Spécialisée dans le voyage reponsable, Evaneos a pris de plein fouet la crise sanitaire. Fin 2020, les dirigeants ont annoncé le départ de 50 personnes sur 220. Pour autant, son cofondateur Éric La Bonnardière (M.06) ne renonce pas à ses convictions.

Evaneos Éric La Bonnardière (M.06)
Éric La Bonnardière (M.06)
1981 – Naissance à Versailles
2002 – Intègre Centrale Supélec
2006 – Obtient son master HEC Entrepreneurs et entre chez Advancy comme consultant
2009 – Cofonde Evaneos avec Yvan Wibaux
2018 – Boucle une levée de fonds de 70 millions d’euros pour Evaneos
2020 – La crise sanitaire fait chuter le chiffre d’affaires de 90 %. Evaneos annonce un PSE et réduit d’un tiers ses effectifs

Dans les locaux parisiens d’Evaneos, rue de Mogador, à deux pas de la gare Saint-Lazare, l’open space paraît clairsemé, avec quelques salariés et des dizaines d’écrans noirs. Une vision à l’image du secteur : comme beaucoup d’acteurs du tourisme, cette entreprise jeune, dynamique et pleine d’ambitions a plongé dans le marasme de la crise sanitaire. L’histoire d’Evaneos s’apparentait pourtant à une success story, débutée tambour battant à la fin des années 2000. À l’époque, Éric La Bonnardière, sorti d’HEC en 2006, et Yvan Wibaux, ingénieur de l’École centrale, se rencontrent via la communauté des diplômés du Master HEC Entrepreneurs. Yvan Wibaux, revenu d’un tour du monde, cherche un partenaire pour lancer une entreprise de tourisme. Éric La Bonnardière, voyageur passionné, rêve d’entrepreneuriat. Pendant un an, ils réfléchissent à un concept permettant de « voyager autrement et vivre des expériences fortes ». Une idée émerge : créer des voyages sur mesure, et mettre en lien directement les voyageurs avec des agences de tourisme locales. Evaneos se rémunère avec un pourcentage sur la transaction. Les deux associés espèrent ainsi proposer un tourisme plus responsable. D’abord, en faisant en sorte que l’argent du tourisme profite aux acteurs et aux populations locales – en privilégiant par exemple des lieux d’hébergements de petite taille, plutôt que de grandes chaînes hôtelières. D’autre part, en proposant une façon de voyager opposée au tourisme de masse, néfaste pour l’environnement et les écosystèmes locaux.

Success story interrompue

Pendant onze ans, pas l’ombre d’un nuage pour Evaneos. Les clients affluent. En 2019, l’entreprise célèbre son 500 000e voyageur. Les embauches s’accélèrent, pour atteindre 220 salariés, de 22 pays différents. Une équipe constituée de personnes « réellement passionnées par l’univers du voyage », selon Benoît Guigou, directeur financier d’Evaneos. Le management s’efforce d’être bienveillant et humain. Les salariés sont formés à la communication non-violente et aux techniques d’intelligence collective. « L’entreprise a des pratiques très transparentes, souligne Benoît Guigou. Depuis le début, les performances financières de la société sont communiquées, sans filtre, à tout le monde. On met tous les salariés au même niveau. » Après le marché européen, Evaneos s’engage aux États-Unis. Le taux de croissance annuel oscille entre 30 et 70 %. Les levées de capitaux auprès des investisseurs s’enchaînent ; la dernière, en 2018, atteint un montant de 70 millions d’euros. Le gouvernement intègre l’entreprise à la liste des futurs champions français des nouvelles technologies, regroupés sous l’indice Next40, créé en 2019. Début 2020, tous les signaux sont au vert. Jusqu’en février. Éric La Bonnardière reçoit un coup de fil d’un investisseur qui lui suggère de réfléchir à l’impact de ce nouveau virus chinois, si la situation dégénérait en pandémie. « On a planché sur des scénarios pour anticiper les reports de voyages et les coûts engendrés, raconte-t-il. On a noté ça sur un bout de papier. Mais cela nous semblait improbable, nous l’avons fait d’une manière très théorique. » Un mois plus tard, la France est confinée et les pays ferment un à un leurs frontières. Pendant les premiers mois de la crise, la priorité devient d’accompagner les clients dans le report de leur voyage. Des avoirs sont remis aux voyageurs qui le souhaitent, permettant de protéger financièrement les agences locales.

Quand la reprise ne vient pas

Le télétravail est vite adopté. Chaque semaine a lieu une réunion avec tous les salariés. « On a créé plein de routines de communication pour prendre des décisions le plus vite possible et les transmettre au mieux. » Un questionnaire hebdomadaire est envoyé aux employés sur Slack pour prendre la température du moral des troupes. Pendant plusieurs mois, les deux confondateurs adossent leur salaire sur le plus bas de l’entreprise. À l’automne, la reprise espérée ne vient pas. Chaque mois, la société perd entre 80 et 90 % de son chiffre d’affaires mensuel et tourne à 10 % de son volume habituel de clients. Les dirigeants d’Evaneos doivent se rendre à l’évidence : tant qu’un vaccin ne sera pas disponible, le secteur du tourisme ne reprendra pas comme avant. Et même si les Français sont autorisés à voyager, encore faut-il que les destinations puissent les accueillir.

« Au départ, on s’est dit : “Ça va durer trois mois”, admet Éric La Bonnardière. Puis, on s’est rendu compte qu’il ne faut jamais évacuer le scénario le plus pessimiste. »

Seule issue possible pour sauver l’entreprise : un plan social, ou plutôt un « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE). Cinquante personnes doivent quitter Evaneos. Lorsqu’on demande à Éric La Bonnardière comment il a vécu cette annonce, le trentenaire marque une pause. « C’est évidemment quelque chose qu’on aurait aimé ne jamais vivre, confie-t-il. D’autant plus dans une boîte comme la nôtre où l’aspect humain est majeur. Après, j’ai appris que ce qui est important dans ces moments-là, c’est d’expliquer les choses, de rester transparent et authentique. » Un sentiment que partage Benoît Guigou : « Dès le mois de mars, on a communiqué sur les différents scénarios possibles. Quand le plan de licenciements a eu lieu, c’était une grande tristesse, mais ce n’était pas vraiment une surprise. » En décembre 2020, un reportage de La Croix L’Hebdo raconte ce moment difficile et la compréhension inhabituelle manifestée par les employés licenciés. Selon les dirigeants, quelques-uns ont déjà retrouvé du travail, d’autres se sont lancés dans l’entrepreneuriat.

Encore plus responsables

En ce début d’année 2021, la tempête du coronavirus ne s’est pas apaisée. Cela n’empêche pas Éric La Bonnardière de tourner vers l’avenir un regard positif, « optimiste ». Il veut voir à travers cette crise des « opportunités ». Plus que jamais, il croit au modèle d’un tourisme plus durable. « C’est une vraie demande des voyageurs de comprendre leur impact, de mettre du sens dans leur voyage, de partir peut-être moins souvent mais plus longtemps et de manière plus réfléchie », souligne-t-il. Le niveau d’exigence a été remonté d’un cran. Certains partenaires considérés comme pas assez vertueux ont été écartés, tout comme les activités faisant intervenir des animaux, les balades à dos d’éléphants par exemple. Evaneos a également lancé un projet « Agency Score ». Les agences locales sont notées sur leur situation financière et la qualité de leurs services, et en fonction de leur engagement social et environnemental. Un autre chantier a été ouvert pour compenser 100 % des émissions de carbone des séjours proposés. Le prix de chaque voyage inclura une compensation carbone, qui permettra, par exemple, de financer un programme de reforestation. L’entreprise vise par ailleurs l’obtention de la certification B Corp. Ce label créé aux États-Unis en 2006 distingue les sociétés privées qui intègrent dans leur mission des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux. Seules 3 700 entreprises à travers le monde, parmi lesquelles Patagonia, Nature et Découvertes ou Innocent Drinks, ont à ce jour obtenu la certification. Le monde d’après a déjà son agence de voyage.

Hélène Bielak

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