Après avoir revendu sa start-up Artips, Coline Debayle (H.13) s’est lancée dans le projet Time for the Planet. Objectif : lever 1 milliard d’euros pour financer des projets environnementaux. Portrait d’une battante qui n’a pas sa langue dans sa poche.

 

Le 16 novembre, six diplômées au parcours inspirant ont participé au prix annuel Trajectoires organisé par HEC au féminin. Lors de cette soirée riche en enseignements, la benjamine des nominées, Coline Debayle, a mis en avant son ambitieux projet Time for the Planet qui vise à financer des solutions pour la transition climatique. Une initiative qui illustre l’audace de cette trentenaire que la recherche de sens anime depuis des années.Pisser sous la douche ne suffira pas. Cette apostrophe taquine est le titre du livre publié en juin dernier par les fondateurs de Time for the Planet. Ils y expliquent le rôle crucial de l’innovation pour faire face à la crise environnementale et éviter que l’humanité ne disparaisse. Le livre revient sur la genèse du projet et les difficultés rencontrées pour le concrétiser, notamment celle de créer une entreprise à but non lucratif et ne versant pas de dividendes.

Ambitions, transparence  et open source

Time for the Planet a vu le jour à Lyon en 2019. Coline Debayle s’est associée à cinq autres entrepreneurs dont la plupart ont, comme elle, déjà monté des start-up : Mehdi Coly (Mon CDI, Automate.me), Nicolas Sabatier (Houblon du Moulin, L’Atenium), Laurent Morel (Eurêka, Everest Creative), Arthur Auboeuf (BrainBox) et Denis Galha Garcia. Deux ans après sa création, le projet apparaît, à première vue, comme un échec relatif. Time for the Planet a levé moins de 10 millions d’euros, soit à peine 1 % de son objectif final qui devait initialement être atteint dès 2030. Autant dire qu’il ne sera vraisemblablement pas atteint dans les temps. « Nous sommes dans le top 10 du crowdfunding européen, tempère Coline Debayle. Et nous avons enclenché un effet boule de neige : il a fallu un an pour lever le premier million, un an pour lever les neuf suivants. Je suis convaincue que les montants vont continuer de croître et que l’objectif du milliard peut être atteint. » Rien n’est encore sûr à ce stade, mais collecter une telle somme en deux ans auprès de 32 000 associés constitue déjà un exploit, à mettre au crédit de Coline et de ses compères.

Un monde qui ne s’occupe pas du changement climatique, c’est un monde conflictuel

« Nous offrons un outil aux citoyens qui se sentent impuissants face au réchauffement planétaire », explique la Lyonnaise de 31 ans. Les montants collectés par Time for the Planet financent des projets écologiques comme les batteries 100 % renouvelables sans métaux rares d’Aredox, le climatiseur « vert » de Leviathan Dynamics ou encore des bateaux à voile pour transporter les conteneurs de marchandises. L’organisation joue la carte de la transparence. « Tous nos documents, statuts, comptes financiers, comptes rendus d’assemblées générales et de conseils de surveillance, sont en ligne. » De même, les brevets sont partagés en open source. « Et si des Chinois nous copient, ce sera tant mieux. Pour une fois, ils feront quelque chose de bien ! », s’exclame-t-elle, provocatrice. Face à un enjeu mondial, pas de place pour les guerres de territoire… Outre l’impact sur les gaz à effet de serre, les projets financés sont choisis sur la base de différents critères comme la faisabilité, la possibilité de dupliquer la solution à l’échelle mondiale, l’impact sur la biodiversité et sur la santé, etc. Car in fine la réussite ne se mesurera pas aux profits dégagés par Time for the Planet, mais à l’effet des investissements sur l’environnement.

De l’audace pour la bonne cause

La jeune femme dynamique n’en est pas à son coup d’essai. À peine son master HEC en poche, en 2013, elle cofonde la start-up Artips qui publie des newsletters sur l’art, la musique et la science. Elle a vécu ses débuts d’entrepreneuse comme une troisième école, dure et exigeante, après Sciences Po et HEC. « J’étais une très bonne élève, mais monter une société avec succès n’a rien à voir avec la réussite scolaire », confie l’entrepreneuse, qui a fait sa troisième année de Sciences Po à Berkeley, à côté de San Francisco, et a suivi un stage de deux mois en microfinance à Washington. Pas de place pour le perfectionnisme : il faut décider, expérimenter, itérer, se planter… et se relever. « Je me suis pris une bonne claque pendant les premiers mois d’Artips. Je me suis bâti un énorme muscle de résilience », raconte la cofondatrice. Elle apprend sur le tas la réalité parfois contre-intuitive de l’entreprise. Elle en sort quelques convictions : « lorsqu’on n’arrive pas à trancher, c’est que les deux choix sont bons », « le pire, c’est l’inaction » ou encore « plus on demande de l’argent, plus on a de chance de l’obtenir ». L’aventure prend forme.

Après Artips sur l’histoire de l’art, Coline et son équipe créent la newsletter Musiktips sur la musique, Sciencetips sur la science et Economitips sur l’économie. En 2019, la start-up compte 1 million d’abonnés. Les fondateurs revendent la société à Beaux-Arts Magazine, racheté par Frédéric Jousset (H.92), cofondateur de Webhelp et ex-président de l’association HEC Alumni. Coline reste un an chez Artips pour assurer la transition, puis laisse les rênes à son associé Jean Perret.Ceux qui l’ont côtoyée à l’époque d’Artips ne tarissent pas d’éloges sur cette entrepreneuse studieuse et visionnaire. « Je l’estime beaucoup. Elle fait les choses par passion, pas par goût de l’argent. Elle se fixe de grandes ambitions… et ensuite, elle va au charbon, , raconte Jean Tuloup, son ancien bras droit chez Artips. Le quotidien était très besogneux. C’est une tarée de l’excellence ! » Réunions préparées au cordeau, newsletters relues avec minutie… Les journées étaient longues et le niveau d’exigence élevé. « Elle corrigeait tout à la virgule près, mais ne perdait pas de vue la “big picture”, la vision globale de la start-up, renchérit Laura Bocquillon, qui a travaillé chez Artips en 2017, avant de devenir directrice de formation pour Ulule. C’est une stratège brillante, qui sait choisir ses combats. J’ai le même âge qu’elle, mais elle me paraît beaucoup plus expérimentée. J’ai gardé un souvenir très heureux de notre collaboration. » Amatrice de théâtre, qu’elle a pratiqué pendant dix ans, Coline se démarque aussi, aux yeux de ceux qui l’ont côtoyée, par son audace. « Elle n’a pas froid aux yeux, elle sait toquer à toutes les portes sans se décourager », glisse Laura Bocquillon. La sensibilité de la trentenaire aux enjeux environnementaux s’est éveillée lorsque, alors étudiante à Sciences Po, elle a assisté à une « leçon inaugurale » de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici sur le thème de la transition écologique. « Un monde qui ne s’occupe pas du changement climatique, c’est un monde conflictuel et violent dans lequel vous pouvez oublier les promesses de croissance perpétuelle », avait martelé le cofondateur du cabinet de conseil Carbone 4. Lors de la soirée Trajectoires au féminin, Coline a alerté l’auditoire sur l’ampleur de la catastrophe qui nous attend, et sur ce que signifient vraiment ces +2 degrés qui peuvent nous paraître anodins, quitte à trancher avec le ton résolument optimiste de la soirée. De toute évidence, Coline semble avoir pris la mesure de l’enjeu. Et elle s’y attelle concrètement. Tout n’est peut-être pas perdu.

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