avec les jeunes journalistes. Je me reconnaissais dans leur timidité autant que dans leur culot. Je donnais des cours à l’université, et depuis peu au Centre de formation des journalistes (CFJ). En 2012, le directeur de l’école, Christophe Deloire, s’apprêtait à partir et cherchait quelqu’un pour le remplacer. Il m’a proposé de postuler. J’avoue avoir été la première surprise, moi qui n’ai jamais fait d’école de journalisme ! Pourtant, j’ai sauté le pas et ne l’ai jamais regretté. Depuis, je me découvre une nouvelle vocation. J’adore contribuer à former les futurs journalistes, me questionner au quotidien avec eux sur les enjeux de l’information, préparer leur avenir autant que celui du métier. Mais quel boulot ! Jusque-là, je pensais que je travaillais beaucoup. J’ai découvert ce que c’était que de travailler… tout le temps. Quand on dirige une école, on est responsable du recrutement de chaque élève, chaque enseignant, du niveau des équipements, de l’insertion, de l’équilibre financier de l’établissement… C’est une énorme pression.

“Pourquoi l’école W ? En référence aux ‘ cinq W ’ : what ? why ? when ? who ? where ? Les cinq questions qu’un journaliste doit toujours se poser ”

En 2015, il m’est venu l’idée de créer une école post-bac d’un nouveau genre. La production de contenus me semble être un exercice fantastique pour exercer son esprit critique, s’interroger sur le fond autant que sur la forme. D’autres secteurs d’activité ont besoin de ces qualités essentielles. Je savais assez clairement sur quelles compétences je voulais former les étudiants : l’expression écrite, orale et multimédia, mais aussi la capacité à innover seuls et ensemble, à interroger le sens de leur travail. Avec l’équipe du CFJ, on a rassemblé un groupe d’intervenants motivés par le projet. Nous visions un niveau d’enseignement élevé, avec des intervenants capables d’accompagner des élèves aux profils variés : créatifs ou scolaires, techniques ou littéraires, timides ou frondeurs, fraîchement bacheliers ou déjà passés par l’université. L’idée était de leur donner trois ans pour explorer les facettes de la production de contenus, apprendre à se connaître eux-mêmes, gagner en confiance et en maturité, avant de choisir une orientation : communication, journalisme ou fiction.

Ainsi est née, en octobre 2016, l’école W, en référence à la « règle des 5W », bien connue des médias : what, why, when, who, where ? Les cinq questions auxquelles un journaliste est censé répondre. Une manière de signifier que la curiosité est un prérequis pour intégrer l’école ! Depuis, W a accueilli cinq promotions, et trois sont diplômées. Un tiers des étudiants travaillent dès leur sortie de l’école, à leur compte, au sein d’agences ou d’entreprises. Les autres poursuivent leurs études, en France ou à l’étranger, en école de journalisme, de création… ou de commerce. La boucle est bouclée.

Une indépendance à défendre

Je ne m’imagine pas diriger des écoles sans défendre la liberté et la déontologie de l’information. En parallèle du CFJ et de W, je suis engagée dans d’autres projets à titre personnel et bénévole : j’ai intégré le conseil d’administration de Reporters sans frontières, le comité d’éthique de Radio France et, depuis peu, le conseil de surveillance des Échos. À mes débuts dans le métier, j’ai dû surmonter mes peurs. Je n’avais pas fait d’école de journalisme, je n’appartenais pas au sérail. Cela ne m’a pas empêché d’avancer. J’ai sans doute aussi créé W pour en finir avec cet élitisme absurde et le fléau du sentiment d’imposture, qui paralyse tant de jeunes. Je veux leur ouvrir les portes que trop de concours leur ferment.

Propos recueillis par Clémentine Baron

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