Depuis 2019, Pauline Faivre (H.19) et Astrid Parmentier (H.19) s’attellent à développer un réseau de crèches intergénérationnelles implantées dans les maisons de retraite. Nommé Tom & Josette, ce projet à portée sociale séduit. Reportage.

 

Venue tout droit du centre de Paris intra-muros ce matin-là, Pauline Faivre attache son vélo et prend le soin d’enlever ses chaussures avant de pénétrer dans cette micro-crèche de la banlieue ouest. La cofondatrice du réseau Tom & Josette vient vérifier que tout se passe bien dans cette salle claire et spacieuse jonchée de jouets, saluant les huit petites curieuses en garde ce jour-ci ainsi que leurs deux assistantes maternelles. La fenêtre donne sur un immense et luxueux établissement. Ce château, c’est la Villa Beausoleil, une maison de retraite.

Dans quelques heures, les petites filles traverseront la cour pour aller confectionner des décorations de Noël avec les résidents de la demeure. Classe de gym, peinture, poterie… Le concept de cette crèche intergénérationnelle est de mettre en contact seniors et enfants lors d’activités communes et de temps partagés. « Nous pensons que rencontrer tous les jours des personnes âgées permet à l’enfant d’être plus ouvert », explique Pauline Faivre.

Mettre les personnes âgées au centre de la société

Née en Thaïlande, où elle a vécu huit ans avec sa famille, Pauline Faivre a baigné dans « une culture où il y a beaucoup de respect pour les personnes âgées. Ça m’a marqué, précise-t-elle. J’ai une grande affection pour elles. » L’entrepreneure déplore les usages qui tendent à reléguer ses anciens au ban de la société. « Je pense que les personnes âgées sont des puits de tendresse et de savoir, mais on leur a fait perdre confiance en elles. » Et d’évoquer sa grand-mère, « incroyable, encore super vive », mais qui lui a un jour dit : « Tu es mignonne avec ton projet, mais tu sais, moi, je n’ai plus grand-chose à apporter. »

Porteuse d’un projet qui vise à valoriser le rôle social des seniors, la jeune femme de 27 ans ne justifie pas d’un parcours classique. Elle a, avant de lancer son entreprise, étudié les relations interfamiliales et intergénérationnelles à travers la psychologie. « Passionnée » par le sujet, elle entre à l’École des Psychologues Praticiens en 2012. « J’étais assez sûre de moi. Mais j’avoue que je ne me voyais pas exercer le métier de psychologue clinicien. Les matières qui m’intéressaient le plus étaient la sociologie et la philosophie. » C’est ainsi qu’elle effectue un stage de neuf mois au CNRS auprès de la sociologue Christine Castelain Meunier.

Tom & Josette

Pauline Faivre (H.19), co-fondatrice du réseau Tom & Josette, en visite à la micro-crèche de Meudon.

Attirée par le monde du business via des marques comme Michel et Augustin qui « apporte de la joie et de l’optimisme », elle postule auprès de la start-up Lemon Learning à la fin de ses études. Le CEO, Pierre Leroux (M.14), diplômé du master HEC Entrepreneurs, l’embauche comme commerciale, et, ensemble, ils affrontent les hauts et les bas de cette entreprise de formations e-learning sur des outils SaaS. « Il m’a beaucoup accompagnée, beaucoup donné confiance », se souvient-elle.

De quoi la convaincre de sauter le pas : elle s’inscrit à son tour au master Entrepreneurs X-HEC. « Ce fut l’une de mes plus belles années d’étude. L’émulation dans la promo était surprenante, se rappelle-t-elle. Tout le monde venait d’origines et de formations différentes. Il y avait des polytechniciens, bien sûr, mais aussi des médecins, des pharmaciens, des ingénieurs en aérospatial… »

 

 Tom pour le petit frère de Pauline, Josette pour la camarade de maison de retraite de la grand-mère d’Astrid.

En un an, elle suit deux séminaires dans le Jura, fait un saut à San Francisco et, surtout, rencontre sa future associée, Astrid Parmentier (H.19). C’est elle qui a l’idée de leur future société après avoir observé sa propre grand-mère revivre au contact de ses neveux et nièces. « Nous avions l’intuition très forte qu’il manquait des places en crèche et qu’il fallait absolument replacer les personnes âgées au cœur de la société », explique Pauline

Si des initiatives de micro-crèches au sein des maisons de retraite existaient déjà, elles sont les premières à vouloir développer un réseau. Elles lancent, en 2019, leur entreprise Tom & Josette : Tom pour le petit frère de Pauline, Josette pour la camarade de maison de retraite de la grand-mère d’Astrid.

Tom & Josette propose aux EHPAD et autres maisons de repos d’« investir pour rénover les murs » d’une structure déjà existante, en échange de quoi la société leur verse un loyer et se porte garante du projet intergénérationnel. Une mission valorisante également pour les professionnelles de la petite enfance engagées dans le projet.

Management non vertical

Leur premier établissement ouvre à Rennes en 2020, une semaine avant le deuxième confinement. « On a fait confiance aux équipes qu’on recrutait », analyse Pauline rétrospectivement. Au même moment, les scandales de maltraitance au sein d’établissements des groupes Orpea et Korian, mais également au sein des crèches, sont régulièrement médiatisés. Face à un modèle qui révèle des dysfonctionnements, le projet de Tom & Josette attire l’attention du public, des médias et de la profession. « Les EHPAD étaient super à l’écoute. Pendant deux ans, nous avons construit un certain nombre de partenariats. »

Pour autant, l’adhésion n’est pas systématique. Le bagage en psychologie et en sociologie de Pauline est particulièrement utile face aux réticences de certains parents. « Les familles ont parfois une vision assez négative des EHPAD, et le rapprochement avec les enfants éveille des craintes », même si l’équipe est toujours là pour encadrer les moments de rencontre entre les deux générations, à travers des goûters mutuels et des loisirs créatifs.

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Vue depuis la crèche Tom & Josette sur la résidence pour seniors Villa Beausoleil Château de Meudon.

Autre enjeu : sensibiliser les auxiliaires de puériculture au travail en EHPAD… et inversement !
« Les directeurs sont généralement sous l’eau, ils n’ont pas le temps de s’occuper de la communication, que ce soit sur le site internet ou auprès des soignants. Ainsi, les équipes ne sont parfois pas toutes au courant de la présence d’une crèche dans l’enceinte de l’établissement… » Pour mieux relayer l’information, Pauline et Astrid ont lancé un programme d’accompagnement, ainsi qu’une Tom & Josette Academy pour former les puéricultrices aux pathologies des seniors.

Aujourd’hui, le réseau compte dix établissements en France, avec un prix qui varie entre 700 et 800 euros par mois pour une garde à temps plein assurée par quatre personnes dans des locaux rénovés. Les cofondatrices expérimentent un management non vertical, où les directrices d’établissements-pilotes forment leurs paires. « Idem au camp de base [leur siège sur Paris, ndlr]. Chacun exerce un métier différent, qui participe à la même mission : reconnecter les générations et prendre soin des enfants. Mais on ne parle pas d’évolution dans le sens hiérarchique du terme. »

Intérieur de la micro-crèche Tom & Josette de Meudon.

Des objectifs de forte croissance

L’entreprise, qui a levé 4,3 millions d’euros en juin dernier, entame une phase de croissance exponentielle et un recrutement massif. « On a le projet d’ouvrir 10 nouvelles crèches l’année prochaine. » À terme, Tom & Josette espère constituer un réseau d’une centaine d’établissements dans les quatre prochaines années. Pour l’instant, l’entreprise compte soixante collaborateurs.

Pauline en est persuadée, « nous avons beaucoup à apprendre des vulnérables, des plus jeunes et des plus vieux. C’est le signe d’une société qui va bien que de pouvoir, en tant que jeune bien portant de 35 ans, s’appuyer sur les personnes âgées. »

 

Photos: ©Estel Plagué/HEC Stories

Au septième paragraphe : Astrid Parmentier (H.19), co-fondatrice de Tom & Josette, en compagnie de Monsieur Chapon, un résident senior, et de Martin, un enfant en garde à la micro-crèche des Roseraies de Rennes. ©Tom&Josette

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