Jean Hornain (MBA.88) : La balle au bond
L’ex-volleyeur pro Jean Hornain (MBA.88) est devenu un chantre de l’économie circulaire, au terme d’un parcours aussi mouvementé et imprévisible qu’un Paris-Dakar, course dont il a pendant un temps assuré la production télé.
Au 50 boulevard Haussmann, tout près de l’opéra Garnier, se trouve le bureau vitré de Jean Hornain, directeur général de la société de recyclage Citeo. Il a été nommé patron de cette entreprise – à qui l’on doit les poubelles à couvercle jaunes – en 2016, presque par hasard, et sans avoir aucune expérience dans le secteur. Il s’est adapté, comme il s’accommode aujourd’hui, Covid oblige, du calme inhabituel qui règne dans les locaux. Son parcours professionnel a eu pourtant des épisodes plus houleux…Il y a vingt-cinq ans, il était bloqué dans un avion, au milieu des dunes. « C’était en janvier 1997. On suivait le Paris Dakar avec mon équipe de télévision.
L’un des deux Lockheed C-130 Hercules, celui qui transportait les bancs de montage et les antennes satellites, a piqué du nez et s’est enfoncé dans le sable, pas très loin de l’aéroport de Tombouctou. Les équipes ont travaillé toute la journée dans l’avion, sur les bancs de montage, et on a attendu la fin des retransmissions pour désensabler l’appareil et pouvoir redécoller. » Le redécollage, c’est son truc.Car couvrir un rallye automobile en plein désert, ce n’était pas le couronnement d’une carrière dans l’audiovisuel, mais une simple étape dans un parcours truffé de rebondissements. Avec pour point de départ, une passion pour le volleyball. « J’ai eu très tôt un ballon entre les mains. On jouait au volley en famille, avec mes parents, mon frère et ma sœur. Sur l’herbe au printemps, sur le sable de la côte basque l’été », raconte le quinquagénaire au physique longiligne, du haut de ses 1,98 mètre.
International à 18 ans
Son père est joueur amateur, sa mère, prof d’EPS. Dès ses 11 ans, Jean rejoint un club, où il se fait vite remarquer. Il intègre les Espoirs à dix-sept ans. L’année suivante, l’entraîneur de l’équipe nationale Jean-Marc Buchel fait le pari de rajeunir son effectif. Jean Hornain est propulsé dans la cour des grands. Il affronte les meilleures équipes, celles d’Europe de l’Est. « Je suis arrivé à l’Euro 79 sans pression. J’étais jeune et un peu inconscient ! J’avais une très bonne manchette. J’étais contreur central car je jouais vite », explique-t-il. Une photo en noir et blanc, à côté de son ordinateur, témoigne de ce passé glorieux. Elle date de juin 1979 et a été prise à Bratislava, en Tchécoslovaquie.
“ En arrivant à HEC, j’ai dû bosser comme une bête pour rattraper mon retard en économie. ”
Jean Hornain venait de rejoindre l’équipe de France de volleyball. À 18 ans, il signait ses premiers autographes. Le match d’ouverture du Mundialito, en 1982 à Rio, restera gravé dans sa mémoire. Dans le stade de Maracanãzinho, « le petit Maracana », l’équipe de France s’incline 3-1 contre le Brésil. Mais Jean Hornain ne regrette pas le déplacement. « Les Brésiliens chantaient tellement fort que je n’entendais pas mes coéquipiers à un mètre de moi ! » L’excitation des compétitions, les bus escortés par les motards, le volleyeur prend goût à la vie nomade et intense de sportif professionnel. Mais en 1985, une blessure met prématurément fin à sa carrière. Une tendinite au genou. « J’ai tout tenté, des anti-inflammatoires aux médecines alternatives, mais j’ai compris que c’était terminé. Je devais passer à autre chose. » Il part avec les honneurs : la France vient de terminer troisième à l’Euro. « Mon grand regret, c’est de n’avoir jamais participé aux Jeux olympiques », souffle-t-il.
De l’ISA à la City
Après cela, une voie semble toute tracée pour lui, celle de prof de sport. Agrégé d’EPS, il est sur le point de prendre son poste au lycée Michelet de Vanves quand il rencontre le professeur d’éducation physique de HEC. Ce dernier lui apprend que les sportifs de haut niveau peuvent faire valoir leurs années d’expérience pour passer le concours de l’ISA (futur MBA) d’HEC. « Je me suis rendu sur le campus de Jouy-en-Josas, pour voir. J’ai assisté à deux cours : stratégie avec Bernard Ramanantsoa (MBA.76) et finance avec Bruno Solnik. Je n’ai rien compris, mais j’ai trouvé ça fascinant ! » Il passe le concours avec succès. Perrine Pelen, championne du monde de ski en slalom, fait partie de sa promotion. « Mon père était délégué syndical, je ne venais pas du monde du “business”. Je me suis retrouvé en cours avec des mecs qui avaient fait Sciences Po, médecine, pharma… J’étais complexé. J’ai dû bosser comme une bête pour rattraper mon retard en économie. »
Après un échange à l’université McGill de Montréal, il rejoint le bureau londonien de la banque d’affaires ScotiaMcLeod. Le voilà, jeune célibataire, habitant dans le quartier résidentiel de Hampstead. Il écume les pubs, joue au tennis sur herbe, va voir Dire Straits et Eric Clapton en concert. Une vie facile et un poste stimulant mais « très intangible – ça manquait de connexions, de contacts. Ce n’était pas tout à fait mon truc », admet-il. Lassé, il démissionne au bout de deux ans et retraverse la Manche en 1989.
Cartoons et compétition
C’est en feuilletant le quotidien Le Monde qu’il déniche une offre d’emploi intrigante, pour le « développement international » d’une énigmatique « société de loisirs ». Il contacte l’entreprise, une certaine C&D, et rencontre Jean Chalopin, scénariste et producteur de dessins animés mythiques comme Ulysse 31 et Les Mystérieuses Cités d’or. « Un mec extraordinaire, créatif, qui a fait fortune dans les dessins animés », raconte Jean Hornain. La jeune recrue va exporter ses blockbusters à travers le monde. « Ce qu’on vendait le mieux et le plus cher, c’était l’Inspecteur Gadget. Les enfants l’adoraient, jusqu’à Taiwan ! Mais certains acheteurs étaient plus coriaces que d’autres, les Anglais notamment… Vendre à la BBC ou Channel 4, c’était super dur ! » Jean Hornain découvre pendant ces deux années les arcanes de la télévision. Cette nouvelle expertise couplée à son expérience des compétitions sportives attire l’attention de l’organisateur du Tour de France et du Paris-Roubaix.
La société Amaury Sport Organisation (ASO) l’approche en 1992 et lui propose de diriger son département de production télévisée. « On a fait exploser la distribution internationale du Tour de France, qui est passée à 170 pays », se souvient-il. Son équipe produit les images du Paris-Dakar. Une aventure et une gageure. « On se prenait des tempêtes de sable, des changements de parcours, des groupes électrogènes pétaient… Je perdais quelques kilos à chaque édition ! ». Il prend goût aux joies du direct et décide en 1997 de monter une joint-venture entre ASO, alors sous la houlette de Jean-Claude Killy, et le journal L’Équipe, dirigé par Paul Roussel, pour créer la chaîne d’information L’Équipe TV. « Eurosport existait déjà, c’était les débuts des chaînes thématiques », précise-t-il. L’équipe de Jean Hornain déniche des locaux, constitue une grille de programmes, monte deux régies. Le 31 août 1998 à 18 h, Christian Prudhomme (actuel directeur du Tour de France) présente le premier JT de L’Équipe TV, avec un mois et demi de etard sur le concurrent Infosport. Depuis, le signal ne s’est pas arrêté. L’Equipe TV se regarde aujourd’hui sur la chaîne 79 du bouquet Canal. « On ne savait pas si ça allait durer trois mois ou trente ans ! », s’exclame Jean Hornain. Devenu homme de médias, il prend la responsabilité de lancer le site lequipe.fr. Un autre carton, consulté par un Français sur trois.
Papier, cartons
Enchanté par son sens de l’initiative, le président du Groupe Amaury, Philippe Amaury, propose à Jean Hornain de diriger Le Parisien – Aujourd’hui en France, dont il est président. L’ancien volleyeur va diriger le quotidien de 2005 à 2015. Une décennie de transformations marquée par le lancement des suppléments Le Parisien Week-End, La Parisienne,et surtout par la transition vers le digital. « Les effectifs, d’environ 600 personnes, sont restés stables, mais ont été redéployés pour toucher les nouvelles audiences sur Internet », précise celui qui reconnaît avoir parfois « le tournis » face à « l’infernale cadence de l’immédiateté ». Sur son départ du Parisien, il se montre peu disert.
Il a quitté son poste au moment où le quotidien passait dans le giron de LVMH. « J’en avais un peu fait le tour, le changement de propriétaire m’a donné envie de bouger. » Un virage inattendu le conduit alors chez Eco-Emballages, une entreprise de recyclage qui fusionnera avec Ecofolio pour devenir Citeo. « Mon parcours ne correspondait pas au cahier des charges. Le conseil d’administration cherchait plutôt quelqu’un issu de la grande consommation. Mais la chasseuse de têtes croyait en moi, et elle a réussi à faire passer ma candidature ! », se souvient-il. Son agilité, son esprit d’équipe et la richesse de son parcours ont fait le reste… Aujourd’hui, ce père de deux enfants veut apporter, avec Citeo, des solutions aux entreprises pour les aider à réduire l’impact de leurs emballages et papiers sur l’environnement. Préserver la planète. Jean Hornain, qui fêtera ses 60 ans en février, semble avoir trouvé un objectif assez ambitieux pour l’occuper quelques années. Et de citer le philosophe italien Antonio Gramsci. « Au pessimisme de l’intelligence, il faut allier l’optimisme de la volonté ». Ça aurait fait un joli slogan pour HEC.
Thomas Lestavel
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Published by Thomas Lestavel