Est-ce qu’un jour, tout aura été inventé ? Arrivera-t-il un moment où l’Homme se retournera derrière lui et dira : « voilà, j’ai tout exploré, tout tenté, je n’ai plus rien à dire ? » La réponse facile serait un « non » franc et massif. Pourtant, soyons honnêtes : dans nos carrières, avec l’expérience vient parfois la tentation d’être blasé. « Been there, done that ». Alors, oui, on pourra toujours nous présenter une nouvelle idée révolutionnaire. Mais on ne nous la fera plus.

Et si l’impression qui nous saisit parfois de ne rien voir de nouveau venait seulement du fait que nous regardons toujours au même endroit ? Dans le domaine du management, nous avons ainsi un tropisme naturel vers le monde occidental (Etats-Unis) ou occidentalisé (Japon). Mais le renouveau de la discipline viendra peut-être d’Haier.

Oui, vous avez bien lu : cet « ailleurs » du management, c’est dans une société chinoise d’électroménager née aux confins de Qingdao que nous l’avons trouvé. Dans une entreprise au bord de la faillite dans les années 1980 qui est devenue en moins de 40 ans le leader mondial de son secteur, et qui l’est restée jusqu’à ce jour pendant quatorze années consécutives.

On ne parle pas encore de « haierisme » comme on a pu parler de fordisme ou de toyotisme. Désolé, c’est à de nouvelles sonorités que je vous invite à vous habituer avec le nom du modèle mis en œuvre par Haier : le « rendanheyi ».

Avec Youssouf Chotia, j’ai consacré près de deux ans à écrire un livre pour vous le présenter en détails : Et si on copiait les entreprises chinoises ?

Ce qui nous a frappés dans le rendanheyi, c’est d’abord sa radicalité : Zhang Ruimin, le patron charismatique qui a tenu les rênes de Haier pendant près d’un demi-siècle, n’a pas seulement changé son entreprise, il l’a métamorphosée. Concrètement, il a transformé un paquebot de 50 000 salariés en une armada de 4 000 micro-entreprises autonomes, liées entre elles par des contrats, au sein d’une immense place de marché interne. Tel est le pari de Haier : faire confiance à l’esprit d’entreprise de chaque salarié et créer les conditions pour qu’il s’épanouisse.

Qu’on ne s’y méprenne pas : le rendanheyi est tout sauf la guimauve du management. Ces micro-entreprises internes sont en concurrence les unes avec les autres. Si certaines font florès, d’autres meurent dans ce que Zhang lui-même a appelé une « forêt vierge ». S’étonnera-ton qu’une entreprise chinoise ait réinventé l’adage marxiste « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » ? Chez Haier, si vous avez un projet de micro-entreprise, on vous donnera les moyens de le réaliser, mais on attendra de vous que vous vous donniez à fond, et vous serez évalué sur votre performance.

Le rendanheyi est un modèle dur, mais juste. La rémunération de chacun, en grande partie variable, est calculée selon des critères clairement communiqués et connus de tous. Des processus ont été mis en place pour permettre aux individus les plus brillants de se distinguer en limitant le plus possible le copinage et les jeux politiques. Ainsi, chaque leader d’une micro-entreprise se voit flanqué d’un « poisson-chat », un second dont chacun sait de manière officielle qu’il prendra la place du leader si ce dernier n’atteint pas ses objectifs. Est-ce à dire que c’est la loi de la jungle qui prévaut dans cette forêt vierge ? Certainement pas, car la transparence extrême des processus est le meilleur garde-fou contre les intrigues et savonnages de planche en tout genre.

Radical, le modèle rendanheyi l’est sans aucun doute. Pourrait-il s’acclimater sous nos latitudes ? Certaines entreprises ont en tout cas commencé à s’en inspirer en Europe, telle Fujitsu-Siemens. En occident, on ne saurait probablement l’appliquer « tel quel ». Mais si le Parti a inventé le « socialisme à caractéristiques chinoises », nous saurons bien imaginer le rendanheyi à caractéristiques européennes. A condition d’apprendre d’abord à connaître ce modèle.

Quand on vous dit qu’à l’Est, il y a du nouveau.

Et si on copiait les entreprises chinoises ? Le modèle Haier, principes d’organisation pour le XXIème siècle, Youssouf Chotia, Jérôme Delacroix, septembre 2023

Pour en savoir plus : consultez le blog http://chinese-management.com/

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