Après être passée par une licence de droit classique à Panthéon Assas, été diplômée de l’Ecole W et avoir suivi deux cursus au sein de la Grande Ecole, Gabriella Kern poursuit l’exemplarité de son parcours en se jetant à corps perdu dans l’humanitaire. À la tête de l’association Origine, elle aide les adoptés du monde entier à retrouver leurs racines, un écho poignant à sa propre quête identitaire.

 

Gabriella Kern fonde Origine en s’inspirant de sa propre histoire. Elle-même adoptée en Colombie, alors qu’elle avait tout juste quatre mois, elle est la mieux placée pour connaître les défis auxquels sont confrontés ces enfants. « J’ai toujours su que j’avais été adoptée. J’ai la chance que mes parents adoptifs aient toujours été transparents avec moi sur le sujet. Depuis toute petite, des milliers de questions tourbillonnaient dans ma tête : Si je ne ressemble pas à mes parents, alors à qui je ressemble ? De qui ai-je hérité mes cheveux, la couleur de mes yeux ? Je voulais trouver ces réponses. », affirme la jeune femme déterminée.

 

Deux destins réunis grâce à Facebook

 

La jeune femme d’aujourd’hui 28 ans, passe des années à attendre la date fatidique où elle pourrait commencer les démarches pour retrouver ses géniteurs : ses 18 ans. Le jour même de son anniversaire, elle s’empresse de demander aux services sociaux colombiens de lui faire parvenir son dossier. Rapidement, un mail arrive. Huit pages de fichiers retraçant son histoire défilent alors sous ses yeux. « J’ai découvert pourquoi j’avais été abandonnée ; c’était pour des raisons financières que mes parents biologiques ne pouvaient pas me garder. A partir de là, je n’avais pas vraiment d’autres options que de faire confiance à un détective privé pour retrouver ma mère. », se souvient-elle.

Malheureusement pour elle, l’enquêteur brise ses rêves de retrouvailles lorsqu’il lui annonce qu’il n’a pas été en mesure de retrouver sa trace. Selon lui, elle était soit disparue, soit décédée… Fermement décidée à renouer avec ses origines, Gabriella ne s’avoue pas vaincue et garde espoir de la retrouver, s’accrochant désespérément à l’idée que 36 ans, c’est tout de même trop jeune pour qu’elle ne soit plus là.

Elle tente ainsi l’impossible en se servant de Facebook pour la localiser. Avec l’aide des filtres utilisables sur l’application, un signe du destin allait pouvoir les réunir. En rentrant des données d’âge et de ville de naissance, elle tombe miraculeusement sur un profil correspondant parfaitement à sa mère biologique. « J’ai décidé de la demander en ami et j’étais convaincue qu’elle allait forcément me reconnaître et qu’elle ne pourrait pas s’empêcher de me contacter. J’avais romancé cette rencontre tant de fois dans ma tête que le brutal retour à la réalité a été une amère déception pour moi. Eh oui, la vie ce n’est pas comme dans les séries ! », plaisante-t-elle avec sarcasme.

Elle essuie ce coup dur et décide de prendre les devants en lui envoyant un message. Après lui avoir avoué qui elle était, sa mère lui partage avec émotion sa version de l’histoire. « Elle m’a dit qu’elle avait beaucoup prié pour moi, à chacun de mes anniversaires. Elle m’a aussi avoué qu’elle avait énormément regretté son choix de m’abandonner, mais que lorsqu’elle avait voulu réparer son erreur en venant me rechercher à l’orphelinat, il était trop tard… »

Après une longue période d’échange sur les réseaux sociaux, elles prennent la décision mutuelle de briser la frontière de la distance pour se rencontrer enfin. Gabriella se rend ainsi en Colombie l’année suivante pour retracer les branches de son arbre généalogique sur ses terres natales. Elle y croise pour la première fois sa mère, et apprend l’existence de sa sœur biologique. « C’était un voyage très chargé émotionnellement, comme une machine à laver de sentiments… Je me suis retrouvée face à la personne à qui je devais la vie, mais en même temps je ne la connaissais pas. Quand je la serrais dans mes bras, ce n’était pas l’odeur de ma mère, ce n’était pas non plus sa voix. Ce périple m’a beaucoup forgé. Il m’a appris à remettre en question les liens du sang et à avoir une plus grande ouverture d’esprit sur le schéma de la famille que j’avais. Je vois ces personnes comme une nouvelle famille et de l’amour en plus dans ma vie. », nous confie-t-elle émue.

 

Origine : « un projet du cœur »

 

Origine est une association qui permet aux personnes adoptées de retrouver leurs origines. Elle accompagne chaque personne adoptée à vivre au mieux leur adoption. Origine concourt également avec les parents adoptants à appréhender les questionnements de leurs enfants.

« Origine n’est pas une promesse de retrouvailles, elle est une lueur d’espoir pour ceux qui ne savent plus vers qui se tourner. »

« J’avais eu l’idée de créer Origine pendant mes études en 2018/2019, j’avais pour ambition de faire quelque chose pour eux, parce que ça n’existait pas et que j’y tenais beaucoup. C’était un projet du cœur », nous confie-t-elle. Initialement, l’association était une passerelle pour aider les personnes adoptées à retrouver leur famille biologique et qui, comme elle, seraient livrés à eux-mêmes une fois qu’ils auraient soufflé leur dix-huitième bougie. « On est jeune à 18 ans, on ne sait pas trop où on va, on a personne pour nous prendre la main et je voulais qu’Origine soit cette aide pour ces jeunes adultes, une sorte de refuge pour eux. »

Entre personnes adoptées, mère biologique et parents adoptifs, en seulement quatre ans, Gabriella a aidé pas moins de 300 familles venues des quatre coins du monde à retrouver leurs origines.

« En créant Origine, j’ai découvert qu’en réalité pas toutes les personnes adoptées ne voulaient retrouver leur famille biologique. Dans ce cas présent, l’accompagnement prend une forme complémentaire de construction en tant qu’adopté. Comment peut-on s’accepter en dépit d’une peur viscérale de l’abandon, une dépendance affective ou un manque de confiance en soi lié à son histoire ? », déplore-t-elle. Gabriella organise alors des ateliers, des workshops, des séances de cinéma, des échanges autour de cafés… Elle met ainsi tout en œuvre pour les aider à libérer leur parole.

 

« Pour certains dossiers, nous n’avons qu’un nom, un prénom et un pays… »

 

Avec le peu d’informations qu’avaient certaines personnes pour retrouver la trace de leur arbre généalogique, il faut alors retracer l’histoire depuis son commencement. Les bénévoles devaient donc se rendre dans les maternités, les orphelinats ou se mettre en contact avec les services sociaux des pays respectifs. Pour certains pays, comme la Russie, le travail d’enquête est d’autant plus laborieux. Dans ce pays slave, il est encore illégal de rechercher sa famille biologique. Origine devait donc trouver des moyens d’outre-passer la justice locale, en contactant par exemple des avocats qui acceptaient de travailler cachés car ils estimaient également que cela constituait un droit de naissance pour l’enfant. « Ça nous est arrivé de retrouver des parents grâce à Facebook, ou d’envoyer une lettre à un pasteur au fin fond de l’Inde par courrier postal pour avoir simplement un prénom… », s’amuse-t-elle. Le travail de recherche est minutieux et peut durer deux semaines pour certains ou trois ans sans avoir la moindre piste pour d’autres…

Bien qu’elle ne travaille plus à plein temps pour l’association depuis l’année dernière, Gabriella ne peut pas s’empêcher d’aider ceux qui viennent la contacter pour être accompagnés. Elle a pris la décision de voguer vers de nouveaux projets, vers d’autres envies qu’elle souhaitait explorer. La jeune Colombienne a pris ses nouvelles fonctions de chargée de relations écoles/entreprises, au sein de MediaSchool en avril 2023, un grand groupe au sein duquel elle aide les jeunes à trouver leur voie professionnelle et les met en contact avec des entreprises qui les intéressent.

 

Pourquoi est-il primordial qu’un enfant sache qu’il ait été adopté ?

Je pars du principe que c’est son histoire et qu’il a le droit de la connaître. Il a le droit de savoir d’où il vient pour savoir où il va. C’est extrêmement important pour sa construction personnelle. Un enfant sent forcément qu’il a été adopté. Enfant ou adolescent, on le sait quand on ne ressemble pas à ses parents, quand des odeurs venues d’ailleurs nous semblent plus familières que celle qu’on retrouve en France, quand on est issu d’une autre culture… Un enfant à qui on dit pendant 18, 20 ou 30 ans que son histoire, est celle qu’on lui impose et qu’il découvre plus tard qu’en fait s’en est une autre, sera doublement brisé. L’adolescence est une période difficile en soit pour les personnes qui n’ont pas été adoptées, mais pour nous, c’est un bagage supplémentaire, un obstacle en plus pour la construction de soi. Si en plus les personnes qu’il considère comme ses piliers lui mentent ou lui cachent ça, c’est doublement une trahison, un manque de repères. Avec Origine, on essaie d’apprendre aux parents adoptifs qu’ils ont leur propre histoire et que l’enfant a également la sienne et ensemble, ils vont avoir une troisième histoire qui sera la leur.

Gabriella Kern parmi les lauréats 2021 du concours Déclics jeunes. ©​ Lucien Lung

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