D’après l’ONU, 20 millions de personnes sont déplacées chaque année à cause du changement climatique. Faut-il protéger ces migrants au niveau international ?

POUR

L’Europe a toute légitimité pour amorcer la réflexion sur un nouveau statut de réfugié

Bertrand Badré (H.89), fondateur de Blue Like an Orange Sustainable Capital

Ancien directeur général et directeur financier de la Banque mondiale, ardent défenseur d’un capitalisme moral, il a créé un fonds d’investissement durable qu’il a nommé, en hommage à Paul Éluard, Blue Like an Orange Sustainable Capital. L’objectif est de financer des projets pouvant générer un impact positif dans les pays émergents.

En 2013, un habitant des Kiribati, un archipel du Pacifique Sud menacé par la montée des eaux, avait demandé à la Nouvelle-Zélande le statut de réfugié pour cause de réchauffement climatique, une première au monde. Débouté, il a assigné le gouvernement néo-zélandais devant le Comité des droits de l’Homme de l’ONU en février 2016. Le Comité a rendu une décision révélatrice : les gouvernements doivent désormais prendre en considération les violations des droits humains causées par la crise climatique lorsqu’ils envisagent d’expulser des demandeurs d’asile. Si le cadre n’est pas encore bien défini, on voit que le sujet émerge et que le dérèglement climatique va condamner à la migration de plus en plus de gens, soit parce que leur environnement sera détruit, soit parce qu’il sera tellement pollué qu’ils ne pourront plus y vivre.

Anticiper les effets du réchauffement climatique

Comment allons-nous faire face à ces déplacements de population ? Une partie de la réponse dépend de notre stratégie d’adaptation : allons-nous être capables de mettre en place les conditions pour que ces personnes ne deviennent pas des réfugiés ? C’est tout l’enjeu de la transition écologique et des solutions que nous tentons de mettre en place en réfléchissant à des villes plus habitables et durables, en construisant des digues, en restaurant des mangroves… Mais il faudra arriver à penser, planifier et mener ces initiatives à une échelle locale, mais aussi à une échelle planétaire. Si nous n’y arrivons pas, ce qui est malheureusement très probable, nous devrons bien trouver des réponses aux questions suivantes : comment s’organiser pour le bien des populations concernées mais également pour le bien des populations qui accueilleront ces migrants ? Comment faire pour que cette réalité ne devienne pas une nouvelle source de conflit dans le monde ? Faudra-t-il permettre à des pays de se relocaliser ailleurs et dans quelles conditions ? La crise du Covid nous a montré que nous trouvons des solutions quand nous sommes dos au mur. Nous devrions pourtant sérieusement anticiper cette question. Et l’Europe a une responsabilité particulière pour amorcer cette réflexion : elle est dépositaire du statut actuel de réfugié, qu’elle a créé, et va être rapidement confrontée à un phénomène inédit dans l’histoire de l’humanité.

CONTRE

Il faut opter pour une solution plus pragmatique

Emmanuel Daoud, avocat international

Emmanuel Daoud Avocat et fondateur du cabinet Vigo, il est engagé dans les domaines du droit pénal international, des droits de l’Homme, de la responsabilité sociétale des entreprises et du développement durable. Il a été l’avocat de l’« Affaire du siècle », un recours en justice déposé en mars 2019 par quatre ONG contre l’inaction climatique de l’État.

La convention de Genève de 1951 lie le statut de réfugié à l’existence d’une « persécution » ainsi qu’au franchissement d’une frontière. Pour ces nouveaux migrants déplacés du fait de la dégradation de leur environnement, le droit existant est donc inapplicable et insuffisant. Une évolution du droit positif, avec la création d’un statut spécifique, semble nécessaire et permettrait aux pays développés de prendre leur part de responsabilité face aux conséquences du réchauffement climatique. Il se heurterait cependant à de sérieuses difficultés.

La reconnaissance d’un statut propre aux réfugiés climatiques suppose la création d’une nouvelle convention ou l’ajout d’un protocole à la Convention de 1951. Pour ce faire, il faudrait parvenir à un consensus des États, la gestion des flux migratoires relevant de la souveraineté nationale. Or la notion de « réfugié climatique » ne fait pas l’unanimité. Elle est même qualifiée d’aberration juridique, résultant d’une invention médiatique, reprise par certains universitaires. Cette expression laisse croire qu’une protection est possible sur le fondement du droit international des réfugiés, ce qui n’est pas le cas. Certains préfèrent utiliser le terme de « déplacés environnementaux », notion plus adaptée qui induit une catégorie plus vaste que les « réfugiés climatiques » prenant en compte « des déplacements internes et internationaux, forcés et volontaires », comme l’explique Christel Cournil, professeure de droit public. Il existe au moins deux obstacles à la conception et à la reconnaissance d’un statut de réfugié climatique. Le premier tient à la pluralité des schémas migratoires (migrations temporaires ou permanentes, internes ou transfrontalières, planifiées ou précipitées, etc.) et à l’imbrication de facteurs socio-économiques. Un statut juridique unique ne permettrait pas de protéger tous les types de déplacés climatiques. Le second problème est, lui, d’ordre politique : la question migratoire est très sensible en Europe, et la réponse des pays est souvent sécuritaire, au détriment parfois des libertés fondamentales.

Atteindre d’abord les objectifs de l’accord de Paris

Pour apporter une réponse adaptée, mieux vaudrait privilégier une solution plus pragmatique et immédiate. Le coût humain du changement climatique touche en premier lieu les pays pauvres. Il est essentiel que les pays développés se mobilisent pour atteindre les objectifs de limitation de la hausse des températures prévues par l’accord de Paris. Faute de quoi, leur responsabilité devra être engagée au niveau interne, communautaire ou européen.

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