Le 18 Octobre 2021 à 8h30, le Club Medias&Entertainment et le Club Culture recevaient en visio, le truculent Frédéric Beigbeder, en direct depuis son fief de Guéthary. Interviewé par notre talentueuse camarade Christine Kerdellant (dont on salue au passage la prochaine nomination comme rédacteur en chef des Échos, notamment en charge des pages Idées et Opinions) grâce à l’entremise de Jean-Philippe Caude, éminent membre du bureau de notre Club, ami de la famille Begbeider et notamment du père de Frédéric, grand chasseur de têtes avec qui il a été associé pendant de nombreuses années.

Près d’une centaine d’inscrits pour ce rendez-vous « hors norme »

« Le point commun à toutes mes activités, c’est l’écriture », nous répondait l’intéressé. Depuis l’âge de dix ans, avec mes premiers carnets de voyages, j’exploite ce « handicap » : mon obsession pour l’écriture et la lecture !

Le lancement d’une nouvelle vodka Bio « le Philtre » avec son frère Charles et Guillaume Rappeneau, c’est autre chose, c’est pour glamoriser l’écologie. C’est une vodka sans impact sur l’environnement, fabriquée sans pestcides, sans OGN et la bouteille est fabriquée uniquement avec de la récupération de déchets, d’où d’ailleurs ses différentes couleurs..

Surprenant d’humilité, l’auteur souligne qu’avoir plusieurs activités dans une vie n’a aujourd’hui plus rien d’original, et qu’il est aussi « obligé » de faire d’autres chose qu’écrire, car la durée d’un roman sauf exceptions est très courte ; « l’amour du lecteur dure deux mois », indique-t-il. C’est un jeu cruel et seulement une trentaine d’écrivains français parviennent à vivre de leur plume. Il avoue qu’il en a aussi besoin intellectuellement, en permanence de changer de vie.

Pourtant, c’est sa fascination pour la littérature qui reste, et ce qu’il aime par-dessus tout, c’est la celle qui réveille la société. Reprenant son rôle de chroniqueur littéraire dans les médias, il nous livre ses œuvres et auteurs préférés : Colette (« Le Pur et l’impur »), ou Camus. En ce moment Abel Quentin pour son livre paru à la rentrée « Le Voyant d’Etampes » ; au cinéma, il cite le film « American Psycho » qui révèle les excès du monde de la finance qui l’a beaucoup marqué. Ou plus récemment « Les Illusions perdues » , un film adapté de l »oeuvre de Balzac, un chef d’œuvre selon lui : « le nouveau Barry Lindon français » …

Sur sa façon d’écrire, il indique que l’inspiration lui arrive par surprise : « il y a des moments à saisir ». Si on a une idée, il faut se précipiter (« si les Muses vous visitent, il faut les entendre rapidement »). Son écriture n’est pas disciplinée, à l’inverse d’un Tolstoi, qui écrivait tous les matins à la même heure. Il a écrit dans de nombreux genres : autobiographiques, non fiction, satyriques, en fonction de ses envies, et aussi à partir de ses propres expériences existentielles; « Ecrire sur ses problèmes, prendre son cas pour une généralité, quand on ne va pas très bien, ça aide ! ».

Ses projets : le projet d’adaptation de son livre « L’Homme qui pleure de rire » (« l’humour, c’est une réaction, le monde du rire est sans humour », nous dit l’auteur, qui se réfère à Kundera), un projet déjà écrit, adapté d’un livre japonais, où il est sollicité cette fois comme réalisateur. Il insiste sur les deux formes d’écriture très différentes, que sont le scénario (qui obéit à des règles strictes et doit laisser de l’espace au spectateur) et le roman (où l’auteur a une liberté totale sur plus de 300 pages).

Il avoue enfin n’avoir jamais aimé dirigé des entreprises ( en 2013, Frédéric Begbeider avait repris la direction de la rédaction du magazine LUI), ni prendre des décisions (« même si là, j’étais principalement avec des femmes, qui étaient d’ailleurs beaucoup plus « trash » que moi.. ») ; à ça une exception, nous dit-il : si c’est de façon provisoire, comme diriger un film.

Le nouveau Beigbeder : plein d’humilité et écologiste convaincu

Quand on lui demande si on ne l’a pas réveillé trop tôt, lui qui a la réputation d’être un fêtard, Frédéric nous répond qu’il a bien changé, se lève aux aurores pour accompagner ses filles de trois et cinq ans à l’école (être père à 56 ans, c’est le plus grand défi de ma vie, nous dit-il en citant Peguy : « le père de famille est le grand aventurier des temps modernes »). L’auteur du roman au titre volontairement provocateur « L’Amour dure trois ans » (« l’objet d’un titre n’est pas forcément de dire quelque chose de vrai, mais d’intriguer », avoue t-il) nous rappelle, par ailleurs, vivre depuis onze ans avec la même femme…

Sur la pandémie, il nous indique que comme dans « Un Roman français » où l’enfermement dans un commissariat lui avait donné envie de revisiter son enfance et fait retrouver le chemin de la lumière, le confinement lui aurait fait découvrir que la vie ne doit pas être détruite par la peur de mourir (maintenant, il écrit depuis sa cabane à Guéthary, plaisante t-il). À ce titre, il s’étonne. Lui qui vient de la génération années 1970 qui jouissait d’une très grande liberté, comment la population a accepté sans broncher la suppression de toutes les libertés publiques et en particulier de la fermeture de la culture ? « Avec la peur, on obtient tout ! », assène-t-il.

La parution de son dernier livre « Bibliothèque de Survie », aux éditions de l’Observatoire, et son spectacle DJ set littéraire, qui sera le 20 Novembre prochain au Trianon, témoignent de son évolution.

Quand Christine lui demande ce qu’aurait dû faire le Ministère de la Culture pendant la pandémie, il répond par une boutade : « l’Etat n’a pas grand-chose à voir avec la Culture, et au fait à quoi sert un Ministère de la Culture ? ». Et quel serait son programme pour la Présidentielle ? Un programme écologiste avec un revenu universel d’existence, militant pour une vie « hédoniste, joyeuse et sexy »..

Il espère pouvoir d’ailleurs sensibiliser les HEC à l’urgence de se préoccuper du réchauffement climatique : c’est un problème très à court terme, avec +2 degrés en moyenne sur la planète prévu en 2050 (prévisions du GIEC) et l’annonce de canicules à près de 50 degrés en France.. « Attention aux toujours plus d’affaires, si on détruit le décor dans lequel on vit ».. Déjà avec son premier livre « 99 Francs » publié en 2000 (qui l’avait, dit-on, fait évincer du monde de la pub dont il décrivait les excès : rappelons que Frédéric Begbeider a commencé sa carrière en 1990 comme concepteur-rédacteur dans l’agence de publicité CLM/BBDO), il indique qu’il avait alerté sur les dangers de la surconsommation.

Nous lui répondons que les étudiants d’HEC ont bien changé depuis les années 1980 (finie la caricature du cadre en costume/mallette..), ils sont maintenant plus sensibles aux excès de la croissance économique non contrôlée, avec un profil plus international aussi, et que les grandes entreprises comme Danone ou Unilever doivent aujourd’hui mettre ne place des stratégies compatibles avec le développement durable pour continuer à les séduire. D’ailleurs, je fais remarquer à Frédéric, que notre « baseline » n’est plus seulement « apprendre à oser » comme à l’année de ma sortie de l’école en 1985, mais « we dare, we share, we care » ; quand-même, tout un changement de philosophie..

L’auteur a cependant une vraie inquiétude pour l’avenir de la littérature, qui est menacée de disparition, comme le reste de notre monde (« on devrait plutôt penser à la survie du monde actuel car on ne sait pas s’il y aura un monde d’après ». Ce qui peut sauver le livre paradoxalement, c’est que c’est un objet assez simple : « quand il n’y aura plus d’électricité, il y aura toujours le livre ! ».

On aurait pu passer la matinée à discuter avec Frédéric tant le propos était comme toujours passionnant, drôle, original, étayé, incroyablement humble (et ça c’était peut-être une vraie surprise), et restant joyeux malgré son cri d’alarme écologique. Comme à son accoutumée, il termine par une pirouette, en citant un proverbe (soi-disant russe..) : « un pessimiste, c’est un optimiste mieux informé ».

Jérome Arnaud Wagner- Président Club Hec Medias&Entertainment

Published by