HEC United : rencontre avec le chapter Liban à Beyrouth
Nous sommes trois étudiants du programme Grande Ecole d’HEC (H.23), Samuel Calef, Pierre-Augustin Fehr et Matthieu Delsart. Pour notre deuxième année de césure, nous avons choisi de reprendre le projet HEC United. L’objectif : partir à la rencontre des alumni à l’international et partager leurs parcours avec les alumni. Au fil de nos 6 mois de voyage, nous avons prévu de nous rendre dans 9 pays. Après le Sénégal, direction le Liban où la dynamique communauté alumni semble bien décidée à aider le pays à surmonter les difficultés. À Beyrouth, nous avons la chance d’assister à une réunion du Chapter Liban. Chacun de ses membres nous livre sa vision de la crise actuelle et sa manière d’envisager le futur.
Avec une escale de 6 heures à Istanbul, le voyage du Sénégal au Liban a décidément été éprouvant. C’est donc avec émerveillement que nous voyons apparaître par le hublot les montagnes au-dessus de Beyrouth, alors que notre avion descend vers l’aéroport Rafiq Hariri. Nous passons les premiers jours à explorer la ville, entre découvertes de délicieux mezzés et prise de conscience de l’ampleur des difficultés que traverse le pays – depuis l’explosion du port, l’Etat ne distribue presque plus d’électricité aux Libanais, réduits à acheter des générateurs individuels quand ils le peuvent. Après plusieurs rencontres passionnantes avec des alumni sur place, la présidente du Chapter, Tina El Boustany (H. 99), nous propose d’assister à la réunion mensuelle du “board” du Chapter Liban ; l’occasion pour chacun de ses membres de nous faire part de ses perspectives sur la crise actuelle.
Un des membres du board, Zaid, a gentiment proposé d’accueillir la réunion dans les locaux du fonds d’investissement où il travaille. Alors que la nuit tombe, nous nous dirigeons donc vers les immeubles rutilants de Zaitunay Bay, où un quartier d’affaires, des centres commerciaux et un marina de luxe ont été édifiés au tournant des années 2010. Nous arrivons parmi les premiers, en même temps que Tina El Boustany, la présidente du chapter Liban, qui nous accueille avec un grand sourire. Celle-ci a été élue au début de l’année dernière avec des ambitions de renouvellement pour le Chapter, en intégrant notamment les jeunes générations et la diaspora. Alors que les autres membres du board arrivent et s’installent, elle nous livre sa vision des choses :
« Au cours des dernières années, le Liban a traversé une crise économique difficile. De nombreux alumni ont perdu du pouvoir d’achat et l’accès à leurs économies, alors qu’ils sont souvent le principal soutien financier de leur famille. Beaucoup d’entre eux ont décidé de partir ou de commencer leur carrière ailleurs. Mais je pense que le Liban est aussi un pays plein de talents et de potentiel, un pont entre l’Orient et l’Occident, et une fascinante école de la diversité au quotidien. Les périodes de crise sont des moments où nous sommes mis au défi de découvrir de nouvelles opportunités. C’est le moment de prendre soin les uns des autres et de créer. Je crois que l’amour est le meilleur moteur de la créativité et qu’un réseau solide et des partenariats fondés sur la confiance peuvent grandement contribuer à atténuer les risques de n’importe quel pays.”
Ces difficultés du quotidien et la force de l’entraide qui règne entre les membres de leur communauté, ils sont nombreux à les évoquer. Au fil des alumni qui rejoignent le cercle et des prises de paroles, nous comprenons peu à peu comment leurs histoires personnelles s’entremêlent avec les épisodes qu’a connus le Liban au cours des dernières années, entre différentes crises et périodes fastes. Chez Nadine Mendelek (H. 05) par exemple, qui a commencé sa carrière comme économiste pour le PNUD dans les années 1990 avant de lancer son propre cabinet de coaching pour dirigeants. Elle prend la parole avec émotion :
“J’ai quitté le Liban au début de la guerre civile de 1975, lorsque j’étais enfant, et je n’étais pas sûre de revenir un jour. Mais lorsque mon père est décédé il y a quelques années, je me suis rendue compte du lien émotionnel profond qui me liait à cette terre, et j’ai décidé de partager ma vie entre Beyrouth et Paris. Aujourd’hui, ma ténacité et ma résilience sont motivées par mon amour pour le Liban, mon désir d’inspirer les gens à penser positivement et à exceller dans un esprit d’équipe, et ma détermination à ébranler le statu quo et à encourager le changement nécessaire et urgent.”
Ces liens profonds entre histoire personnelle, histoire familiale et histoire du pays, Roba El Ahmadie (H. 17) les ressent aussi. Après avoir grandi en Afrique parmi la diaspora, elle est rentrée au début des années 2000 pour ses études avec sa famille, et est depuis restée en se spécialisant dans les ressources humaines. Selon elle, c’est précisément cette dimension affective qui explique son attachement au Liban et son souhait d’y rester, qu’elle lie à son implication dans la communauté alumni :
“J’ai choisi de rester au Liban pour demeurer auprès de mes parents dans un pays qui n’offre aucune protection sociale aux personnes âgées. Aujourd’hui, je dois une grande partie de ma détermination à mon père, qui a choisi de quitter le Liban en 1964 à la recherche d’une vie meilleure pour sa famille et est revenu dans son pays après 55 ans. La profondeur de l’attachement que je ressens pour ce pays a alimenté mon désir de partage et de rendre la pareille. Pour moi, faire partie du Chapter Liban est ma façon de rendre service à HEC et au Liban, et particulièrement en ces temps difficiles, en aidant ceux qui sont en recherche d’emploi à entrer en contact avec des employeurs locaux ou des professionnels du même secteur (des alumni HEC). De la même manière, je suis en contact avec les alumni qui vivent à l’étranger afin de les encourager à offrir des opportunités d’emploi à distance pour ceux qui ont choisi ou n’ont pas d’autre choix que de rester au Liban. »
Au fur et à mesure que les membres du Chapter rassemblés là prennent la parole pour nous raconter leurs expériences, nous comprenons que leur choix de s’impliquer dans la communauté Alumni est aussi, pour beaucoup, étroitement lié à leur désir d’aider le pays et ses habitants à se relever de la crise. Pour eux qui ont choisi de rester, la communauté HEC a un rôle éminent à jouer pour aider à aller de l’avant, en s’appuyant sur les domaines d’activité spécifiques de chacun. Par exemple pour Nadine la formation au plus haut niveau, notamment des femmes, ou pour Roba les ressources humaines, domaine primordial dans un pays qui enregistre à la fois chômage de masse pour les jeunes et fuite des cerveaux. Pour tous, leur expertise est un moyen de changer les choses et un message d’espoir.
C’est aussi le cas pour Elsa Aoun (H. 07), entrepreneuse dynamique qui a fondé avec son mari Wassim, également alumni HEC, une série de groupes actifs au Moyen-Orient dans la beauté et le healthcare. Logiquement, ses domaines d’action privilégiés sont la jeunesse et l’innovation. Elle évoque notamment l’action du board en faveur des jeunes entrepreneurs libanais, par la création il y a trois ans du Prix ESA-HEC Entrepreneur, qui donne accès aux gagnants à l’incubateur de Station F.
“Mon engagement au sein du board se fait d’abord pour les jeunes. Pour ceux qui ont décidé de poursuivre leurs études à l’étranger, réussir leur intégration dans un parcours d’excellence à-travers un meilleur accès à l’information, la mise en relation avec d’autres promotions et le partage d’expérience. Et pour ceux qui, comme moi, ont décidé de rentrer ou qui ont simplement choisi de rester au Liban, développer l’entrepreneuriat et l’innovation comme des vecteurs de croissance, de création d’emploi, et d’espoir. J’espère qu’avec l’appui des alumni et de la communauté HEC, nous créerons davantage d’initiatives (mentoring, conseil, accès au financement) pour le développement de l’entrepreneuriat au Liban.”
Pour Philippe Chalu (H. 03) et Zaid Midani (H. 12), qui a eu la gentillesse de nous accueillir, c’est aussi dans leurs domaines d’expertises qu’ils peuvent aider le plus. Mais, pour ces deux financiers dans la quarantaine qui partagent leur vie entre Beyrouth et les pays du Golfe, l’endroit où ils peuvent être le plus utile est avant tout sur le plan financier, alors que le pays fait face à une grave crise de liquidités, et par la mobilisation de leurs réseaux. Philippe évoque ainsi le rôle qu’il a joué en contribuant à fonder le Chapter de Dubai, en 2007, et les liens forts qui unissent le Liban aux places financières du Golfe. Pour lui, ces liens à l’international, très anciens dans le cas du Liban peuvent s’avérer cruciaux pour aider à collecter des capitaux :
“Grâce à mon expérience en matière de levée de fonds et de financement structuré, j’aimerais aider les startups à trouver des financements en dehors du Liban, compte tenu de la crise du secteur bancaire et des limites des fonds de capital-risque. »
Zaid, qui évoque son engagement de longue date au sein des alumni MBA, ne dit pas autre chose sur l’importance de regarder au-delà des frontières du pays pour tenter d’en résoudre les problèmes. Selon lui, le board du Liban doit jouer un rôle clé d’interface avec l’étranger, et son expérience en finance lui permet aujourd’hui de conseiller des acteurs divers au service du pays :
“L’une des principales raisons pour lesquelles j’ai rejoint le board d’HEC Liban est la passion que j’ai de contribuer à aider les ONG et les communautés sous différents angles, du conseil au volontariat.”
Il évoque notamment la façon dont il a accompagné plusieurs étudiants MBA en les conseillant, et une plateforme de mentorat pour les start-up libanaises qui seraient en cours de réflexion. On comprend que, pour ces deux-là qui, comme Nadine, partagent leur vie entre plusieurs pays et sont partiellement installés à l’étranger, l’international n’est pas une manière de prendre de la distance avec le Liban mais bien d’être plus efficaces au service de leur communauté. La volonté d’agir comme un lien pour aider le Liban à sortir de la crise revient au fil des prises de parole, parallèlement à l’importance historique de la diaspora libanaise à l’étranger. Cette diaspora, dont beaucoup ont fait partie à un moment ou un autre, le Chapter tente de l’intégrer pour renforcer son rôle de plateforme. Et, à les voir, vivre partiellement hors du pays n’est pas du tout incompatible avec un profond engagement en faveur du Liban.
Le dernier membre du board, Mansour Azar (H.03), a d’ailleurs insisté pour nous faire parvenir un message alors qu’il était à l’étranger le jour de la réunion. Selon lui comme pour les autres, la communauté alumni a déjà commencé à impulser une nouvelle dynamique qui va, il l’espère, contribuer à modifier les anciennes manières de penser et favoriser le renouvellement.
« Je suis rentré en mai 2020 au Liban, pendant les efforts de rapatriement dus à la pandémie. J’étais alors loin de me douter que cela marquerait la conclusion d’un chapitre de 10 ans en tant qu’entrepreneur en Afrique de l’Ouest. Beyrouth, notre ville et ses habitants étaient à peine reconnaissables, les crises multiples avaient fait des ravages. Il était clair pour moi que les anciens modèles de pensée ne fonctionnaient plus, nous avions besoin de meilleurs moyens pour éduquer, créer de la richesse, gérer les conflits, et renforcer la cohésion sociale. Pour moi, il était important de participer à de nouvelles solutions, quelle que soit l’échelle. Mon engagement auprès des alumni HEC s’inscrit dans l’espoir de construire une communauté dynamique et talentueuse. L’un de mes objectifs est de tirer parti des talents pour soutenir des projets et initiatives ayant un impact social. L’enthousiasme était palpable chez de nombreux alumni que nous avons rencontrés cet été. Nous pouvons renforcer notre communauté en regroupant des membres qui partagent les mêmes idées au sein d’un groupe de travail sur l’impact social, afin d’identifier, de soutenir et de développer des initiatives. En particulier celles de l’économie numérique et de l’économie verte. »
Tous semblent partager ce sentiment d’être à la croisée des chemins et, en voyant cette conviction de pouvoir améliorer les choses qui les anime, nous nous disons que nous aimerions bien les aider à notre échelle si nous le pouvons. Alors, tandis que les différents alumni dans la salle ce soir-là commencent à rassembler leurs affaires pour aller poursuivre la discussion autour de quelques mezzés, Tina prend une dernière fois la parole pour nous charger de transmettre un message :
“Je souhaite que le Chapter du Liban devienne une référence de confiance pour tous les anciens d’HEC et les aide à identifier les opportunités, qu’ils choisissent de rester dans le pays, de revenir ou de construire des ponts entre le Liban et d’autres pays. Ensemble, je crois que nous pouvons aider à créer un modèle durable et plus équitable, et contribuer à la construction de la paix. Au-delà du networking occasionnel, nous cherchons à créer un cadre où même les alumni très occupés par leur travail peuvent apporter et recevoir dans un esprit de convivialité et de fraternité intergénérationnelle. Par ailleurs, je souhaite que l’ensemble de la communauté des alumni HEC découvre la beauté du pays et du terroir. Célébrons les valeurs d’authenticité et d’intégrité et mettons en jeu les complémentarités entre le Liban, l’Europe et le Moyen-Orient ! Que vous soyez un mentor, un business angel, un connecteur, un recruteur, un expert, un business owner cherchant à se développer, un donateur, un conseiller politique ou simplement un alumni curieux et intéressé par le Liban et la région : rejoignez-nous ! Nous envisageons de créer des comités ouverts à tous, où tous les alumni et même leurs amis sont les bienvenus.”
Tina El Boustany (H.99) – Head of Grants and Financial Controls WE4F Program chez Berytech Nadine Mendelek (H.05) – International Executive Leadership Coach and Change Therapist
Roba El Ahmadie (H.17) – HR Director Lebanese Air Transport (Charter)
Elsa Aoun (H.07) – Co-Founder and COO at Parallel Health and Beauty (Ounousa, Sohati and Loolia)
Zaid Midani (H.12) – Vice President at Capital Guidance
Philippe Chalu (H.03) – Financial Advisor on Investments and Capital Markets
Mansour Azar (H.03) – Economic Development Consultant
Published by Matthieu Delsart