Après avoir exploré le monde de l’art, du mécénat d’entreprise à la vente de compétences culturelles pour les pays du Golfe, Jean de Malherbe (H.12) a réalisé son rêve d’enfant: ouvrir une galerie d’art. Récit d’un parcours jalonné de découvertes.

Il est né entre deux tableaux et une sculpture. Avec un père peintre et une mère galeriste, Jean de Malherbe (H.12) a vécu une enfance bercée par les sessions de gribouillage sur toile et les parties de cache-cache entre les œuvres. Les peintures abstraites et les paysages expressionnistes de son père, Guy de Malherbe, l’impressionnent. Quant à la galerie de sa mère, Marie-Hélène de la Forest Divonne, située à l’époque rue Vieille-du-Temple, la vie qui l’anime le fascine. « Je la traversais tous les matins et je voyais ma mère en train de discuter avec un artiste ou de réorganiser les œuvres en vue d’une exposition, se souvient-il. Parfois, en revenant de l’école, c’était soir de vernissage et j’aimais voir toutes ces personnes se réunir. Pour moi, le rêve, c’était d’avoir une galerie. » C’est donc avec cette idée en tête que Jean s’inscrit en licence d’histoire de l’art et de lettres modernes à la Sorbonne, après une prépa littéraire. Là, preuve que son rêve est toujours intact, il monte une galerie itinérante avec un ami, s’installant tantôt dans un bâtiment en rénovation, tantôt dans une salle de cours réaménagée pour l’occasion. Pendant près de quatre ans, les deux étudiants organisent de nombreuses expositions de jeunes artistes et la popularité grandissante de leur initiative leur vaut même un article dans le prestigieux Herald Tribune. « À ce moment, j’ai vraiment pensé ouvrir une vraie galerie. Mais je ressentais le besoin de me former d’abord à l’aspect commercial du secteur de l’art. Alors j’ai tenté les écoles de commerce. » Il débarque à HEC en 2009.

Plume d’un ministère

Durant ses trois années de formation, il découvre une à une les différentes facettes du milieu de l’art. Lors de son année de césure, il commence par s’initier au mécénat d’entreprise en effectuant un stage à l’Association internationale des collections d’entreprise d’art contemporain (IACCCA). « C’était intéressant mais, après quelques mois, ça a commencé à m’ennuyer. Alors, par pure curiosité, j’ai répondu à une autre offre de stage pour faire quelque chose d’assez différent. » Début 2011, il entre dans un cabinet ministériel, à Bercy, pour écrire les discours du secrétaire d’État au Commerce, à la Consommation et au Tourisme, Frédéric Lefebvre. Dans ce nouveau costume de prête-plume, il rédige trois discours par jour sur des sujets aussi divers que l’inauguration du pavillon de la volaille à Rungis ou la remise d’une médaille au camping de Palavas-les-Flots ! Une expérience passionnante qui lui fait choisir la majeure administration publique plutôt que média, art et création et lui donne envie d’explorer le service public de la culture.

“Je voulais participer à l’écriture de l’histoire de l’art”

Après un premier stage au développement économique du palais de Tokyo, il est engagé à la Réunion des musées nationaux (RMN Grand Palais), organisme public dont le but est de diffuser le patrimoine muséographique français. Sa première mission donne le ton : réunir dix chefs-d’œuvre de l’art français et les envoyer en Chine à l’occasion des 50 ans de la reconnaissance de la République populaire par la France. Cette mission accomplie, il est repéré par le directeur de la stratégie et du développement qui lui propose de créer une branche ingénierie culturelle. « L’expression peut prêter à sourire mais c’est une vraie spécialité ! Par contre, j’avais un peu honte de sortir ma carte de visite, qui disait quelque chose comme : “Chargé du développement de l’ingénierie culturelle à la direction de la stratégie de la Réunion des musées nationaux” ! » Cette nouvelle filiale est chargée à la fois de trouver des ressources financières pour des établissements publics dans un contexte de réduction des subventions publiques et de créer une activité de conseil pour d’autres opérateurs culturels, en France ou à l’étranger.

Pour cette dernière catégorie, certains pays sont particulièrement demandeurs, comme ceux qui bordent le Golfe persique. L’exemple le plus éloquent est sans doute celui d’Abu Dhabi qui a emprunté le nom du Louvre ainsi que certaines de ses collections pour promouvoir son musée et fait appel au savoir-faire français. Mais ses voisins sont tout aussi présents sur ce terrain. De fait, Jean est amené à voyager à maintes reprises au Qatar et Bahreïn, des pays « aux possibilités fascinantes » dont il tombe amoureux. « Il y a soixante-dix ans, il n’y avait rien et aujourd’hui, chaque building est construit par un Pritzker (l’équivalent du prix Nobel en architecture). » À Doha, par exemple, il a la chance de visiter le chantier du Musée national, avec sa structure en rose des sables, aux côtés de son architecte, Jean Nouvel. Ce qui le marque par-dessus tout, c’est la passion inconditionnelle de ces pays pour l’architecture, même si elle ne doit être partagée que par une poignée. « Au Qatar, je me souviens avoir fait deux heures de piste en plein désert pour tomber sur une œuvre monumentale : le East-West de Richard Serra. Là, au milieu de nulle part, je vois ces quatre plaques d’acier de 30 m de haut espacées de 2 km chacune. Cela faisait penser au monolithe de L’Odyssée de l’espace. C’est ce que j’appelle un geste artistique gratuit car, à cet endroit, s’il y a deux cents visiteurs par an, c’est le bout du monde ! »

Un flash à Art Basel

S’il songe un temps partir vivre dans cette région, c’est dans une tout autre partie du monde qu’une révélation allait bientôt lui rappeler son rêve. En déplacement en Suisse au printemps 2015, Jean s’arrête à Bâle pour découvrir la foire artistique Art Basel, la plus importante du monde. Il y reste des heures, s’émerveillant devant les œuvres, discutant avec leurs auteurs… Et, dans le train vers Paris, il se dit qu’il est temps, ne prut plus se détourner de ce qu’il veut vraiment faire : être galeriste. « J’ai compris que mon travail était trop loin de l’art qui était en train de se faire. À la RMN, je m’occupais d’artistes morts alors qu’à Bâle, tous étaient vivants. Je voulais en quelque sorte participer à l’écriture de l’histoire de l’art plutôt que de la subir. » Après avoir hésité entre ouvrir sa propre galerie et rejoindre celle de sa famille, qui venait de déménager rue des Beaux-Arts à Paris, il opte pour un entre-deux : créer et diriger une filiale de la galerie LaForest Divonne à l’étranger. Très vite, son choix se porte sur Bruxelles, considéré comme l’un des nouveaux hubs de l’art contemporain, hôte de deux importantes foires à portée de train de Paris et qui partage la même langue et la même monnaie qu’en France.

Inaugurée en 2016, la galerie progresse très vite : depuis son ouverture, le chiffre d’affaires de LaForest Divonne a triplé et le nombre d’artistes représentés a doublé, passant de 12 à 25. Totalement autonome, Jean s’épanouit pleinement dans ce métier de galeriste qu’il a si longtemps convoité. « J’adore rechercher des artistes, fréquenter les foires, les expositions, les ateliers… Mais ce qui me plaît par-dessus tout, c’est la relation entre le galeriste et l’artiste, il y a entre nous une discussion constante qui est créative, un besoin mutuel. Je sais le rôle important que l’on peut avoir, alors je vais souvent © Audoin Desforges dans leur atelier pour les encourager. » Jamais à court d’idées, Jean travaille actuellement sur un projet étonnant, intitulé « L’œuvre au corps ». L’idée : faire travailler ensemble six artistes et si chefs étoilés en demandant à ces derniers de décrire les œuvres des premiers… à travers des saveurs ! Mais son objectif à plus long terme est d’ouvrir une troisième galerie. « Nous réfléchissons tranquillement à le faire en région, entre Paris et Bruxelles par exemple. Mais le rêve, ce serait d’en ouvrir une au cœur mondial du marché de l’art : aux États-Unis ! » Si l’on se fie à la propension de Jean à réaliser ses rêves, LaForest Divonne pourrait bientôt être prononcée avec un accent américain.

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