Théophile Fornacciari (H.13), Charlotte Fort et Oriane Billant (H.16) du cabinet d’administrateurs judiciaires FHB analysent le marché de la restructuration et partagent avec nous leurs convictions sur cet univers où persistent de nombreuses idées et perceptions erronées.

«Pour apprécier le marché de la restructuration, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un marché protéiforme », commence Théophile Fornacciari avant de préciser, « ce sont les défaillances de micro-structures ou d’entreprises unipersonnelles avec très peu de salariés qui représentent la majorité des défaillances ». En eet, si en France, on recense chaque année une moyenne d’environ 55­000 défaillances, environ 75 % d’entre elles concernent des sociétés de moins de 3 salariés et seules 145 procédures collectives ont, en 2019, porté sur des sociétés comptant plus de 100 salariés. « Avant le début de la crise de la Covid-19, nous avons observé une réduction du nombre de dossiers. Une certaine reprise de la croissance économique pouvait se vérifier par rapport à la baisse des dossiers courants », note Charlotte Fort. D’ailleurs, selon l’étude menée par Altares et Deloitte, «L’entreprise en di“culté en France en 2018 », un peu moins de 55­000 ouvertures de procédures collectives (sauvegardes, redressements judiciaires, liquidations judiciaires) ont été enregistrées en 2018, soit un nombre d’emplois menacés par ces défaillances d’environ 166­000, contre 52­000 en 2019 avec environ 600 procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire de moins.

Crise de la Covid-19 : fragilisation, endettement et redémarrage difficile

Les entreprises en situation de vulnérabilité et de fragilité avant le début de la crise sont celles qui sont le plus déstabilisées à l’heure actuelle. Pour les autres entreprises, les situations sont diverses avec, dans les secteurs les plus impactés, des entreprises saines avant crise qui se retrouvent profondément déstabilisées. « Nous sommes confrontés à une nouvelle typologie d’entreprises en di“ffculté, avec des entreprises appartenant à des secteurs jusque-là peu sinistrés mais aujourd’hui très fortement affectés par la crise sanitaire, comme le tourisme par exemple. Plus largement, les activités de coûts fixes ou les entreprises ayant contracté un endettement de croissance important sont particulièrement vulnérables.», note Oriane Billant. Elle ajoute que « les entreprises font de plus face à une forte incertitude sur la date et l’ampleur du redémarrage de l’activité, qui dépendra de l’évolution de la pandémie mais également, pour les entreprises BtoC, de l’évolution des habitudes des consommateurs qui pourraient être durablement altérées dans certains secteurs d’activité et, pour les entreprises BtoB, de la reprise progressive de la filière, ce qui complexifie la prise de décisions et l’évaluation des besoins des entreprises ». Les mesures mises en place par le gouvernement ont permis de préserver la trésorerie d’un grand nombre d’entreprises, ce qui explique la baisse de 50 % du nombre de défaillances au cours du 1er semestre 2020, par rapport aux années précédentes. En revanche, le décalage de la reprise et le reconfinement vont créer des besoins supplémentaires en trésorerie, étant par ailleurs rappelé que le redémarrage de l’activité nécessite pour la plupart des entreprises de mobiliser de la trésorerie pour financer la reconstitution de leur BFR. À plus long terme, les entreprises vont se retrouver avec des niveaux d’endettement très élevés. « Les PGE représentent un surplus d’endettement qu’il conviendra de rembourser à terme, alors même que les projections d’activité demeurent incertaines au vu de la crise qui se poursuit. Pour les entreprises qui ne seront pas en mesure de dégager la rentabilité nécessaire pour assurer le remboursement de cet endettement additionnel, il devra être traité soit par le biais d’un renforcement en fonds propres, soit dans le cadre de procédures collectives ultérieures », poursuit Théophile Fornacciari. « À terme, la crise actuelle pourrait conduire, pour certains secteurs particulièrement affectés, à la consolidation autour des entreprises les plus solides qui auront réussi à mieux traverser cette période particulièrement complexe. Il y aura en outre des enjeux de filière avec la question de la préservation de certains savoir-faire potentiellement menacés, ce qui pourrait conduire certaines entreprises à soutenir financièrement des sous-traitants par le biais des délais de paiement notamment, pour accompagner les besoins liés à la reprise de l’activité », conclut Théophile Fornacciari.

Démocratiser le recours aux procédures pour mieux accompagner les entreprises en difficulté

Dans ce cadre, l’étude d’administrateurs judiciaires FHB promeut le recours aux procédures de traitement des difficultés des entreprises, de « véritables outils de gestion » que toutes les entreprises doivent s’approprier en cette période. « Quelle que soit leur taille ou leur modèle, y compris des start-up, les outils dont on dispose permettent de répondre aux difficultés dès lors qu’on dispose du temps – donc du cash – nécessaire pour négocier ou restructurer », observe Oriane Billant.

« Au travers de notre positionnement et de notre mode d’intervention, nous voulons diffuser une vision nouvelle de ces procédures et souligner les leviers inédits qu’elles offrent aux entreprises. Notre intervention aux côtés des dirigeants vise à accompagner avec une grande réactivité la recherche de solutions pragmatiques, en utilisant ces outils pour dépasser la crise », souligne Charlotte Fort. En effet, malgré la criticité et la complexité de la conjoncture actuelle, il existe des outils, des méthodes et des procédures pour y faire face, que l’enjeu soit de trouver des financements, d’accompagner le pivot du modèle économique, de restructurer le bilan ou de résoudre une crise de gouvernance… Toutes ces actions nécessitent un cadre de discussion idoine, propice à la remise en cause profonde de l’entreprise pour réordonner ses priorités et devenir plus agile et flexible. Mais il s’agit aussi de casser l’isolement du dirigeant qui se retrouve trop souvent seul face à ses problèmes.

« Nous disons souvent aux entrepreneurs et dirigeants de ne pas rester seuls et de s’entourer de professionnels pour réfléchir ensemble et échanger sur ces sujets à forts enjeux. Nous sommes convaincus que l’intelligence collective dans ces contextes est un levier de succès dans la résolution de problèmes », insiste Charlotte Fort avant de poursuivre, « en tant que mandataire ad hoc, conciliateur ou administrateurs judiciaires, nous cherchons à les accompagner le plus en amont possible. Il faut à tout prix anticiper pour que l’entreprise soit encore en mesure de financer le temps des discussions. Il faut aussi noter que face à la crise Covid-19, les outils ont été renforcés temporairement pour faire gagner ces procédures de prévention en efficacité. Concrètement, nous pouvons intervenir en qualité de mandataire ou conciliateur pour aller chercher un accord auprès des partenaires clefs de l’entreprise, banques, bailleurs, actionnaires… », avec la possibilité de solliciter le président du tribunal pour qu’il bloque des actions en paiement ou en résolution (du bail par exemple). C’est redoutablement efficace mais c’est une faculté pour le moment limitée dans le temps. Et si les difficultés sont plus avérées ou liées à la nécessité de restructurer l’entreprise, le dirigeant peut également entreprendre des mesures plus fortes, notamment la sauvegarde ou le redressement afin d’engager une restructuration sur le plan opérationnel voire rechercher un repreneur dans le cadre d’une cession judiciaire.« Notre étude est intervenue sur le dossier Novares, une entreprise qui se portait très bien avant la crise. Nous avons su déployer les outils et les solutions pertinentes dans le cadre d’un plan de redressement qui a permis de sauver cet acteur de la filière automobile en un mois. Cela montre bien que nos outils sont efficaces et qu’une intervention bien en amont est un facteur clé. C’est aussi un très bon exemple du fait qu’un redressement judiciaire bien géré peut être une réponse adéquate pour les entreprises victimes de la crise », ajoute Théophile Fornacciari.

Pour une culture du rebond !

Les chiffres trompeurs fréquemment communiqués sur les procédures collectives et amiables découragent les entrepreneurs d’y recourir. « Tout notre droit est construit pour favoriser la résolution des difficultés. Il est faux et dangereux de laisser penser qu’elles mènent à la liquidation judiciaire ; si les difficultés sont prises à temps on trouve des solutions », souligne Charlotte Fort. Pour l’administratrice judiciaire, il est impératif de sortir de la culture honteuse qui entoure le monde de l’entreprise en difficulté, dans lequel le chef d’entreprise porte seul et isolé la honte des difficultés. « Prenons exemple sur les Anglo-Saxons. Ces derniers valorisent le parcours d’entrepreneurs qui ont fait face à des difficultés et qui ont su se relever suite à un échec. Au sein de FHB, nous avons à cœur de diffuser cette culture du rebond qui doit remplacer la honte de la faillite héritée de l’ancien régime voire du Moyen-Âge. En cette période de crise, c’est une démarche encore plus importante, car cela peut permettre de gagner du temps et d’engager, alors que l’entreprise a encore de la trésorerie et une certaine marge de manœuvre, ces outils de résolution de crise. L’anticipation est essentielle pour être acteur de la solution et non pas la subir », conclut Charlotte Fort.

 

Charlotte Fort est issue d’une formation droit des affaires tournée vers le droit des entreprises en difficulté (Lyon III et Paris I Sorbonne), diplômée du CAPA (EFB) et inscrite sur la liste des administrateurs judiciaires depuis 2019. Elle intervient tant en amiable qu’en judiciaire en Île-de-France et bientôt au sein du département fiducie aux côtés de Théophile. Charlotte est membre de l’AJR, de l’ARE et de la promo 2019 du NextGen Leadership Program au sein de l’International Insolvency Institute.
Oriane Billant (H.16) est chargée de mission au sein de l’Étude FHB, où elle intervient principalement sur des procédures amiables de renégociation de dette financière et de recherche de nouveaux financements. Précédemment, elle a travaillé au sein du cabinet de conseil financier 8 Advisory, sur des dossiers de transaction, de restructuration et de transformation.
Théophile Fornacciari (H.13) dispose d’un LLM obtenu à Hong Kong (City University) et titulaire du CAPA (EFB), vient d’obtenir l’examen d’aptitude à la profession d’administrateur judiciaire. Il va ainsi devenir associé de l’étude FHB. Il interviendra comme administrateur judiciaire, que ce soit en procédure amiable ou judiciaire, et développera également une activité de fiduciaire (au sein de la structure FHB Fiducie) qu’il a développée depuis près de 3 ans en tant qu’avocat fiduciaire.

FHB est une étude d’administrateurs judiciaires créée en 2007. Elle compte 10 associés dont 2 dédiés à la fiducie, une soixantaine de collaborateurs et 13 implantations en France.

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