Maurice Marchand-Tonel nous a quittés en ce mois de mai 2019. Il était le major de notre promotion 1966, major d’entrée en bizuth, et major de sortie. Nous le connaissions tous, il nous représentait tous. À cette triste nouvelle, le sentiment étrange d’un vide soudain nous a étreints.

Robert Gravereaux dit : « nous sommes tous un peu orphelins. » Et Pierre Vanlerberghe ajoute : « Avec Maurice, c’est une partie de l’histoire de la promo qui s’en va. » Nous avons été plus de quarante à exprimer notre souvenir de Maurice par un mail à notre délégué, Olivier Devergne. Et notre souvenir est unanime : « notre major était un type bien », dit Alain-Pierre Schmid. Et, comme Olivier Netter qui dit : « c’était un modeste et un grand travailleur », Daï Le Thuc précise : « pour un major, il était modeste et réservé. »Voilà bien la singularité de Maurice. Il aurait pu être le major arrogant et lointain ; il était notre Major, chaleureux et proche. Pierre Bouchet dit : « ses qualités intellectuelles ne gênaient pas ses qualités de cœur. » Et Théophile Komaclo : « Maurice était un bon ami, simple et serviable. » Et Michel Derbey et Gérard Lissorgues disent : « il était un exemple, proche de nous et bon camarade. »Maurice, c’était une intelligence brillante, une grande culture, une présence et une attention aux autres, un humour aimable, une grande force de travail. Jacques Fouquet, évoquant son année de prépa à Lyon, dit : « J’ai des souvenirs personnels avec ce remarquable major. Très grand intellectuel. Maurice était un travailleur infatigable. Il écoutait constamment les radios anglaises pour parfaire ses compétences. » Et, pour l’anecdote, il ajoute : « L’année de notre préparation, il habitait l’immeuble mythique où les canuts se sont battus au XIXe siècle. Immeuble dit des 365 fenêtres, 7 étages, 12 allées, fruit d’un architecte fou. Lorsque j’allais le voir, il fallait grimper 6 étages avec des plafonds de 5 m de haut pour les métiers Jacquard. Ses parents étaient d’origine modeste et vendaient sur les marchés de Lyon. »

Se remémorant ses années à l’École, Benoît Marcilhacy dit : « il était bon en tout alors que je peinais dans plusieurs matières… Même si cette situation me faisait râler, j’admirais sa grande intelligence et ses facilités. » Et Claude Sorel écrit : « Nous nous retrouvâmes voisins de chambre à la Maison des Élèves de la rue de Tocqueville. Au long des années, nous cultivâmes une discrète, mais solide amitié. J’admirais sa brillante intelligence, son esprit de synthèse et son talent pour les réparties qui faisaient mouche. » Louis Gallois dit : « Maurice, au-delà de son intelligence exceptionnelle, cultivait de vraies valeurs éthiques. J’avais toujours un grand plaisir à échanger avec lui. » Daniel Fleury dit : « Pendant plusieurs années, Maurice m’avait systématiquement mis en copie sur des notes de réflexion du Boston Consulting Group. Il était d’ailleurs l’auteur de plusieurs notes, écrites avec clarté, humour et ce regard oblique, “out of the box”, qui est l’apanage de l’intelligence et de la curiosité intellectuelle. » Et Hervé Barbedienne : « J’ai travaillé avec Maurice de 1989 à 1995. Je veux dire ici combien Maurice était attachant. C’était quelqu’un d’une grande sensibilité, toujours à l’écoute, très fidèle. Je garde le souvenir d’une intelligence brillante, d’un homme de projets, très professionnel et féru de poésie ; il me semble qu’il pratiquait le haïku. »

Jean-François de Chorivit, délégué de la promo 1965, raconte. « Durant l’été 1969, Michel Chevalier, Maurice et moi-même avons travaillé ensemble au Boston Consulting Group, qui était alors une petite “boutique” de conseil créée quelques années auparavant par Bruce Henderson. Maurice est venu s’installer dans l’appartement que Michel Chevalier et moi occupions depuis septembre 1968 à Harvard Square. Tous les soirs, Maurice “travaillait” consciencieusement son anglais, reprenant les diverses expressions qu’il avait notées durant la journée sur un petit carnet. Le goût du travail bien fait… »

Maurice était aussi Master of Business Administration de Harvard Business School, et ses camarades nous écrivent ces quelques lignes, qui résonnent comme une synthèse de ce qui précède : « Maurice will be remembered for his outstanding clarity of mind and ability to transform ideas into action, his integrity, as well as for his attention to others, whether close or remote, for his loyalty and humor. We lose an exceptional friend. »Sa vie professionnelle a été particulièrement prestigieuse, internationale, diverse, comme la décrivent ses pairs de Harvard : « Maurice has been first and foremost a top flight strategy consultant to the owners and management of major companies in many parts of the world, initially with the Boston Consulting Group (1970-78) where he opened the Paris and Munich offices, later with Monitor (1997-2000), Arthur Andersen (2000-2012), and on his own, publishing a noted book on corporate strategy in 2002 in both the US and France. Believing in putting his vision and advice into practice, he was also to serve as CEO of such French companies as Sommer-Allibert, Transalliance, Ciments Français and Givenchy.Still active, he was a director1 of Essilor International and Faiveley as well as the long-time chairman of the European-American Chamber of Commerce. He was at heart both French AND American, insisting on this double bond and accordingly spent his time between France and the US (Florida). »

Certains d’entre nous ont été proches de Maurice depuis toujours. Ils ont voulu partager avec nous leur amitié et leur peine. C’est Jacques Rouayroux, qui s’adresse à Claude, l’épouse de Maurice : « Bonjour Madame, Je crois que nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais si je n’ai pas vraiment fréquenté Maurice au cours de nos années HEC, j’étais trop mal classé, c’est lui qui m’a recruté en 1981 pour que je vienne le rejoindre dans ses années SCOA. C’est encore lui qui m’a permis de rentrer à la Compagnie de Suez en 1984. […] Depuis, nous n’avons cessé de nous voir et de déjeuner ensemble au moins une fois par an. Je lui serai toujours reconnaissant de l’orientation qu’il a donnée à ma vie. Au-delà de ces rapports professionnels, nous avions une complicité Champsaurine(2) car j’ai passé de nombreuses vacances de jeunesse à traîner dans la montagne d’Orcières(3), en particulier autour des Audiberts(4). À l’automne dernier je lui ai proposé un pèlerinage dans sa vallée et il m’a répondu que, la neige une fois fondue et quand il serait de retour, nous pourrions envisager ce voyage… Je pensais que le moment était venu de lui rappeler ce projet, mais c’est un bien autre voyage que l’on vient de m’annoncer ce matin… »

Et Michel Tardieu écrit à son ami : « Cher Maurice, cher ami, Le choc d’apprendre ta disparition si brutalement ce matin alors que nous avions partagé un de nos déjeuners réguliers il y a exactement un mois, le 2 avril, m’a laissé effondré. Tu avais eu des alertes, une santé fragilisée, mais tu vivais comme si de rien n’était, te déplaçant avec vigueur malgré tes soucis physiques. Je te revois encore quittant un restaurant où nous avions comme d’habitude échangé sur tout ce qui nous passait par la tête, librement et franchement, courant après ton bus qui allait repartir, appuyé sur ta canne, comme si tu avais toujours 20 ans. 20 ans, l’âge où, au sein du comptoir que nous partagions, notre amitié s’est nouée, notamment au fil de quelques travaux communs pour Matthiex notre remarquable prof de “méthode”. J’habitais près de Saint-Augustin et tu revenais souvent déjeuner à la maison déguster avec régal les bons plats que ma mère nous préparait. Vous aviez une affection réciproque. Malgré Harvard, et les hautes sphères que tu fréquentais, tu ne ratais jamais nos déjeuners parfois moins fréquents mais toujours aussi spontanés, parenthèse détendue et refuge de vérité profonde et de liberté dans un monde professionnel souvent plus rude et moins naturel. Nous refaisions ce monde, nous échangions les nouvelles, tu me disais ton bonheur de partager ta vie avec Claude, évoquions nos familles, les souvenirs souvent lointains tant ta mémoire était vive et forte. Tu me parlais avec émotion des Hautes Alpes, une de tes racines familiales à laquelle tu tenais par-dessus tout. J’ai vu aussi croître ton attirance pour les États-Unis que tu rêvais de plus en plus de faire partager à Claude, ton épouse adorée, qui ne t’a suivi en Floride que plus tard quand elle a un peu levé le pied, il y a quelques années, de son activité débordante de médecin gynécologue. C’est dans cette résidence que tu aimais tant, face à l’Atlantique, dans ce milieu marin où tu évoluais avec plaisir, que tu nous as quittés. Notre amitié a été tissée ainsi de ces mille fils éternels. Ce temps qui passe bien vite et les décades qui tournent vont nous apporter de plus en plus d’absents et il ne sera plus utile de pointer pour eux comme nous le faisions parfois à la pointeuse de Malesherbes. Mais personne n’oubliera le brillant major qui courait après les professeurs que nos chahuts occasionnels avaient viré de l’amphi. Le professeur Vedel s’en souvient sûrement encore et il t’en parlera sans doute si vous vous retrouvez dans cet ailleurs que nous ne savons pas. Au revoir, cher Maurice. La chaleur de notre promo 66, les moments amicaux que nous sommes nombreux à partager grâce à nos délégués si inventifs permettront de poursuivre avec ton souvenir et ta mémoire les bouts de chemin que nous parcourions ensemble. Mes pensées vont avec force vers Claude et tes trois enfants et ils savent que je suis de tout cœur avec eux. »

1. Administrateur. 2. Le Champsaur est la haute vallée du Drac, au sud du massif des Écrins. 3. Orcières est un village du Champsaur. 4. Les Audiberts sont un hameau d’Orcières, à 1 460 m d’altitude.

La promotion HEC 1966 – Mise en forme par Jean-Jacques Decléty et Jean-Pierre Richard

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