1. Les cryptomonnaies sont des monnaies comme les autres.

Bruno Biais (H.85/D.89), professeur de finance à HEC Paris.

FAUX Comme le dollar ou l’euro, les cryptomonnaies sont des devises fiduciaires, c’està-dire qu’elles n’ont pas de valeur intrinsèque et que leur utilisation repose sur la confiance des citoyens. Néanmoins, il y a de grandes différences entre cryptos et devises classiques. Les monnaies comme le yen ou le dollar sont soutenues par un État, qui les accepte en paiement des impôts. Rares sont aujourd’hui les pays qui se sont engagés à accepter des cryptomonnaies. Les monnaies traditionnelles sont intégrées dans le système de paiement géré par les banques et banques centrales. L’interaction entre le système de paiement traditionnel et les blockchains (où sont enregistrées les détentions de cryptomonnaies) n’en est qu’à ses débuts. Les monnaies traditionnelles, à l’inverse des cryptomonnaies, sont supervisées par des banques centrales, qui peuvent intervenir pour réduire leur volatilité ou la spéculation. À côté de ces faiblesses, les cryptomonnaies présentent aussi des avantages par rapport aux monnaies traditionnelles. Elles peuvent être intégrées dans des blockchains sophistiquées, permettant de coder des smart contracts qui lancent automatiquement des paiements lorsque certaines conditions sont réunies. Elles permettent des transferts monétaires internationaux moins coûteux que ceux qui transitent par les banques. Enfin, elles offrent une protection contre les éventuels dysfonctionnements des institutions monétaires, financières et politiques.

 

2. La blockchain, sur laquelle reposent les cryptomonnaies, est un système sécurisé et inviolable.

Olivier Bossard, directeur du master Finance à HEC Paris et spécialiste de la blockchain.

FAUX Il ne faut pas confondre la technologie de la blockchain, réputée inviolable, et les plateformes d’échange ou les portefeuilles en ligne, sujets à de nombreux hacks. Les versions primitives de blockchains ont connu quelques failles avec un risque d’attaque par relecture (replay attack) lors de bifurcations. C’est ce qui est arrivé au protocole Ethereum en 2016, causant 50 millions de dollars de perte. Depuis ce cas d’école, les protocoles incluent des mécanismes de protection performants. Désormais les blockchains des cryptomonnaies sont quasiment toutes inviolables. Mais si la technologie de la blockchain est désormais très sécurisée, les infrastructures qui l’entourent restent fragiles : les plateformes d’échange et les portefeuilles en ligne offrent des degrés de sécurité très variables. Pour prendre une analogie triviale, les pépites d’or minées dans le Yukon pendant la ruée vers l’or canadien étaient infalsifiables… mais laisser son magot en dépôt derrière le comptoir d’un saloon ou à la banque de Dawson City pouvait être un pari risqué ! Il en va de même pour l’or numérique : les cryptomonnaies en elles-mêmes sont infalsifiables, mais il faut les stocker sur des plateformes d’échange ou des portefeuilles en ligne sécurisés

3. L’investissement dans les cryptomonnaies est très risqué.

Pierre Paperon (M.86), consultant en blockchain, NFT et metaverses.

VRAI Dès l’apparition des cryptomonnaies, les régulateurs de tous les pays se sont empressés de crier au loup pour préserver les épargnants d’une prise de risque excessive. Mais est-ce vraiment si risqué de « miser » sur les cryptomonnaies ? Il y a deux manières de répondre à cette question apparemment simple. Une première réponse, technique et mathématique, peut être apportée en introduisant le concept de la volatilité du placement. On peut alors comparer le risque avec d’autres placements. Pour cet exemple, prenons les deux principales cryptomonnaies, le Bitcoin et l’Ether, qui représentaient respectivement 60 % et 20 % de la capitalisation des 2 000 milliards de dollars de capitalisation monétaire des cryptomonnaies en novembre 2021. Leur variance sur 60 jours s’élevait alors à 3,5 % pour le Bitcoin et 6,3 % pour l’Ether, contre 2,4 % pour l’or et 0,5 % pour l’euro. Une seconde réponse, plus historique, est le constat de la croissance exponentielle de la valeur du Bitcoin depuis la première transaction, le 12 octobre 2009, pour un taux de change de 0,001 dollar pour 1 Bitcoin. Chiffre à comparer avec les 60 000 dollars atteints en octobre 2021. Et sur cette dernière année, sa valeur a été multipliée par quatre. Le risque est donc élevé. Mais le bénéfice l’est tout autant pour rémunérer ce risque qui ne doit être pris que de manière très mesuré. Le chemin des cryptomonnaies a en effet été très chaotique au cours de ces douze dernières années, avec une vingtaine de crashs. Un investisseur averti en vaut deux.

4. La cryptomonnaie est un marché de niche peu accessible au grand public.

Pierre Paperon (M.86), consultant en blockchain, NFT et metaverses.

FAUX Cette affirmation était encore vraie il y a cinq ans… mais les choses ont changé depuis, et la vague enfle de jour en jour. D’abord, le Bitcoin continue de faire son travail de valeur de référence ou d’étalon digital pour l’ensemble des cryptomonnaies. Sa capitalisation monétaire dépasse 1 000 milliards de dollars et représente 40 % en valeur de l’ensemble des 15 000 cryptomonnaies créées depuis 2015. On estime qu’il y a entre 100 et 300 millions de possesseurs de Bitcoins dans le monde. À comparer aux 300 millions d’internautes au début de l’année 2000… Ensuite, des pays ont accepté le Bitcoin et d’autres cryptomonnaies comme des unités de compte. Le Japon a été le premier en 2018 à reconnaître le Bitcoin, plus récemment c’est le Salvador qui l’a choisi comme devise légale au même titre que le dollar. Enfin, les metaverses, ces univers digitaux parallèles qui sont aujourd’hui en cours d’émergence, représentent un marché estimé à 800 milliards de dollars par Bloomberg. The Sandbox, Cryptovoxels ou Decentraland sont autant de zones commerciales en devenir. On trouve déjà sur ces metaverses des jeux comme Robox, qui rassemble 48 millions de joueurs tous les jours. Et les cryptomonnaies sont légion dans ces nouveaux « espaces de marché » avec certaines « enseignes » qui ont créé leur propre monnaie comme le Mana pour Decentraland avec une capitalisation monétaire déjà proche de 10 milliards de dollars. On le voit, les cryptomonnaies continuent de prendre de l’ampleur

5. Le minage de cryptomonnaies a permis de développer une activité rentable accessible à tous.

Owen Simonin, aka Hasheur, PDG de Just Mining.

VRAI, MAIS PAS EN FRANCE Le minage de cryptomonnaies est l’activité qui consiste à valider des transactions sur une blockchain en mettant à disposition de la puissance de calcul. Toute personne équipée d’un ordinateur et d’une connexion web peut donc techniquement devenir un mineur. Les mineurs sont rémunérés pour leur activité en cryptomonnaies. Il existe de nombreuses manières de miner des cryptomonnaies. Selon les formules mathématiques, les algorithmes, le matériel utilisé et le tarif de l’électricité, la rentabilité de cette activité sera plus ou moins élevée : de plusieurs dizaines de dollars par jour pour les combinaisons les plus favorables jusqu’à des rendements négatifs pour d’autres. En France, compte tenu des machines disponibles actuellement sur le marché et du prix du kWh, le contexte n’est guère propice au développement d’une activité de minage de cryptomonnaies

6. La valeur des cryptomonnaies est uniquement spéculative.

Guillaume Vuillemey, professeur de finance à HEC.

FAUX La valeur des cryptomonnaies ne s’appuie sur celle d’aucun actif réel, et nul ne peut être tenu de les accepter comme paiement (contrairement à l’euro ou au dollar). On peut donc penser que leur valeur est purement spéculative, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Certes, beaucoup de ceux qui achètent des cryptomonnaies le font à des fins d’investissement, et non pour s’en servir comme monnaies dans des transactions. On peut donc parler de « spéculation »… Encore que ce terme soit ambigu. En effet, ces investisseurs peuvent obtenir certains services de ces actifs, par exemple une plus grande diversification de leur portefeuille. Mais les cryptomonnaies peuvent aussi être un moyen de pallier les insuffisances de certaines monnaies étatiques. Nous le percevons peu en Europe, mais dans des pays où les monnaies sont très instables, par exemple en Afrique ou en Amérique latine, les cryptomonnaies peuvent être un refuge face à l’inflation ou à d’autres formes de spoliation. Elles peuvent aussi servir à contourner certains contrôles de capitaux. Enfin, et c’est sans doute la face la moins reluisante des cryptomonnaies, en raison de leur opacité et de l’anonymat qu’elles permettent, elles sont particulièrement prisées par des réseaux de trafiquants de drogue ou du crime organisé.

7. Les cryptomonnaies sont très énergivores.

Jean-Paul Delahaye, professeur à l’université de Lille.

PLUTÔT VRAI Une cryptomonnaie fonctionne grâce à un réseau de validateurs qu’il faut rémunérer. Une façon de les rémunérer est d’émettre périodiquement de nouvelles unités de cryptomonnaie et de les leur attribuer. Mais comment désigner l’ordinateur connecté au réseau chargé de valider les transactions (et donc de percevoir cette rémunération) ? Deux modèles existent : la preuve d’enjeu et la preuve de travail. Avec la preuve d’enjeu (proof of state), les validateurs concurrents mettent sous séquestre une somme d’argent et leur probabilité d’être désigné pour la prochaine opération est proportionnelle à cette somme. Le principe de la preuve de travail (proof of work) leur soumet une énigme mathématique qui demande beaucoup de puissance de calcul. Plus les validateurs concurrents résolvent cette énigme rapidement, plus leur probabilité d’être choisis est grande. C’est la méthode adoptée par le Bitcoin et elle est énormément coûteuse en énergie. Ce système mobilise la puissance de calcul de nombreux terminaux pour résoudre une seule et même énigme, dans le seul but d’être désigné pour valider des transactions. Dans le cas du Bitcoin, la compétition représente une dépense électrique continue supérieure à la production de cinq réacteurs nucléaires de puissance moyenne. La preuve d’enjeu consomme mille fois moins d’énergie, pour un niveau de sécurité égal. C’est pourquoi elle est utilisée par la quasi-totalité des cryptomonnaies récentes.

8. Les cryptomonnaies permettent de blanchir de l’argent sale et de financer le terrorisme.

David Servais (MBA.10), président du groupe Blockchain@HEC.

VRAI MAIS RÉDUCTEUR Le blanchiment consiste à masquer la véritable source d’une somme d’argent. Dans l’ancien système financier, la pratique la plus courante consistait à faire transiter les fonds par des sociétés fictives ou des banques peu réglementées. Alors que la plupart des opérations de blanchiment d’argent dans le monde sont effectuées en monnaies fiduciaires comme le dollar ou l’euro, le bitcoin et les autres cryptomonnaies ont ouvert les portes à de nouvelles méthodes. D’après le bureau d’études Chainanalysis, environ 5 milliards de dollars de bitcoins ont été blanchis en 2020. Cela paraît beaucoup, mais c’est une proportion somme toute assez faible : environ 1 600 milliards de dollars de cash sont blanchis en monnaie fiduciaire chaque année d’après les Nations unies. Par ailleurs, le blanchiment d’argent constitue une fraction négligeable de l’économie Bitcoin, et il est de surcroît en forte décroissance. La part des transactions crypto illicites sur toutes les transactions a été divisée par 10 en huit ans et atteint 0,7 % en 2020, d’après Chainanalysis. Si la plupart des devises numériques sont traçables sur une plateforme publique, quelques cryptos dites de « confidentialité » permettent d’éviter cette transparence et pourraient servir à du blanchiment. Reste que de plus en plus de plateformes (Binance, Kraken, Coinbase, etc) mettent en œuvre les procédures de conformité qui ont pour but d’empêcher le blanchiment d’argent en vérifiant l’identité des auteurs des transactions et en soumettant une preuve de la source des fonds.

 

9. Les cryptomonnaies vont remplacer les monnaies nationales.

Mariem Mhadhbi, experte des marchés financiers, cofondatrice de Valuecometrics.

FAUX Le Bitcoin constitue un actif refuge. On pourrait le comparer à de l’or digital plutôt qu’à une monnaie d’échange. À raison de sept transactions par seconde, il est incomparablement moins efficace pour les paiements qu’un réseau comme Visa ou Mastercard. Et même lorsqu’il deviendra possible de réaliser davantage de transactions, grâce au nouveau protocole de paiement Lightening Network, le Bitcoin coexistera avec d’autres devises. Certains préféreront utiliser le dollar parce qu’ils font confiance à l’économie américaine et qu’ils croient en la capacité de Washington à ne pas faire défaut. D’autres feront confiance à la technologie de la blockchain pour éliminer le risque de contrepartie, c’est-à-dire le risque de ne pas être payé. Des pays comme le Salvador ou le Venezuela ont été obligés de recourir au dollar, ce qui peut poser un problème de souveraineté. Il est donc envisageable que des pays n’ayant pas de devise propre utilisent une nouvelle monnaie basée sur la confiance, non en un autre État, mais en une technologie mathématique qui élimine le risque de contrepartie. Le Bitcoin ne se substituera donc pas au dollar ou à l’euro, mais pourrait remplacer les devises de pays en difficulté. En parallèle, on peut imaginer qu’une cryptomonnaie internationale trouve sa place en se focalisant sur des enjeux mondiaux. Nous pourrions par exemple envisager une devise internationale associée à un projet sur la problématique du climat, qui concerne toute l’humanité.

10. Les cryptomonnaies permettront de se passer des banques.

Stéphanie Flacher, ex-BNP Paribas, cofondatrice de logion.network (blockchain publique).

FAUX Connues pour être nées avec le Bitcoin en réaction à la crise financière de 2008, les cryptomonnaies sont censées annoncer la fin du système bancaire. Elles promettent l’avènement d’un web devenant le système intégré des échanges monétaires de l’économie, dans une logique de pair à pair. D’après PwC, les technologies liées à la blockchain devraient ainsi accroître le PIB mondial de 1 760 milliards de dollars d’ici à 2030 en améliorant le suivi et la confiance dans les devises. Et de fait, après dix ans de développement, les cryptomonnaies parviennent à fédérer une communauté grandissante en tant qu’actifs financiers spéculatifs. Mais elles peinent à convaincre de leur capacité à remplacer le système monétaire actuel. Car malgré l’immutabilité des registres d’échanges, l’automatisation intelligente des transactions se heurte à des écueils de sécurité des actifs, de définition des responsabilités et de stabilité des frais de transaction. Pour prétendre remplacer une monnaie traditionnelle, il faut créer le cadre légal et fonctionnel qui permet aux utilisateurs d’interagir en toute confiance : il est nécessaire de pouvoir se retourner auprès de responsables ou d’arbitres en cas de problème. Mais la nature décentralisée de la blockchain nécessite de repenser totalement le tiers de confiance, tant bancaire que juridique ou politique.

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