Comment perçoit-on la guerre en Ukraine à l’est ?

La guerre en Ukraine a suscité une importante mobilisation citoyenne à Bucarest. La Roumanie est un pays jeune et digital. Les gens se sont vite engagés sur les réseaux sociaux pour organiser l’aide humanitaire à la frontière. Les structures publiques du pays, en revanche, n’ont pas été en mesure de réagir assez rapidement. La Roumanie a accueilli environ 500 000 réfugiés même si beaucoup d’entre eux sont ensuite partis vers d’autres pays d’Europe rejoindre des proches. Cette mobilisation a été motivée par un sentiment de proximité avec les Ukrainiens. Pourtant, au début des années 2000, les relations entre nos deux pays n’ont pas été très amicales, notamment pendant la présidence de Ianoukovytch (2010-2014), qui était favorable à un rapprochement avec Moscou. L’aide s’organise très efficacement. Nous manquons de main-d’œuvre, et une plateforme répertoriant les besoins et les demandes a tout de suite été créée sur Facebook avec des annonces pour travailler dans tous les secteurs économiques.

La guerre a révélé un grand sentiment d’insécurité, bien que notre Premier ministre, le général Ciuca, soit un ancien militaire. Nous ne savions pas bien comment il allait réagir face à la Russie. Les gens n’ont pas confiance dans nos élites politiques, corrompues et héritées du système soviétique. Quand la Russie a menacé la Roumanie et la Pologne (si elles apportaient un soutien logistique aux Ukrainiens), personne ne savait ce qu’allait décider l’Otan. Beaucoup autour de moi ont eu peur d’une extension du conflit et ont voulu quitter le pays, mettre leurs familles à l’abri. Nous sommes sur le qui-vive. Environ 10 % des Roumains, soit presque 3 millions de personnes, vivent à l’étranger. Le pays est en transition, et les réformes peinent à être mises en route. Membre de l’Otan depuis 2004, nous bénéficions d’une situation géographique avantageuse, entre l’Europe de l’Ouest et de l’Est. Mais cet atout n’est pas valorisé par notre gouvernement. Nous n’arrivons pas à être engageants pour les entreprises. La Roumanie est noyautée par la corruption, elle n’est pas dans la zone euro et n’a pas de vision européenne. Le tableau est contrasté. La plupart des entreprises du CAC 40 sont présentes sur notre sol, mais nous n’attirons pas les PME. Nous sommes très forts en technologie de l’information, mais nous avons des infrastructures obsolètes avec des trains qui roulent à 30 km/h. Nous disposons de 30 milliards d’euros de la Banque centrale européenne pour le plan de redressement national, mais ces fonds sont un casse-tête administratif et ils sont compliqués à obtenir pour des entreprises locales.

Il est trop tôt pour dire si la guerre en Ukraine favorisera notre projet européen et rebattra les cartes. Mais l’enjeu pour la Roumanie est de devenir une véritable terre d’accueil, d’attirer aussi les Roumains formés à l’étranger pour investir dans le pays, d’avoir enfin une élite qui en finit avec la politique politicienne et d’être très vigilants avec la dérive populiste. Je pense que la Roumanie a des atouts à faire valoir, encore faut-il qu’elle s’en donne réellement les moyens.

Daniel Dumitrescu (MBA.10) :

Business project manager chez Sustainalytics, l’un des leaders mondiaux en recherche ESG (environnement, social, gouvernance), est président du chapter Alumni en Roumanie. Ces derniers mois, des milliers d’Ukrainiens ont fui la guerre et traversé la frontière nord du pays pour y trouver refuge. Membre de l’Otan et de l’Union européenne, la Roumanie est, avec la Pologne, aux premières loges de la crise ukrainienne.

Published by