Le 15 septembre, le Club HEC Luxe et Création recevait Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode, qui a partagé son analyse des enjeux et des défis de cette période de crise sanitaire.

Quel a été le retour d’expérience de l’édition on line de la Fashion Week de juillet 2020 ?

Nous avons été proactifs pour construire une première édition on line en seulement six semaines. Un élan collectif a permis d’y associer mode masculine et haute couture. La création est notre métier, et elle doit délivrer « de l’émotion sous contraintes ». Nous avons donné toute liberté à chaque maison pour réaliser un défilé on line selon un calendrier précis et un cahier des charges technique contraignant. Nous avons également mis en place un système d’amplification (YouTube, Canal+, New York Times, réseaux sociaux chinois…). La mobilisation artistique a été remarquable. Les directeurs artistiques des maisons ont ainsi noué pour l’occasion des collaborations avec des artistes, metteurs en scène ou photographes de renom. La mode est un langage commun, capable de dialoguer avec différents arts appliqués. Pour en savoir plus :https://fhcm.paris/fr

Quelles conséquences économiques pour les grandes maisons et les jeunes marques ?

La mode est aussi un « business », et l’enjeu de cohérence économique va de pair avec le défilé. Par nature, le défilé physique n’est pas spécifiquement fait pour vendre, mais pour véhiculer de l’émotion, de l’imaginaire et de la liberté. Mais l’intérêt des réseaux sociaux pour créer de la notoriété est incontestable aujourd’hui, et répond à l’enjeu « d’exister », de vendre pour les marques. Une Fashion Week digitale permet à un public plus important d’avoir accès au défilé live et répond pleinement à cet enjeu économique. La pandémie a eu ainsi un effet d’accélérateur vers plus de digital. Notons plusieurs limites à l’exercice digital des défilés. La vision humaine perçoit plus finement la réalité des profondeurs, des contrastes et des couleurs des créations, que ne le permet la vidéo. Le rendu des textures et du mouvement sont aussi moins performants. L’émotion partagée lors des défilés physiques est importante, ce que les réseaux ne permettent pas ou en tout cas pas de la même manière. L’accès instantané à une audience mondiale pour les marques émergentes fut très positif. La couverture de l’événement est estimée à 5 millions de vues YouTube, 12 millions de vues sur les réseaux sociaux chinois et près de 500 000 sur notre plateforme dédiée. L’impact digital media, qui inclut d’une part ’équivalent en espace publicitaire, d’autre part l’impact des réseaux sociaux, a été chiffré à 65 millions d’euros pour les deux événements. Comparé à une Fashion Week « physique », l’impact reste cependant moindre, tous ceux qui assistent aux défilés et notamment les influenceurs relayant directement l’événement auprès de leurs millions d’abonnés.

Qu’en est-il du questionnement du rythme des collections, de l’up et downcycling ?

Durant la crise sanitaire, différentes initiatives sont apparues de par le monde en vue de réformer les calendriers des Fashion Weeks. On a vu revenir en particulier l’idée du see now buy now, à laquelle nous nous sommes opposés avec vigueur il y a quelques années. Elle consiste à présenter dans es défilés des modèles immédiatement disponibles à la vente, ce qui implique un gros problème de gestion des stocks et transforme le défilé en outil commercial. Ce n’est pas l’objet premier pour les marques de création. Une deuxième initiative propose de retarder les soldes. Ces soldes prématurées ont été lancées il y a longtemps par les grands magasins américains et ont conduit au lancement de pré-collections. Elles s’étendent aujourd’hui à la vente en ligne. L’upcycling ou le downcycling sont des enjeux très importants, tout comme l’écoconception. Le développement durable est une transformation profonde qui demande des indicateurs complexes à élaborer, notamment sur la définition de la durabilité ou de l’usage des vêtements. Nous allons mettre à la disposition de nos adhérents des outils d’écoconception développés en coopération avec PwC et mesurer l’impact social et environnemental de la Paris Fashion Week.

François-Marie Neycensas (E.17)

 

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