Les mesures de confinement et d’interdiction de regroupement liés à l’épidémie de coronavirus ont conduit à annuler de nombreuses rencontres et événements organisés par les clubs. Le Club Média & Entertainment a choisi de publier le récit de deux conférences qui se sont tenues avant la crise sanitaire, la première avec Pierre-Antoine Capton, président du groupe de production audiovisuelle Mediawan, et la seconde en compagnie de Marc Feuillée, directeur général du groupe Le Figaro. Flash-back.

Quel avenir pour les médias ?

Nous sommes face à un grand paradoxe pour les médias d’information, à en croire le directeur général du Figaro Marc Feuillée (H.86). Les besoins en information n’ont jamais été aussi importants que dans la période actuelle. La presse écrite d’information n’a jamais été autant lue. Internet a présenté pour les grands médias comme Le Figaro une véritable opportunité. Pourtant, en France, on questionne l’avenir des médias. Le numérique a changé beaucoup de choses. En effet, le format papier est très contraint, par la pagination, les thèmes abordés, le vieillissement de son lectorat… Grâce à la publication d’une information en ligne, « nous nous sommes dilatés dans l’espace éditorial, souligne Marc Feuillée. Sur des thèmes comme le traitement des faits divers, la science, le sport ou les loisirs, que nous n’avions pas la place de traiter dans le journal papier. Mais aussi dans le temps, avec un travail en continu toute la journée. Tout dépend bien évidemment de la qualité et du nombre des journalistes. Pour réussir dans le digital, il faut des moyens. Le New York Times a 1 200 journalistes, Le Figaro en a 500. Si nos confrères anglo-saxons sont puissants et proposent une offre de qualité, c’est grâce à leurs forces de frappe éditoriales. Le New York Times est devenu ainsi un journal mondial, de même que le Washington Post et le Guardian. »En France, les plus grosses rédactions sont celles du service public. Puis viennent celles des grands quotidiens (Le Figaro, Le Monde, Ouest France, etc.) et enfin celles des chaînes d’information, et les newsmagazines.

Comment est organisé le papier par rapport au web ?

« L’organisation est toujours un peu empirique dans un journal. Mais il ne faut plus parler en termes de support, même si l’editing et les formats diffèrent bien sûr entre le web, le mobile, le papier. D’abord, nous devons fonctionner 7 jours sur 7, et idéalement il faudrait travailler la nuit pour être prêts très tôt. Le travail de nuit est toujours compliqué sur un plan personnel, car on court le risque de se “désocialiser”. Par ailleurs, comme au Monde nous avons une journaliste qui travaille aux États-Unis afin de préparer l’information la plus fraîche possible le matin et de palier à l’inconvénient du décalage horaire. C’est un enjeu important d’être prêt très tôt le matin : il suffit de regarder les courbes de trafic sur internet pour observer la montée en puissance des connexions dès 6 h 30 du matin. »« Il y a de multiples conférences de rédactions. Les grandes qui rythment le quotidien, comme celle de 10 h 00 qui permet de définir les grands angles, sont conservées, bien sûr. Ensuite, les équipes du desk (uniquement digital) et les équipes bimédias travaillent ensemble. Cela suppose beaucoup de coordination. Pour éviter que les sujets ne soient traités plusieurs fois, pour monitorer la homepage de notre site internet et de notre application, etc. Par ailleurs, sur l’offre payante, on regarde en permanence quels types de papier génèrent un abonnement. Le marketing de l’offre éditoriale est désormais très partagé au sein des équipes, très hybride. La rédaction a sa propre lecture de la typologie des papiers sur laquelle elle doit insister pour conquérir des lecteurs digitaux gratuits ou payants. Cette année, nous avons un objectif de recrutement de 80 000 abonnés, c’est beaucoup plus ambitieux qu’auparavant. »« Nous opérons sous un “paywall” – un “mur payant”. Au début, c’était un mur rès bas, avec 15 à 20 % de contenus en accès réservé aux seuls abonnés, mais, désormais, ce mur monte, et s’élève à environ 40 % du contenu. Il faut cependant conserver une offre gratuite importante sur le site pour attirer les internautes, délivrer les campagnes de publicité et recruter – notre site reste le moyen le plus efficace de conquérir des abonnés. »

Comment fonctionne le système publicitaire au Figaro ?

« La commercialisation de la publicité est devenue très complexe. Sur le digital, la publicité est largement automatisée, algorithmique et ciblée. C’est un marché volumétrique, avec une offre gigantesque. L’audience internet, c’est 54 millions de visiteurs uniques en France, et le groupe Le Figaro, c’est 37 millions de visiteurs uniques, à la quatrième place derrière Google, Facebook et Microsoft. Mais la puissance instantanée, ce sont les plateformes internet américaines qui l’ont capturée. Regardez votre rythme de consultation de ces sites. La pression sur les prix est devenue énorme, notamment en France où les CPM publicitaires sont très bas, bien plus bas qu’en Allemagne ou en Scandinavie. En voyant cela, je me dis parfois qu’en France, on ne croit pas vraiment à l’efficacité du marketing et à la valeur de la publicité. À l’origine, nous pensions que le programmatique et le ciblage digital permettraient d’augmenter les prix, mais ce n’est pas le cas. »

La diversification du groupe vers des secteurs qui renforcent la marque

« Le Figaro est détenu par la famille Dassault – un actionnariat familial qui permet de regarder à long terme, et de se laisser le temps d’investir vers de nouvelles activités. Notre défi est de renforcer le groupe Figaro qui aura bientôt 200 ans et, au cœur de ce groupe, il y a bien sûr le journal. Notre première conviction dans la politique de diversification a été d’utiliser notre marque. Très tôt, Le Figaro a inventé les déclinaisons magazines des quotidiens, sous l’impulsion de Robert Hersant (Madame Figaro, Figaro Magazine, et tous les hors-séries et les guides que nous publions.). Nous sommes devenus peu à peu des éditeurs de magazines et des livres.Puis nous avons développé un écosystème sur des sujets pertinents pour notre lectorat, qui a toujours été un lectorat hédoniste. Ainsi, l’immobilier de luxe où nous sommes leaders, mais aussi sur l’emploi ou la billetterie-spectacle, qui progressent bien…Les voyages ont été aussi un axe important de développement. Nous avons voulu nous inspirer de ce que faisaient nos confrères anglais du Telegraph. Nous organisions de nombreuses croisières haut de gamme et des voyages de groupe, puis nous avons voulu opérer dans le voyage sur mesure.

Aussi, nous avons racheté des agences de voyages et aujourd’hui nous lançons la troisième agence, orientée sur un public haut de gamme. Ce pôle représente déjà 120 millions d’euros de chiffre d’affaires, et 350 personnes. Notre prochain développement se fera dans le secteur du vin. Et puis, nous allons continuer à nous diversifier sur le digital autour de CCM, notre filiale qui édite de nombreux sites internet très consultés (sur des sujets divers, comme les sciences, la santé, la finance, etc.). Autour de ce groupe, nous avons développé un écosystème de bases de données et de publicité à la performance qui progresse aussi fortement. Nous allons poursuivre le développement de ces nouveaux métiers, aussi par croissance externe. Nous venons ainsi d’acquérir une société spécialisée dans les comparateurs d’énergie, de télécoms, de déménagements et une start-up spécialisée dans la publicité programmatique pour le marché RH.Cumulé, le chiffre d’affaires de ces activités nouvelles dépasse désormais celui de nos métiers traditionnels. »

Jérôme Wagner (H.85), président du Club Medias & Entertainment

Bio : Marc Feuillée (H.86) Diplômé de HEC et Sciences Po Paris, Marc Feuillée débute sa carrière comme contrôleur de gestion chez Hachette en 1987 avant de devenir directeur financier de L’Express (groupe Lagardère). Directeur général du groupe Express en 1998, il est promu président du directoire en 2006. En 2010, il prend la tête du Syndicat de la presse magazine (SPM qui regroupe 600 magazines. En janvier 2011, il prend les fonctions de directeur général du Figaro, succédant à Francis Morel. Il siège également au conseil d’administration de l’OJD, et au conseil de gérance de Presstalis (ex-NMPP, Nouvelles messageries de la presse parisienne).

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