Abstract

Pour savoir si l’art constitue un investissement rentable, nous avons créé un modèle permettant d’analyser le comportement des acheteurs et des vendeurs au cours de ventes aux enchères. Pour cela, nous avons utilisé les données issues de 1,1 million de ventes aux enchères organisées par les maisons Christie’s et Sotheby’s aux États-Unis et au Royaume-Uni, entre 1976 et 2015. Nos recherches ont permis de distinguer trois types d’acheteurs aux comportements spécifiques : les collectionneurs, les « art flippers » et les investisseurs. Nos travaux montrent par ailleurs que l’investissement dans des œuvres d’art n’est que rarement fructueux, sauf dans certains cas précis où l’acheteur se trouve en mesure d’acheter à un prix inférieur au marché. On peut donc acheter un tableau si on l’apprécie, mais il faut savoir qu’il est peu probable que l’on retire un profit de sa revente.

American Economic Review, Vol. 108, No. 3, mars 2018

3 questions à

Christopher Spaenjers, professeur associé à HEC

Dans une interview publiée par l’American Economic Reviewen mars 2018, vous affirmez qu’investir dans des œuvres d’art n’est pas rentable. Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?

En effet, lors de nos recherches, nous avons construit, Stefano Lovo et moi-même, un modèle théorique pour analyser les investissements sur le marché de l’art. Or il est apparu qu’investir dans l’art n’est généralement pas une bonne idée, d’un point de vue purement financier. La plupart des collectionneurs achètent des œuvres d’art parce qu’ils les aiment, par goût esthétique : c’est ce qu’on appelle un « dividende émotionnel ». Ils sont donc disposés à payer un prix plutôt élevé pour les œuvres d’art, et le retour sur investissement sera relativement faible. Ceux qui, en revanche, cherchent à réaliser des plus-values sur les œuvres d’art ne devraient acheter que dans le cas où le prix est très bas, ce qui arrive lorsque peu d’enchérisseurs sont intéressés.

Vous distinguez trois profils d’acheteurs d’art. Quelles sont leurs spécificités et quelle est la catégorie la plus répandue ?

Les « collectionneurs » sont des acheteurs qui tirent un plaisir substantiel de la propriété. Le faible rendement financier n’est donc pas un critère déterminant dans leur prise de décision. Ce qui ne signifie pas que leurs achats sont irrationnels ! Les « flippers » achètent uniquement lorsqu’ils pensent pouvoir revendre rapidement à un prix plus élevé. Il existe ensuite une catégorie intermédiaire d’investisseurs qui choisiront de ne revendre que lorsque les conditions du marché seront suffisamment bonnes. Nous estimons que la plupart des acheteurs sont des collectionneurs ou des investisseurs, et que les « art flippers » sont, eux, très rares, notamment parce que les coûts des transactions sont relativement élevés sur le marché de l’art.

Quelle suite pensez-vous donner à vos travaux ?

Stefano Lovo, coauteur de cette étude, et moi-même souhaitons aller plus loin en examinant de quelle manière les maisons de vente aux enchères estiment la valeur d’une œuvre avant sa mise en vente. Et comment les propriétaires d’art choisissent de fréquenter une maison de vente aux enchères plutôt qu’une autre. Enfin, un autre pan de mes travaux personnels porte sur l’apprentissage automatique (machine learning) et la manière dont cette technologie pourrait aider à prévoir les prix des œuvres, et éviter les biais cognitifs présentés par des experts humains.

Christopher Spaenjers
Professeur associé de finance à HEC Paris et titulaire d’un doctorat en finance obtenu à l’université de Tilburg (Pays-Bas), il est expert de l’investissement en art et « investissements de passion ». Il intervient fréquemment lors de conférences et d’événements autour du marché de l’art.

Stefano Lovo
Professeur de finance à HEC Paris, il est titulaire d’un doctorat en économie. Ses recherches portent sur l’économie de l’information et ses applications en finance d’entreprise. Outre le marché de l’art, ses travaux ont porté sur la formation des prix sur le marché boursier, le fonctionnement des enchères et le financement participatif.

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