Entre deux exploits en trail de montagne, Joseph Mestrallet (M.22), 26 ans, a monté son « laboratoire de la performance », Enduraw, contraction d’“endurance” et de “raw” pour data brute. Afin de fournir un accompagnement ultra-personnalisé aux athlètes, ce passionné d’algorithmes se base sur la donnée. Rencontre.

 

Chemise à carreaux et lunettes rondes rafistolées : Joseph Mestrallet cultive son image de matheux. Il a donné rendez-vous à HEC Stories dans des locaux WeWork à Issy-Les-Moulineaux. À Paris, il n’est jamais que de passage et fréquente les espaces de coworking entre deux rendez-vous. « Je suis plus ou moins allergique à la ville. » Il habite à l’année à Chamonix, sa ville de cœur, et revient tout juste du triathlon de Royan, sur lequel il accompagnait une équipe. Il n’est pas vraiment coach sportif. Ses spécialités sont la data, les mesures et les algorithmes.

Avec sa société Enduraw, un laboratoire de recherche sur la performance, il propose aux athlètes des plans de course adaptés à leur physiologie et à la compétition visée, en plus d’un programme de nutrition et une étude de la concurrence. Pour ce faire, Joseph effectue des mesures avec du matériel de pointe parfois prêtées par des marques.

D’ailleurs, au centre de la table trône un objet à première vue non identifié. « C’est un masque analyseur d’oxygène. » On apprend qu’il permet de calculer la consommation d’oxygène du corps en temps réel. Avec ce masque, Joseph a mené une expérience scientifique avec plus de 13 000 euros de capteurs. « Le plus dur, c’était clairement de le porter pendant le marathon du Mont-Blanc, avoue-t-il. J’ai quand même passé sept heures en montagne avec ça, j’ai mis deux heures de plus que ce que j’aurais mis normalement » Car oui, Joseph est aussi son propre cobaye.

Des racines à Chamonix

Diplômé du Master Entrepreneurs X-HEC en 2022, ce passionné de sport est passé par la case prépa à Neuilly-sur-Seine, avant d’intégrer une école d’ingénieur, l’ENSEA. Mais le goût de la performance ne vient pas seulement des analytics. Il le tient de sa famille : un père qu’il décrit comme bosseur et entrepreneur et un frère jumeau… « On a passé notre temps à se taper dessus, dit-il en plaisantant, se rappelant les concours de pompe. Mais positivement ! Je n’aurais jamais été là s’il ne m’avait pas poussé vers le haut et inversement. »

Loin de Chamonix, c’est du côté de la Californie, eldorado des entrepreneurs, que le projet Enduraw, commencé en thèse de master, s’est accéléré. Son échange à l’université de Berkeley, au cœur de la Silicon Valley et de ses traditions. Il se lève à 4h45 du matin pour se lancer dans des courses de 60 km, « les fameux bike-rides autour de la baie », explique Joseph Mestrallet. Ces randonnées à vélo sont l’occasion de tisser des liens avec les entrepreneurs. Et de glaner quelques conseils. Ces petits rituels lui ont permis de décrocher un café avec le CEO de Strava, l’application des sportifs. Grâce à ce premier contact, Enduraw peut désormais exploiter les données des usagers de ce réseau social et rêve de vendre ses algorithmes au géant américain.

 

De la recherche à Singapour

Et pour ses plans de course (pacing), quelles données utilise-t-il ? « Sur un marathon, on étudie la température, le vent et le dénivelé. » Froid, air appauvri en oxygène, aridité… Ce jeune « scientifique de la performance » entraîne aussi des sportifs en chambre de chaleur, pour les préparer à un environnement radicalement différent. « S’ils vont courir dans le Colorado, à Pikes Peak, 4000 mètres d’altitudes, l’oxygène manque. Sauf qu’eux s’entraînent au maximum à 1500 mètres. »

En août dernier, il part même étudier les performances physiques pour l’armée de Singapour. Convié à participer à une recherche sur 250 soldats, il analyse des données récoltées via une pilule qui, une fois ingérée, permet de mesurer la température interne du corps. Le but ? Garder un œil sur la température corporelle des soldats sur le théâtre d’opérations militaires et les rappeler quand ils sont au plus mal. Pour Enduraw, prendre part à cette étude permet de saisir la corrélation entre le réchauffement du corps, le rythme cardiaque et l’intensité de l’effort, en vue de réduire les risques de défaillance.

 

 

Enduraw a signé ses premiers clients officiels au début de l’été 2023. Parmi eux, Ruth Croft, vice championne du monde de trail. Il accompagne également Duncan Perillat, champion de France de marathon ou Petter Engdahl, vainqueur de la Courmayeur-Champex-Chamonix, l’une des courses iconiques du roi des trails, l’UTBM (L’Ultra Trail du Mont-Blanc). « Le but, ce serait de prendre un ou deux champions par course et donc de lui préparer sa course de A à Z. »

 

 

Les petits réglages qui font la diff’

Enduraw compte aussi élargir son offre aux sportifs amateurs souhaitant préparer une course. « Ils ont une super volonté de s’entraîner. On peut utiliser la data pour optimiser ses performances et battre un record du monde, mais on peut aussi s’en servir pour passer sous une barrière horaire dans le cadre d’un trail. »

Le fondateur d’Enduraw s’adonne lui-même régulièrement à la compétition. Il y a deux ans, il finit dans le top 30 de l’une des courses de l’UTBM. « Si je fais autant de compétition, c’est pour pouvoir poser les bonnes questions. La donnée peut raconter n’importe quoi si l’on n’est pas capable de distinguer ce qui est bon de ce qui ne l’est pas. » Celui qui court aussi par passion depuis l’école primaire reste marqué par la SkyRhune 2021, finale des championnats de France GTNS (Golden Trail National Series) dans le Pays basque. « J’ai crampé à 10 mètres du sommet et à 20 mètres de la fin de la descente, se souvient-il. Ça veut dire que j’avais vraiment dosé mon effort pour aller au maximum de mes capacités. »

 

Pourtant, son profil de mathématicien à lunettes n’est pas toujours compris par les acteurs traditionnels du monde sportif. Plusieurs fois, il s’est fait raccrocher au nez par des directeurs d’équipe peu ouverts sur le sujet. Mais il reste persuadé que la conciliation entre les maths et le sport est l’avenir. « J’essaie d’apporter cette nouvelle vision où l’hyper-personnalisation est fondamentale pour aller chercher les gains marginaux avec ce qu’on appelle le fine-tuning en machine learning, dit-il. C’est aller chercher les petits réglages qui vont faire la différence. » Son rêve ultime ? Devenir directeur de la performance d’une grosse équipe de vélo ou d’une équipe de France olympique.

 

 

Photos: ©Estel Plagué pour HECStories /  ©E. Poulin / ©L.Lecoq  

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