Dominique Simonpierre Delorme avait travaillé pour l’imprimerie, l’édition et diverses TPE/PME avec plus ou moins de bonheur.

Il avait présidé un foyer culturel breton à Paris dans les années 1975/1985. Un hommage lui a été rendu sur le site Breizh Info.

Il fut veuf très tôt et devint ensuite apiculteur amateur, membre d’associations de défense et de promotion des insectes. Il était aussi passionné, depuis son enfance, par les études de comportement, par l’éthologie et par les langues diverses et variées qu’il traduisait ou jargonnait. En bref, la diversité linguistique, ethnique, biologique.

Il rédigeait depuis presque vingt ans une revue de presse internationale dans la revue Abeilles et fleurs, ainsi que des articles dont quelques-uns avaient été mis en ligne sur le blog Les Belles Histoires et où d’autres suivront. Il fut très investi dans la vie apicole parisienne, contribuant à la naissance de plusieurs ruchers, intervenant dans des écoles ou des jardins partagés.

Il lisait énormément et était très curieux, exigeant intellectuellement, sensible. La bonne entente de ses trois enfants et de ses huit petits-enfants lui tenait particulièrement à cœur.

Le maître des abeilles a rejoint ses avettes.

Son fils, Kilian Delorme

 

E koun DSD

Kile ker. Comme tu le sais, l’éloge funèbre est un genre passé de mode, et qui se ramène bien souvent à un tri entre ce qui peut être dit, et ce qui est moins recommandé, ou est censé ne pas l’être. Or, cinquante ans de fréquentation forment comme une ambiance où les menus événements ont autant de résonance que les grands. Ce lissage où l’on ne peut choisir, cela s’appelle l’amitié. Tu comprendras aussi que j’aurais du mal à évoquer ces moments de ma vie familiale auxquels tu as été associé, présence dont je te remercie. Tu m’excuseras de n’en pas parler.

Je retrouve ces lignes, que tu avais écrites pour la mort du militant breton Jean Kergren, et je les recopie délibérément : « Il y a dans la préface de la pièce Ar Baganiz « Les Païens », de l’écrivain brestois Tanguy Malmanche, une phrase qui dit : « Il y a en tout Breton du prêtre, du maître d’école et du gendarme ; du prêtre, parce qu’il croit volontiers à l’incompréhensible, du maître d’école, parce qu’il aime à faire partager aux autres sa croyance, et du gendarme, parce qu’il a dans sa façon de l’exprimer quelque chose de péremptoire. » Voilà qui aurait pu assez bien s’appliquer à ta personne, à condition de prendre ces figures pour des métaphores d’autrefois. Ta religion, ce fut d’être fidèle à la pensée quand elle est droite, à la parole quand on la croit juste, à l’action quand on la juge bonne, sans renier la part qui nous dépasse dans le mystère de la vie. Ton école, ce furent, entre autres activités, des cours de breton dispensés souvent à pas d’heure, et sans compter. Quant au péremptoire, il était de facture FLB, c’est tout dire, et la rigueur se faisait sentir, disons à point nommé, et avec passion, comme lorsque certains contradicteurs étalaient leurs préjugés fransquillons sur les sujets qui nous rassemblent : nos langues ethniques, l’Alsace-Moselle, que tu affectionnais, l’idéologie française que nous avons ensemble décortiquée au fil des discussions, et l’Europe comme grand-peuple et unité de civilisation, contre les États-nations, machines à broyer les identités. Tu étais capable de te fâcher tout rouge contre le mur de l’imbécillité hexagonale, de quelque côté qu’en soient les mauvais ouvriers. Je dis bien : de quelque côté.

L’Europe ? Il n’était pas facile, sans doute, de se rattacher à une souche culturelle évidente dans ces années d’après-guerre qui voyaient partout se propager le grand reniement des patrimoines, la honte de soi inculquée par les maîtres de l’heure, le bouleversement des mœurs et des coutumes, qui s’est accru comme l’on sait par la suite. Double choix risqué : une patrie ethno-culturelle, conception établie par nos anciens, et une grande aire partagée : l’Europe aux cent drapeaux. Et l’idée de passer de la théorie à la pratique, culturelle, politique, activiste.
Cela se fit, dans ton cas, avec le secours providentiel de tes séjours brestois – Mil meuriad houl a goumoul du / a blav hevelep a bep tu… – , et par ta rencontre avec Jacqueline Duval, de Brasparts, ton épouse. Je me souviens de son attention constante, de l’expression réprobatrice qu’elle prenait lorsque tu disais une bêtise, a c’hoarveze a wechoù ganez, sage rappel à la mesure. Il y a quelques années, l’occasion s’étant présentée d’une façon plaisante, cela me vint sur le coup : « J’entends la voix de Jacqueline qui te dit : « Oh, mais enfin…” ». À cette évocation spontanée, nous fûmes bien d’accord que les morts sont là et vivent d’une certaine façon à nos côtés.
Je n’évoquerai pas les nombreux amis, les vrais, les moins vrais, qui gravitaient autour d’activités bretonnes qui t’étaient tombées sur les épaules et que tu avais assumées. Ce fut l’occasion de nombreuses rencontres, certaines fructueuses. Par exemple nous n’oublierons pas que ce sont nos cours de breton qui ont aidé dans sa quête le lexicographe et éditeur Martial Ménard, et d’autres, ce qui confirme la sentence : « La raison dit non, la volonté dit oui. » Quand aux amitiés proprement françaises qui purent se tisser ici et là, elles n’effacèrent jamais les principes fondamentaux. « Nous refusons tout succursalisme », fut une de tes formules. Quand je te l’ai rappelée il y a peu, tu ne te souvenais pas qu’elle était de toi (« Moi, j’ai dit ça ? »), mais tu la trouvas très bien.
Contacts avec des amis flamands chaleureux et attentionnés, avec des Basques et des Corses ainsi qu’avec des Ukrainiens, qui dans leur exil combattaient alors le système soviétique, ces années soixante-dix et quatre-vingts furent une transition, entre les sociétés encore stables du début du XXe siècle et la grande confusion actuelle. Peu importe. Ce qui reste vrai, ce sont les paroles d’un ancien, que « la plus haute politique est de sauver et de servir la nature de son peuple ».
De cela, il est résulté aussi une famille bretonnante que nous avons vue croître, dont les rameaux raniment ou restaurent cet esprit du pays, Spered ar Vro, qui devrait animer tout Européen en chaque cercle d’appartenance, où qu’il se trouve. Comme tu te plaisais à le dire : « L’innovation d’aujourd’hui, c’est la tradition de demain ».
Kenavo, keneil, ra vo digor dit porzh inizi Kornôg, lec’h ma vod an Eneoù e Gwerelaouenn hon Gwenved.

Philippe Jouët

Au paradis des abeilles

C’est avec tristesse que nous avons appris ton départ, le matin du dimanche 7 mai 2023, au paradis des abeilles. Notre première rencontre a eu lieu en 2003, au rucher école de la Société centrale d’apiculture. Ensuite, c’est une succession de créations de ruchers associatifs qui existent encore à ce jour.

En 2006, avec Emmanuelle Chardin, vous mettez en place un rucher dans le Jardin de l’Aqueduc, dans le 14e arrondissement, un complément au jardin partagé du même nom. La particularité de ce rucher est de faire découvrir aux enfants des écoles du quartier le monde des abeilles. Tu participes aussi à la vie du jardin partagé, tu as d’ailleurs fait partie du conseil d’administration de l’association. Dans le même temps, tu redonnes de la vigueur à l’association L’Abeille parisienne en aidant Jean-Jacques Schackmendès et son rucher du parc Kellermann (dans le 13e), le rucher Ineo à Montrouge et le rucher rue du Cotentin, dans le 15e arrondissement.

Avec Gilles Roux, dans le cadre d’un évènement sur l’écologie, tu installes un rucher éphémère au square Villemin, dans le 10e arrondissement. En accord avec le directeur de l’hôpital Saint-Louis, dans le 10e arrondissement, aidé des jardiniers du site, tu crées un rucher.

Tu as aidé aussi les jeunes. Il y a dix ans, avec Fabien Soliveres et Gilles Roux, tu participes à la création du rucher associatif, Les Abeilles de la Commune, du square Henri-Karcher, adossé au cimetière du Père-Lachaise, derrière le mur des Fédérés, dans le 20e arrondissement.

Tu as écrit de nombreux articles dans la revue de l’Unaf, Abeilles et fleurs, ces piges que tu partageais car tu étais généreux.

On ne peut pas évoquer ton souvenir sans dire quelques mots de tes différentes automobiles, toujours encombrées de matériel apicole. Comme tu étais serviable, tu me proposais, après chaque intervention au rucher, de me ramener chez moi en me faisant une petite place dans ta voiture.

C’est d’ailleurs ensemble, dans une de ces voitures où nous transportions une ruche peuplée, que nous avons été arrêtés. Tu déclares que tu as oublié les papiers du véhicule. J’ai eu très peur à ce moment-là mais, habilement, tu as convaincu les policiers de nous laisser partir !

Ton grand regret, je pense, c’est d’avoir tardé à te faire opérer du genou. Ces dernières années, tes déplacements se sont considérablement réduits et t’ont éloigné des ruches et de certains amis qui habitent loin.

Il m’est arrivé de faire appel à tes connaissances en entomologie et je te remercie d’y avoir répondu.

Voilà relatée en quelques lignes ton activité dans le monde apicole. Chacun pourra le constater, tu n’as pas démérité, tu n’as ménagé ni ta peine ni ta générosité. Souvent, lorsque deux apiculteurs échangent, ils se fâchent ; tu ne faisais pas partie de cette caste, toujours de bonne humeur, alors nos échanges étaient amicaux.

Cher Simonpierre, au nom des associations L’Abeille parisienne, le Jardin de l’Aqueduc, Les Abeilles de la Commune, nous te souhaitons une longue vie au paradis des abeilles.

Patrick Le Béguec 

 

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