Je me suis demandé pourquoi l’incendie de Notre-Dame avait suscité chez moi une si grande émotion. Dès mon arrivée au lycée Louis-le-Grand, en préparation HEC, j’ai pris conscience de la chance que j’avais, moi qui n’étais rien ni personne, d’avoir accès à ces lieux si célèbres et si impressionnants où sont passés tant d’hommes illustres depuis Louis XIV, tous les princes de sang du XVIIe, XVIIe et XIXe siècles, tant de princes étrangers, tant de noms qui ont marqué l’histoire comme Robespierre, Saint-Just, Camille Desmoulins, et puis Molière, Voltaire, Baudelaire, Claudel, Diderot, Joseph Kessel, Péguy, René Clair, Sartre, Chasles, Poincaré, Littré, Degas, Delacroix, Pompidou, Giscard, Chirac, Jean Jaurès, Mendès France, etc.

J’étais ébloui… En plus, le Lycée m’avait informé de l’octroi d’une bourse couvrant les frais de scolarité, ainsi que les frais de l’internat, donc plus d’angoisse pour maman qui mesurait constamment ses liquidités pour pouvoir assurer le paiement des factures des études de ses enfants… Je dois avouer que peut-être pour la première fois, je me suis senti fier d’appartenir à ce pays. Je venais de quitter l’ambiance de l’internat d’un collège catholique en Bretagne, avec la pesanteur de la discipline religieuse qui provoquait des phénomènes d’indigestion et fomentait des réactions sinon rebelles, du moins anticonformistes.

On respectait la religion, mais on critiquait l’église, ainsi que toutes les autres hiérarchies religieuses, qui se ressemblent toutes en ayant raison sur le fond, mais tort sur la forme, et que nous considérions comme de mauvais traducteurs de Dieu (Victor Hugo). Je me souviens que je me sentais très heureux… Pauvre, certes, mais heureux ! Tellement heureux d’avoir cette chance que je me sentais en dette vis-à-vis de je-ne-sais-qui, et je ressentais le besoin, le dimanche matin, d’aller à pied à Notre-Dame de Paris pour la messe matinale où je m’étonnais en voyant tant de gens qui croyaient au ciel, moi qui n’y croyais plus…

Puis, je m’en allais réfléchir, seul, à la proue de l’île qui ressemble à un bateau, pour contempler le fluctuat nec mergitur, qui en latin veut dire : « Elle flotte mais ne sombre pas ». Là, je ne savais pas qui remercier pour le bonheur que je ressentais, ma maman, bien sûr, mon pays, certainement, qui me donnait cette opportunité de montrer ce dont j’étais capable, et puis, moi qui ne croyais plus au ciel, mais pouvais me tromper, je remerciais de tout mon coeur, tout être, quel qu’il fût, qui puisse être à l’origine d’un si beau cadeau…

Pendant ces longs moments de solitude, assis sur le banc du fluctuat nec mergitur, je ne voyais pas le temps passer, mais sentais un profond désir de travailler nuit et jour, avec toute l’énergie dont j’étais capable pour que mes efforts se voient de loin et arrivent comme un hommage à ceux qui semblaient me vouloir du bien… Je me sentais en dette envers la France et je tenais absolument à rendre à mon pays, au moins autant que j’avais reçu de lui… Et pour moi, la France, l’image de la France, c’était Notre-Dame de Paris. C’est ainsi que Notre-Dame de Paris a commencé à faire partie de ma vie.

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