1. La dette publique est causée par des dépenses trop élevées.

Athanase Contargyris (H.79), économiste, fondateur d’Attac Grèce.

FAUX La dette se constitue le plus souvent lorsque de nouvelles dépenses apparaissent sans être couvertes par une hausse de l’imposition. À la fin des années 1970, la France a vu sa dette augmenter car l’État a décidé, pour combattre l’inflation, d’emprunter aux banques privées à des taux d’intérêt élevés. Cette hausse des dépenses n’a pas été compensée : au contraire, une baisse de la pression fiscale a été engagée au même moment. Mais les niveaux de dette selon les pays sont très contrastés : si la France est moins « vertueuse » que l’Allemagne, c’est parce qu’elle supporte des dépenses militaires beaucoup plus lourdes. De même, la dette grecque s’explique principalement par un budget de défense record en Europe. Malgré cela, les États se livrent actuellement une féroce compétition fiscale pour attirer les entreprises, ce qui les a poussés à réduire les taux d’imposition sur les sociétés : en un demisiècle, l’impôt sur les entreprises est passé de 50 à 20 % en moyenne. C’est un manque à gagner pour les impôts. En révélant les limites de nos systèmes et de nos politiques de santé, la crise sanitaire a récemment rappelé que certaines dépenses sociales sont indispensables. Économiquement, il est parfois judicieux d’investir davantage dans certains secteurs pour prévenir les risques de dysfonctionnement plutôt que d’assumer le coût exorbitant d’une crise. Le choix de réduire à tout prix les dépenses pour limiter les déficits ne semble donc pas être la bonne solution. Dans ce contexte, l’augmentation des impôts ne doit plus être taboue.

2. La crise sanitaire a fait voler en éclat l’orthodoxie budgétaire européenne.

Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne. 

FAUX Les textes européens prévoient certaines clauses en cas de crise économique qui se sont avérées pertinentes et ont été appliquées à l’occasion de la pandémie de Covid-19. Dès mars 2020, la Commission a pris les devants en déclenchant la clause dérogatoire générale du Pacte de stabilité. Il s’agit d’un assouplissement temporaire des règles budgétaires, notamment celle qui oblige les États à limiter leur déficit public à 3 % du PIB. L’Union européenne a aussi assoupli temporairement les règles relatives aux aides publiques pour que les gouvernements puissent soutenir les secteurs de leur économie les plus touchés par la crise sanitaire, comme le tourisme ou le secteur aérien. Néanmoins, une discussion doit se tenir à l’avenir sur les critères de Maastricht, car la situation a totalement changé. Tous les États membres ont vu leur ratio dette sur PIB augmenter d’une vingtaine de points. L’Eurogroupe, la réunion mensuelle des ministres des Finances de la zone euro, va plancher sur le sujet en novembre. Chercheurs, think-tanks et spécialistes proposent des solutions. Le débat est ouvert. Je pense qu’à l’issue de la période de transition actuelle, il faudra faire évoluer le traité en modifiant certaines règles. Une chose est sure en tout cas : la situation actuelle est exceptionnelle mais ne peut pas durer éternellement. L’Europe a besoin de règles communes pour bien fonctionner.

3. La hausse des dépenses publiques liées à la pandémie de Covid-19 va provoquer une crise de la dette des États.

Fabien Bouvet (H.12), administrateur suppléant pour la France à la Banque mondiale.

PROBABLEMENT PAS Économies avancées, marchés émergents et pays en voie de développement ont considérablement augmenté leurs déficits, et leur dette, pour faire face à la crise du Covid. Cette hausse de l’endettement, associée à l’incertitude économique et parfois à des sorties de capitaux, a accru le risque de surendettement. Aussi le nombre de pays pour lesquels le risque de surendettement était jugé élevé par le FMI a doublé en quelques mois : ils étaient 91 au premier trimestre 2020 contre 44 au troisième trimestre 2019. Les défauts de paiement sont cependant restés très circonscrits, grâce au soutien public des banques centrales et des institutions financières, aux marges de manœuvre budgétaires constituées avant la crise, ainsi qu’aux conditions de financement internationales, particulièrement favorables. Depuis, la situation s’est sensiblement améliorée, puisqu’on ne recensait plus que 71 pays en risque élevé de surendettement au premier trimestre 2021. À court terme, l’éventualité d’une crise systémique de la dette semble donc écartée. Cependant, l’évolution incertaine de la pandémie, la croissance atone et la dynamique de remontée des taux d’intérêt font peser une menace sur les équilibres budgétaires. Les pays en difficulté, comme le Liban ou l’Argentine, devront restructurer leur dette avec l’appui des institutions financières internationales. Quant aux pays en développement pour lesquels le poids de la dette n’est plus soutenable – c’est le cas du Tchad et de l’Éthiopie –, ils pourront, le cas échéant, bénéficier d’allègements en vertu des mesures de traitement de la dette mis en place par le G20.

4. La crise a boosté les marchés financiers.

Alexandra Prigent (H.03) et Romain Richemont (H.03), partners Accellency, conseil relations investisseurs et marchés de capitaux.

PAS SI SIMPLE Les chiffres donnent le vertige : le montant des introductions en Bourse a bondi à 334 milliards de dollars au premier semestre 2021. Le MSCI World a pris 17 % depuis le début de l’année. Pourtant, la réalité est que l’écart entre les gagnants et les perdants ne cesse de se creuser sur les marchés. Depuis 2020, les FANGMA (Facebook, Amazon, Netflix, Google, Microsoft, Apple) représentent à eux seuls un quart de la hausse de l’indice boursier S&P500. Au niveau mondial, les 25 valeurs les plus performantes ont alimenté 40 % de la hausse de février 2020 à mars 2021. Les sociétés technologiques ont vu leur multiple valeur/ventes doubler en deux ans. Mais en parallèle, de nombreux acteurs ont connu des pertes sans précédent. Contrairement aux idées reçues, la performance dépendait moins des secteurs que de modèles économiques. Dans tous les domaines d’activité, y compris ceux confrontés à des difficultés importantes, les sociétés les mieux valorisées sont celles qui ont réussi à communiquer sur une stratégie cohérente de transformation digitale, et ce, malgré la crise. Pas si simple donc ! Si les marchés financiers, grâce aux 9 000 milliards de dollars de liquidités injectés, se sont globalement bien sortis de la pandémie, cela n’est pas vrai pour tous les acteurs et cela ne va pas sans risque ni victime collatérale.

5. Ce sont les banques centrales de la zone euro qui rachètent les titres émis par les États membres.

William Arrata (H.05), Asset Liability Manager, Banque de France.

EN PARTIE VRAI Au début 2020, la pandémie a provoqué une chute des marchés financiers, faisant craindre une dislocation des canaux de transmission de la politique monétaire. Plusieurs grandes banques centrales ont alors adopté de nouvelles mesures non conventionnelles de politique monétaire. Un programme d’achats d’actifs, le PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme), a été lancé en mars 2020 par la BCE. Il prévoyait l’achat par l’Eurosystème (qui regroupe la BCE et les banques centrales de la zone euro) d’actifs à hauteur de 750 milliards d’euros. Son montant a par la suite été porté à 1 850 milliards. Le programme, qui prendra fin en mars 2022, coexiste avec le programme d’achats déjà en vigueur depuis mars 2015, l’APP (Asset Purchase Programme). Les banques centrales des pays membres y contribuent pour un pourcentage qui correspond à leur quote-part dans le capital de la BCE (par exemple 20,4 % pour la Banque de France). L’Eurosystème peut ainsi se porter acquéreur d’obligations émises par le secteur public (de la dette souveraine, principalement) ou le secteur privé. En vertu de l’article 123 du traité de Lisbonne, les achats de dette souveraine se font exclusivement sur le marché secondaire, afin de ne pas pratiquer de financement monétaire de l’État. En pratique, les titres du secteur public représentent l’essentiel de ces achats. Au 31 juillet 2021, le stock de dette net détenu par l’Eurosystème au titre du PEPP s’élevait à 1 260 milliards d’euros, dont 1 220 milliards de titres publics. Une part importante de la dette publique émise pendant la pandémie a donc été rachetée par l’Eurosystème, sans que ce dernier ait une emprise dominante.

6. Le fort endettement des pays émergents va ralentir leur développement économique.

Anne-Laure Kiechel (H.99), PDG de Global Sovereign Adivsory.

PAS SI SIMPLE La dette publique mondiale a augmenté de manière très inégale en 2019 et 2020 : près de 20 points de PIB pour les pays développés, 10 pour les pays émergents et 5 pour les pays à faibles revenus, aux capacités d’emprunt limitées. Les pays développés ont bénéficié d’un soutien massif de leurs banques centrales (BCE et Fed en tête), les économies émergentes ont suivi quand elles le pouvaient. En août dernier, le FMI a débloqué 650 milliards de dollars d’allocations de droits de tirage spéciaux (DTS), dont 275 milliards seront alloués aux pays émergents et en développement. Ces droits de tirage spéciaux, dont la valeur est indexée sur cinq monnaies (euro, dollar américain, livre sterling, yuan chinois et yen japonais), devraient renforcer les réserves et augmenter les liquidités des États. C’est la plus importante allocation de DTS de l’histoire du FMI. C’est un soutien bienvenu, mais insuffisant au regard des 200 milliards de dollars que les pays à faibles revenus auront à déployer d’ici à 2025 pour intensifier leur réponse à la pandémie, et des 250 milliards de dollars nécessaires pour faire converger leurs revenus avec les économies avancées. Le défi actuel des pays émergents est de continuer d’investir dans la santé, l’éducation et les infrastructures, malgré des marges de manœuvre fiscales réduites. Des taux bas et des modes de financements innovants seront donc indispensables.

7. Pour favoriser la reprise, les États devront renoncer aux remboursements des prêts et aides accordés aux entreprises.

François Asselin, président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises).

FAUX Toute dette doit être remboursée, c’est un principe de base pour tout entrepreneur afin d’assurer le bon fonctionnement de l’économie. Pourtant, même les meilleurs pourront avoir du mal à rebondir face au mur de dettes du Covid-19. Les mesures de soutien mises en place par le gouvernement pendant la crise sanitaire ont bien fonctionné. En 2020, le nombre de dépôts de bilan a ainsi été de 34 000 seulement contre 50 000 habituellement. Les entreprises se sont endettées mais ont conservé un niveau de trésorerie satisfaisant, les plus petites étant, comme toujours, les plus fragiles. En septembre, si la sortie de crise se confirme, le taux de faillites sur douze mois glissants devrait retrouver son niveau habituel, auquel s’ajoutera sans doute un « effet de rattrapage » dont l’ampleur reste à déterminer. Sur les 700 000 entreprises qui ont contracté un prêt garanti par l’État (PGE), on estime que 6 % auront des difficultés à rembourser. Le gouvernement a déjà pris des mesures pour étaler les paiements, avec l’octroi d’une avance remboursable ou d’un prêt bonifié dans la limite de 800 000 euros pour les PME de plus de 50 salariés. Et pour les entreprises qui malgré ce dispositif, seraient dans l’impossibilité de s’acquitter de leurs dettes, une procédure de sauvegarde, encadrée juridiquement, permettra de discuter avec l’ensemble des créanciers de la possibilité d’effacer tout ou partie des sommes dues.

8. Ce sont les jeunes générations qui auront à subir les conséquences de l’endettement public.

Emmanuel Blézès (H.18), auteur de « La génération confinement paiera pour les boomers », tribune parue dans le quotidien Le Monde en septembre 2020.

VRAI Difficile pour quelqu’un de ma génération de dire le contraire. Quand mon père avait 30 ans, au début des années 1980, le ratio dette publique sur PIB s’élevait à 20 %. Quand j’aurai 30 ans, en 2025, il tournera autour de 120 % : soit 100 points de plus en moins de deux générations. La crise sanitaire a amplifié ce phénomène : selon l’étude d’Euler Hermes parue en mai 2021, il faudra à la France soixante-sept ans pour retrouver le niveau d’endettement public d’avant-Covid (contre vingt-six ans pour l’Italie et huit ans pour l’Allemagne). Le problème de fond est moins le niveau de dette publique que ce qu’on choisit d’en faire. Avant la crise sanitaire, seule une faible proportion de la dette servait à l’investissement. Saura-t-on préparer la sortie de crise en consacrant les moyens budgétaires à des enjeux d’avenir, tels que la décarbonation de notre économie, l’innovation technologique, l’éducation ou la santé ? Ce serait là l’occasion de faire de ce déficit une « bonne dette ». Mais c’est une décision à prendre tout de suite, car nos marges de manœuvre seront limitées à l’avenir. D’où un sentiment d’injustice générationnelle : les décideurs d’aujourd’hui ne subiront pas les conséquences des problèmes dont ils ont la charge. La génération qui arrive n’aura pas le loisir de tergiverser. Son impatience est donc légitime.

9. La mobilisation de fonds publics face à la pandémie, sur le principe du « quoi qu’il en coûte », a servi à protéger les plus faibles.

Renaud Guidée (H.03), AXA Group Chief Risk Officer.

FAUX L’argument du « quoi qu’il en coûte » a été avancé dans les économies occidentales pour justifier les aides aux entreprises et aux personnes les plus durement touchées par la pandémie. Ce soutien accordé aux acteurs les plus fragiles avait pour principal objectif d’éviter que la crise se propage à l’ensemble des secteurs. Quant à l’expression « quoi qu’il en coûte », elle a pu donner l’impression qu’on disposait de réserves d’argent public quasi illimitées. Ce qui est faux : ces mesures étaient en réalité financées grâce à des emprunts contractés sur le marché obligataire. Dans le même temps, pour éviter que les taux d’intérêt à long terme n’augmentent, les banques centrales ont lancé des programmes d’achats d’actifs : la BCE achète aujourd’hui plus de bons du Trésor que n’en émettent les États de la zone euro. Ce quantitive easing, orchestré par les banques centrales, vise à rééquilibrer l’offre et la demande sur le marché obligataire, et il profite aux détenteurs de patrimoines. Ainsi, une politique budgétaire protectrice et redistributive n’a été rendue possible que grâce à une politique monétaire qui contribue à accroître les inégalités. Pour se sortir de ce paradoxe, trois voies sont aujourd’hui possibles : exploiter ce contexte pour engager des réformes structurelles (c’est le choix qu’a fait Mario Draghi en Italie), remonter les taux d’intérêt (la Fed s’y attelle) ou miser sur l’inflation pour dévaloriser le stock de dette (ce qui peut aussi avoir des effets pervers…).

10. Les plans de relance mis en place au niveau mondial sont l’opportunité de transformer l’économie.

Éric Lalo (H.82), associé-gérant, responsable mondial de l’activité de conseil aux gouvernements de Rothschild & Co.

VRAI Les plans de relance mis en œuvre par les économies développées et les pays émergents ont été financés dans un contexte de taux d’intérêt nuls ou historiquement bas, grâce à l’abondance des liquidités disponibles sur le marché international des capitaux, résultat des mesures prises par les principales banques centrales des pays développés. Les 10 000 milliards de dollars de dettes levés par les gouvernements sur les douze derniers mois pour le financement de leurs plans de relance ont cependant vu leur format évoluer sous la pression des grands investisseurs internationaux, lesquels privilégient de plus en plus les émissions à vocation ESG (environnementale, sociale et de gouvernance). La transformation de l’économie vers un modèle plus soutenable et social est donc en marche, sous la pression conjuguée de besoins de financements massifs et des exigences de soutenabilité ESG formulées par les financeurs des États. Amorcée en 2016, cette évolution vers une finance plus soucieuse de la responsabilité sociale et environnementale est un phénomène mondial, qui connaît aujourd’hui une accélération : près de 70 milliards de dollars d’obligations ESG ont été émis par des États depuis janvier 2021.

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