Pour rendre hommage à notre camarade, nous avons recueilli les témoignages de son épouse Agnès qui nous a parlé de l’homme, mari, père et grand-père, puis celui de Jacques Freneaux, HEC 68 qui fut son plus proche collaborateur pendant de très nombreuses années, et enfin celui de Boris Prassoloff, HEC 66 qui, dans le cadre de ses fonctions de directeur général du CIPS (Interprofession Sucrière), a croisé à de nombreuses reprises la route de Philippe et a suivi la construction du groupe Tereos.

Notre camarade s’en est allé dans le courant de l’été 2019 alors qu’il séjournait comme tous les ans sur l’île de Noirmoutier où il possédait une maison. Notre dernière rencontre remonte au 3 mars 2011, où il avait accepté de venir nous raconter comment une coopérative sucrière de l’Aisne était devenue le troisième acteur mondial dans le sucre. Il était revenu en 2012 participer au déjeuner du mois de janvier et ensuite nous ne l’avons plus revu. Il devait quitter la présidence de Tereos au profit de son fils Alexis en octobre 2012.Depuis la santé de Philippe s’est lentement dégradée, il ne prenait plus d’intérêt à rien.Ayant toujours aimé la marche, dans les premiers temps il a beaucoup marché seul mais rapidement il ne savait plus comment rejoindre son domicile. Notre camarade Régis d’Hérouville l’accompagnait souvent dans ses promenades au Bois de Boulogne.Philippe n’était lié intimement avec aucun d’entre nous, et lorsque j’ai cherché qui pouvait témoigner de sa personnalité dans notre promo, je n’ai trouvé personne, ce que m’a confirmé Agnès, son épouse. Et c’est grâce à Agnès que je peux aujourd’hui écrire ces quelques lignes pour parler de Philippe en dehors de son cadre professionnel, sujet qui sera abordé par ailleurs.Philippe était une figure de notre promotion, secrétaire du Bureau Thouard, il avait fait sa prépa à Louis-le- Grand venant de Saint- Quentin. Il avait deux sœurs aînées et un frère, cardiologue. Marié en 1969, il a pu fêter ses 50 ans de mariage. Avec Agnès, ils ont eu une première fille, puis des triplés, deux filles et un garçon, Alexis, HEC 01 qui est aujourd’hui à la tête de Tereos. Grand-père de 11 petits enfants, il s’en occupait beaucoup, allant les chercher à l’école et les faisant travailler tant que sa santé le lui a permis.Il a longtemps habité Saint- Quentin, ville à laquelle il était très attaché. Il avait d’ailleurs participé à l’édition d’un livre sur l’Art Nouveau à Saint- Quentin avec un architecte local. Son intérieur traduit bien l’intérêt qu’il portait à cette époque. L’acquisition de Béghin-Say conduit Philippe et Agnès à déménager à Paris, où il peut laisser libre cours à son amour de l’opéra, seule réelle fantaisie dans une vie presque complètement consacrée à Tereos.Ce sont les séjours sur l’île de Noirmoutier qu’il affectionnait particulièrement où la tension retombait et laissait place à la détente et à la convivialité. Il avait un caractère affirmé mais savait aussi faire confiance.À la fin de sa vie, il a fait totalement confiance à son entourage et à Agnès particulièrement sachant qu’il n’avait plus les capacités mentales pour maîtriser les divers aspects de la vie courante, il a lâché prise sans jamais faire preuve d’agressivité à l’égard de ses proches. C’était un camarade toujours souriant, sourire qu’il arborait lorsqu’il déambulait dans les rues de Paris, perdu dans son monde intérieur…
Olivier Devergne (H.66)

Inutile d’insister sur l’implication de Philippe dans son métier, ou sur sa vision stratégique. La trajectoire de la direction des Sucreries et Distilleries de l’Aisne à celle du groupe multinational Tereos le démontre suffisamment. Philippe Duval au travail, cela peut être résumé par cinq mots : rigueur, exigence, transparence, flexibilité et ténacité.Rigueur : je n’ai jamais vu Philippe Duval arriver en retard. Ni ne pas être prêt pour une réunion ou une communication. Ni faire attendre qui que ce soit pour un rendez-vous, le précédent sur son agenda eût-il été de grande importance. Exigence : tout en restant d’une courtoisie parfaite, il terrorisait ses collaborateurs par ses demandes de réponses sinon immédiates, du moins avec des délais extrêmement brefs. Et pas question de ne pas respecter ces délais. Ce qu’il voulait, il l’obtenait (presque) toujours, en donnant l’exemple. Car il était le premier auquel il demandait le maximum. Si on mettait une note dans sa boîte aux lettres le soir vers minuit à son domicile, on pouvait être sûr que le lendemain matin, dès 8 heures, il vous attendrait de pied ferme pour vous poser des questions.Transparence : il faisait partager toutes ses réflexions stratégiques. Que ce soit vis-à-vis de ses collaborateurs, des représentants du personnel ou des actionnaires, rien n’était laissé dans l’obscurité. En contrepartie il ne tolérait pas la dissimulation. Si une erreur était commise et lui était cachée, sa réaction était brutale. Si elle était confessée, son mot était : « Quand on a fait une c…, le mieux est de l’oublier le plus vite possible. » Précepte qu’il s’est appliqué à lui-même pour ses quelques (rares) échecs.Flexibilité : en corollaire de cette caractéristique de transparence, il ne s’estimait pas tenu par le passé. S’il changeait de stratégie, il défendait le nouveau point de vue avec autant de persuasion et de talent que le précédent. Changement d’objectifs, renversement d’alliances, il fallait suivre. Cela en a dérouté plus d’un. Ténacité : il était maître dans l’art de contourner les obstacles pour arriver à ses fins. Ou de revenir à la charge quelques années après, si l’objectif lui semblait toujours valable. Sa capacité de résistance était proprement ahurissante.En conclusion, quoique toujours tendu à l’extrême, il ne manquait pas d’humour. C’était un patron qu’on suivait avec enthousiasme.
Jacques Fréneaux (H.68)

Le grand mérite de Philippe est d’avoir commencé comme directeur d’une petite sucrerie coopérative du Nord de la France, de l’avoir parfaitement gérée (il était « né dans l’usine », que son père dirigeait avant lui), et de l’avoir développée avec rigueur et obstination jusqu’à en faire le deuxième groupe sucrier mondial. À ses débuts, il était regardé de haut par les grands groupes sucriers de l’Hexagone. Jouissant de la confiance du milieu agricole, il a commencé par absorber ou se regrouper avec des sucreries voisines : en 2000, le groupe comptait déjà 7 sucreries en France. Il a été le premier dans la profession à s’implanter à l’international en rachetant en 1992 une sucrerie tchèque. Anticipant l’émergence du Brésil comme géant sucrier mondial, il s’y implante également en s’associant en 2000 avec le premier groupe sucrier brésilien. Parallèlement, il diversifie les activités de son groupe en Europe par des joint-ventures dans l’activité de transformation des céréales en amidon, alcool et produits sucrants destinés aux industries agro-alimentaires. Son coup de maître est le rachat en 2002, avec la collaboration des organisations de planteurs, du numéro un historique du secteur en France, Béghin-Say ; le groupe est alors rebaptisé Tereos, tout en conservant la marque commerciale Béghin-Say. Il poursuit sa croissance externe en reprenant des sucreries au Mozambique, au Brésil, à La Réunion, et en rachetant les amidonneries de Tate & Lyle. En 2012, il s’implante par une joint-venture en Chine et acquiert une sucrerie en Roumanie. Après la retraite de Philippe fin 2012, la politique d’expansion a été poursuivie par son fils Alexis (H.01). Le groupe Tereos est la propriété de 12 000 associés coopérateurs, qui sont les agriculteurs approvisionnant ses usines françaises. Fin 2018, il exploitait 50 usines implantées dans 18 pays sur quatre continents, qui traitent trois matières premières principales : la betterave, la canne à sucre et les céréales. Tout cela a été accompli sans roulements de tambours, sans se verser des rémunérations indécentes, et sans dégâts sociaux lorsqu’il a fallu fermer des usines en France. C’est une vision, une détermination et un parcours qui forcent le respect.
Boris Prassoloff (H.66)

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