C’est dans la grande salle bondée de l’association que le Club Économie verte de l’Association HEC Alumni ainsi que le MIT Club de France ont eu le plaisir d’accueillir deux invités de prestige le 12 juin dernier pour échanger avec nos camarades sur l’enjeu du dérèglement climatique et son impact sur l’économie mondiale. Chacun avec leurs spécificités d’approche, Jean-Marc Jancovici et Dominique Bourg ont ainsi pu révéler devant un public très hétérogène l’urgence d’agir et la nécessité absolue de revoir les fondamentaux de nos économies « modernes ».

Jean-Marc Jancovici est l’un des experts français les plus reconnus sur cette thématique, et est le principal développeur de la méthode du bilan carbone® qui fait aujourd’hui autorité au sein de toute entité publique ou privée visant à bâtir une stratégie d’atténuation. Membre du Haut Conseil pour le Climat récemment mis en place par Emmanuel Macron, il n’a « comme d’habitude pas mâché ses mots », diront ceux qui le connaissent bien, en commençant par souligner les liens indissociables entre climat et énergie. Sa démonstration, robuste, prend appui sur de nombreuses données factuelles, ainsi que sur des tendances avérées et particulièrement troublantes lorsque l’on prend conscience des ordres de grandeur en jeu : ainsi l’évolution démographique (x10), à laquelle se multiplie la croissance des consommations énergétiques par habitant (x10), représente deux des variables clés justifiant la triste définition de notre nouvelle ère géologique, l’anthropocène ; de façon plus inédite, la robotisation et le numérique apparaissent pour l’expert comme des centres de contribution critiques sur lesquels nous devrons nécessairement agir : ce sont en effet l’équivalent de « plusieurs milliers de milliards d’équivalents-hommes » (!!!) – en moyenne un robot se substitue à 200 paires de bras – qui aujourd’hui contribuent à produire les biens et services que nous utilisons au quotidien, et la révolution numérique fait référence au secteur dont la croissance des émissions est la plus élevée – ces dernières doublent tous les cinq ans et atteignent aujourd’hui 4 % du bilan mondial. Frisant parfois les théories collapsologistes*, sa conclusion interroge, voire interloque : le découplage entre émissions de gaz à effet de serre, consommations d’énergie et PIB n’est qu’un mirage, ou au moins totalement insuffisant pour répondre à l’équation climatique d’ici à 2050. Bref, point de salut dans la « croissance verte » d’après l’expert… Ce qui ne va pas sans contredire quelques points de vue dans la salle !

Dominique Bourgest un philosophe spécialiste des questions environnementales et d’éthique, et converge rapidement sur le constat d’une nécessaire transformation radicale et rapide de nos sociétés, en insistant à la fois sur la responsabilité historique des pays développés (les émissions de gaz à effet de serre se cumulent dans le temps) et sur l’attractivité (et donc le danger…) que peuvent représenter nos modèles de société auprès des pays émergents. Fort de sa riche expérience (il a fait partie de la commission Coppens qui a préparé la charte française de l’environnement et a présidé le conseil scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot), il ajoute à la vision « carbone centrée » de Jean-Marc Jancovici l’importance du vivant et de l’épuisement de la biodiversité. Ce qui l’étonne voire l’effraie le plus depuis qu’il regarde ces questions de près, c’est la célérité avec laquelle les impacts se font de plus en plus sentir, et la hauteur de marche que l’humanité entière va devoir gravir si elle souhaite minimiser ses contraintes en termes d’adaptation. Ce dernier volet est d’ailleurs de plus en plus étudié par l’ensemble des acteurs, scientifiques, économistes, politiques… actant finalement la réalité des changements climatiques et leurs impacts progressifs, d’abord dans les zones particulièrement sensibles (pôles Nord et Sud, îles, pays pauvres peu résilients…), et de plus en plus sur la totalité du globe (la canicule récente en Europe ou les épisodes extrêmes de grêle ne sont que des prémices !).

Que peut faire et comment doit réagir la communauté internationale et en particulier les pays les plus émetteurs ? Et quels avantages l’Europe peut-elle tirer de son leadership sur ces questions géopolitiques majeures ? Avant même de répondre à ces questions passionnantes (ça nous a donné des idées pour prolonger les débats à la rentrée), nos deux orateurs insistent pragmatiquement sur les outils de mesure à promouvoir au sein de toutes les organisations, dont celles où les diplômés de HEC et du MIT sont bien représentés : le bilan carbone et ses périmètres de comptage (en incluant notamment les importations, afin de ne pas se satisfaire d’une externalisation de nos pollutions), le « retour sur investissement énergétique ou carbone »… Bref un ensemble de KPIs nouveaux qu’il s’agira de compléter et d’implémenter les prochaines années afin de gagner en visibilité et en pertinence… voire aussi en attractivité auprès des jeunes actifs ! Sur ce dernier point d’ailleurs, nous ne pouvions pas ne pas mentionner l’actualité brulante liée à la publication en septembre dernier du Manifeste étudiant pour un réveil écologique, signé depuis par 30 000 étudiants (dont 500 HEC) ; un texte incisif susceptible d’imposer de grands chantiers complexes au sein des grandes écoles et universités françaises. En effet, si on écoute bien les signataires de ce manifeste, un campus vert ne suffira pas, pas plus qu’un socle de cours obligatoires en début de formation dédié à la compréhension des enjeux climatiques ; c’est une nouvelle ingénierie de formation qui doit être définie afin de fournir aux futurs managers le bagage nécessaire pour intégrer dans leur spécialité (marketing, finance, achat, supply chain…) l’enjeu climatique au cœur de leur réflexion stratégique et de leurs actions au quotidien. C’est dans ce sens que le Club Économie verte remettra prochainement des propositions concrètes à HEC Alumni et à la direction de l’École.

* La collapsologie est l’étude de l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder.

P.S. : Les supports de présentation utilisés pour cette conférence sont disponibles au téléchargement sur la page « média » du club : https://www.hecalumni.fr/group/economie-verte-green-business/199/medias

Antoine Rabain (M.06), président du Club Économie verte

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