Synthèse de la table ronde du Club HEC Alumni Technologies Avancées, le 4 novembre 2025 à l’Association

Cette table ronde n’a laissé place à aucune illusion : l’intelligence artificielle n’est ni un gadget, ni un simple « levier de productivité ». Elle redéfinit la pratique de l’intelligence économique, en impactant les rapports de force entre nations, en fragilisant les entreprises mal préparées et en mettant à nu nos dépendances technologiques.

Ce qui suit condense les échanges entre l’Amiral Coustillière, Jean-Baptiste Laurier (Chaps Vision), Alexandre Kahn (Antidox) et notre modérateur Edmond DARVIEU (M00).

L’IA ne remplace pas l’expert : elle amplifie ses forces… et ses faiblesses

Les intervenants ont dissipé un mythe : non, l’IA n’est pas le « Graal » de l’intelligence économique. Elle accélère, massifie, élargit, mais ne comprend pas. Elle reproduit des logiques ; elle ne les crée pas. L’analyse humaine reste indispensable pour trier, contextualiser, interpréter, surtout face aux hallucinations, aux biais et aux signaux faibles.

Ce qui change fondamentalement :

  • l’accès à des masses de données jusqu’ici inexploitables (réseaux militants sur Telegram, dark web, plateformes non indexées),
  • la capacité multilingue qui efface la barrière des langues dans la veille internationale,
  • la vitesse d’intégration qui transforme un analyste aguerri en force démultipliée… ou un non-expert en bombe à retardement.

L’IA donne de la puissance à celui qui sait déjà. À celui qui ne sait pas, elle donne l’illusion de savoir, ce qui est bien pire.

Données, modèles, souveraineté : la zone grise que les entreprises refusent de regarder

Le point le plus stratégique de la soirée fut aussi le plus frontal : avec le cloud et le SaaS, les entreprises ont glissé d’une maîtrise logicielle interne à une dépendance profonde envers leurs fournisseurs. Ce n’est plus un « arbitrage technique » mais une relation de vassalité juridique, économique et algorithmique.

Trois transformations silencieuses dominent :

  1. Vos données stratégiques ne sont plus chez vous.
  2. Vos processus métier deviennent des modèles captés par le fournisseur.
  3. Les lois extraterritoriales (Cloud Act, lois chinoises, etc.) transforment ces fournisseurs en passerelles légales pour des puissances étrangères.

Le Comex doit cesser de traiter ces choix comme des dossiers DSI. Ce sont des décisions de souveraineté : où se situent les actifs vitaux, qui les traite, et dans quel cadre juridique ?

Attaques informationnelles : l’IA donne des armes à des minorités hyper-motivées

Les exemples apportés par Alexandre Kahn ont rappelé une réalité que beaucoup refusent encore de regarder : quelques individus déterminés, armés d’IA, peuvent aujourd’hui déstabiliser une multinationale.

Un cas récent : une entreprise culturelle prise pour cible par des influenceurs idéologiques américains. Quelques milliers de comptes ont suffit, dont une part générée artificiellement, pour faire chuter des notes produits, perturber des équipes internes, modifier des indicateurs business et influencer la perception du marché.

L’IA a rendu cela possible via :

  • la création massive de faux comptes crédibles,
  • la génération automatique de contenus et commentaires,
  • la coordination d’attaques idéologiques, économiques ou militantes.

La contre-offensive n’est possible que pour ceux qui maîtrisent la cartographie des réseaux, l’analyse de l’empreinte numérique et les leviers d’influence. Les autres subissent.

Deepfakes, Shadow IA, fraudes : l’amplification des menaces

L’IA n’invente pas de nouvelles menaces. Elle rend les anciennes scalables, industrielles, difficiles à tracer et extrêmement rapides. Fraude aux présidents avec des vidéos deepfake, faux ordres de virement, usurpation d’identité dans des visios professionnelles, manipulation massive d’avis consommateurs, diffusion automatisée de fake news : tout cela n’exige plus un État, seulement un individu déterminé !

Le danger le plus sous-estimé reste interne : le Shadow IA. Quand des collaborateurs « bien intentionnés » utilisent des outils non autorisés pour gagner du temps, ils exposent malgré eux la propriété intellectuelle de l’entreprise. Pire : certains responsables sécurité achètent eux-mêmes des solutions étrangères contournant le cadre européen « parce que c’est plus efficace ».

L’IA ne fait pas courir un risque informatique. Elle fait courir un risque juridique, économique, réputationnel et stratégique.

États, entreprises et dirigeants : sortir de la naïveté et reprendre l’initiative

Sur le plan géopolitique, la conclusion de l’Amiral est sans ambiguïté : la compétition mondiale pour la maîtrise des données et des algorithmes est déjà une guerre économique. Les États-Unis et la Chine avancent à découvert. L’Europe, elle, avance à reculons.

Pendant que l’UE débat, les entreprises européennes transfèrent chaque année des centaines de milliards d’euros vers des acteurs extra-européens, valeur, impôt, données et savoir-faire inclus. Rester passif, c’est accepter d’être un marché captif.

Les dirigeants doivent désormais :

  • exiger une compréhension métier des choix technologiques,
  • revoir la cartographie des actifs critiques,
  • accepter de désoptimiser certaines parties du SI pour regagner de la résilience,
  • intégrer l’IA, la donnée et la souveraineté comme sujets permanents de gouvernance.

Cela nécessite un espace d’acculturation, de confrontation des points de vue, et d’anticipation collective.

Rejoignez le Club HEC Alumni Technologies Avancées

Le monde technologique change plus vite que la capacité d’adaptation des organisations et l’IA redistribue la puissance, l’influence, les chaînes de valeur,… : les dirigeants qui ignorent cela ne dirigent plus grand-chose.

Le Club HEC Alumni Technologies Avancées vous offre un lieu d’analyse stratégique où dirigeants, académiques, industriels et acteurs publics partagent leurs expertises. Si vous voulez comprendre, anticiper, et surtout rester maître de votre destin technologique, la porte est ouverte !

Silvia Carter et Monica Prieto-Langard

Co-Présidentes Club HEC Technologies Avancées

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