Jean-Pierre nous a quittés le mois dernier sans crier gare, laissant derrière lui une épouse, Martine, et trois enfants et quatre petits-enfants, dont la dernière grandira sans son papy… Il nous laisse nous aussi, la promotion HEC 1962, dont il était le probable cadet. On était le 18 janvier 2021 : il avait été admis 14 jours plus tôt à la clinique de Bourg-en-Bresse pour insuffisance respiratoire, et tout alla trop vite. Après sept jours d’isolation, alors qu’il s’apprêtait à sortir, il attrape le Covid-19, qui ne lui laisse aucune chance. Il souffrait déjà d’un emphysème, causé par la cigarette, qui venait tout juste d’être diagnostiqué comme grave. Jean-Pierre nous a tous quittés discrètement, comme il avait vécu, avec une réserve toute bressane. Par ces temps de batteurs d’estrade et de passions débridées, lui était un taiseux, mais de ceux qui ont quelque chose à dire. Au cours de nos discussions, on le voyait ruminer en silence les arguments des uns et des autres. Il finissait par nous livrer, en bougonnant un peu, son opinion en phrases sobres pesées au trébuchet, à la façon d’un oracle.

Assez vite après l’entrée à HEC, nous avons fait partie du même cercle, sur-tout composé de provinciaux. C’était le temps où le provincial faisait florès sur les bancs de l’École. On entendait des accents du sud de la Loire, c’est dire l’ouverture… J’espère qu’elle continue. En français on dit « province », en anglais on dit « les provinces ». Ici, on est de Paris ou pas, tout le reste, province, étranger, est ténèbres extérieures. Il nous a fallu à nous, les personnes déplacées, un certain temps pour comprendre à quel point notre vie avait changé, par rapport à celle des camarades parisiens. Après tout, ils avaient seulement changé de station de métro. Forcément, ça rapproche. L’été 1961 nous sommes quatre (quatre provinciaux !) à faire le tour de la Corse en deux voitures : Jean-Pierre Bedu, André Séréno dit « le Capitaine », Robert Aberlenc qui prononce si bien le provençal, et Jean Nègre. Il s’agit d’effectuer une étude détaillée du tourisme en Corse : la situation actuelle, les formules, les atouts, les perspectives… Cette étude, qui nous tiendra lieu de rapport de stage, fera partie de la « plaquette HEC » de 1962, consacrée cette année-là au « Nouveau touriste ». Interviews d’hommes politiques, vi sites de camps de vacances où nous nous attardons en sociologues consciencieux… Nous apprenons les « spécificités locales », comme les arrêtés Miot (1802). Et nous goûtons régulièrement aux joies de la démocratie citoyenne participative pour décider où planter les deux tentes… L’hiver 1961, nous voici à la neige avec Pierre Heslouin, lui aussi disparu… Bien plus tard, nous fêterons ses 60 ans sous une grande tente caïdale à Bourg-en-Bresse.Jean-Pierre a une scolarité tranquille à l’École. Comme moi, il passe en parallèle une licence en Droit sans jamais mettre les pieds dans un amphithéâtre. Heureusement, il y a les polycopiés et les travaux pratiques obligatoires du jeudi soir rue Soufflot.

À la fin de l’École, il reste une année pour finir la licence en Droit, et Jean-Pierre s’inscrit en même temps à Sciences Po. Après de belles carrières chez Saunier-Duval puis chez Good-year au poste de secrétaire général, il prend en 1977 la direction de l’entreprise familiale de transport et déménagement Dupont-Bedu (« Je suis capitonné ») à Bourg-en-Bresse, revendue en 2006. Une retraite tranquille commence, entre Bourg-en-Bresse et le joli chalet de Megève. La culture universelle du lecteur ciné-phile (2000 films numérisés !) lui permet d’être à l’aise dans toute discussion.D’un premier mariage avec Claudette, il laisse deux enfants, Olivier et Isabelle, et trois petits enfants, Suzon, Laurine et Yannis. En 1990, il épouse Martine qui lui donnera Sacha et une petite-fille, Lison, née en août 2020. Avec l’ami discret mais affectueux, jamais nous ne nous sommes perdus de vue. Aucun de ceux qui l’aimaient n’a vu venir cette mort brutale qui nous laisse abattus et tristes. Une vie.

Jean Nègre (H.62)

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