À la tête de la Fondation EQT, la Norvégienne Cilia Holmes Indahl (M.14) finance le développement de start-ups innovantes dans les domaines de l’environnement, la santé et l’inclusion.

5.00 AM. Dans son appartement de Stockholm, Cilia s’asperge le visage, allume la bouilloire, s’attelle, chaque matin, à se rappeler que « le monde est un endroit merveilleux ». Direction la salle de yoga. Une routine indispensable pour « se rafraîchir les idées, déconnecter du travail et libérer sa créativité ».

Le matin, Cilia se concentre sur les tâches les plus importante. Le reste du temps, hyperactive, elle voltige. Elle enchaîne les rendez-vous avec ses équipes, avec de jeunes start-up, avec des partenaires investisseurs. Elle prépare un documentaire pour lequel elle interviewe entrepreneurs et experts en systèmes de financement. Elle étudie les meilleurs moyens de mobiliser les capitaux et de créer de la valeur, à la fois pour la Fondation et pour le fonds d’investissement EQT. Elle rédige des slides en écoutant de la musique classique. Elle prend connaissance de quelques-uns des milliers de dossiers que la Fondation reçoit chaque année, envoyés par des entreprises du monde entier.

En mai dernier, à Paris, elle prenait la parole au salon ChangeNow. Le 13 septembre prochain, à Séoul, elle assistera à l’Entrepreneurship Impact Challenge, durant lequel cinq jeunes pousses coréennes en quête d’investisseurs, présenteront leur projet. Depuis le début de sa carrière, Cilia dit avoir animé plus de 150 conférences et workshops, devant des étudiants ou des entreprises. « Être sur scène stimule ma créativité et enrichit mon point de vue. Je ne considère pas ces événements comme des occasions de distiller mon savoir, mais de confronter mes idées avec le public ou d’autres intervenants”, dit-elle.

Viking moderne

Chemise blanche et look naturel, Cilia a 34 ans et répond en tout point à l’archétype de la jeune femme scandinave. Tant par son physique – cheveux blonds, yeux clairs, sourire solaire – que par sa manière d’être et de vivre : sobre, saine, sportive, proche de la nature, indépendante, impliquée. Elle ne s’offusque pas de ce cliché et est reconnaissante d’avoir grandi dans une société qui a favorisé l’émancipation des femmes.

Cet état d’esprit conquérant, sans peur et sans tabou, lui viendrait-il aussi de ses ancêtres vikings ? Cilia assure qu’elle porte en elle « une puissante énergie ». Ce qui ne l’empêche pas de « cultiver une part de compassion et de gentillesse », de communiquer librement sur ses émotions à la mort de son père ou sur ses envies d’enfants. Moderne, elle confie ainsi qu’elle a congelé ses ovocytes, car pour l’instant, son bébé, c’est la Fondation.

Cilia considère que sa force, en tant que dirigeante, tient dans sa capacité à avoir une vision à très long terme et à la combiner avec les ressources actuelles dont la Fondation dispose pour atteindre ses objectifs. Avec ses collaborateurs, elle privilégie le dialogue ouvert et la diversité. Elle s’attache à considérer chacun comme un être humain dans son entier, avec ses qualités professionnelles, sa personnalité unique, son parcours, mais aussi ses émotions personnelles et ses fêlures.

Quand elle quitte son habit de PDG, Cilia reçoit ses amis à dîner, lit, danse, se laisse volontiers tenter par de nouvelles expériences. « Living intentionnally », est sa devise. Pour elle, cela signifie « vivre selon son cœur », en restant fidèle à ses objectifs et ses valeurs, au travail comme dans la vie quotidienne.

Végétarienne, anti-fast fashion, Cilia a meublé son appartement suédois avec des pièces de seconde main plutôt que chez le géant local de la décoration. « Living intentionally, cela signifie aussi être honnête envers soi-même, avoir conscience de sa responsabilité, de ce que l’on peut faire, de ce que l’on ne fait pas et de ce que l’on pourrait améliorer, sans se voiler la face », ajoute-t-elle.

Un engagement qui grandit

Née dans une famille de pêcheurs au nord de la Norvège, la petite Cilia n’aurait jamais imaginé en arriver là un jour. Son père, qu’elle surnomme MacGyver, était particulièrement doué pour trouver des solutions inventives à tous les petits problèmes du quotidien. Sa mère, travailleuse acharnée, mettait tout en œuvre pour assurer le nécessaire. Des parents qui ont contribué à forger la motivation de Cilia et sa détermination à toujours vouloir améliorer les choses.

Son engagement pour le développement durable est, selon Cilia, « logique, évident », porté par sa culture scandinave. « Nous avons une longue lignée d’hommes politiques et de chercheurs qui ont prôné le développement durable depuis les années 1970 ». Cilia explique également qu’en Norvège, pays de montagne, de mer et de fjords, « la relation des hommes à la nature est particulièrement forte. » La Norvège est également un État qui disposait de peu de capitaux avant qu’on y trouve du pétrole, et qui a développé un mode de vie frugal. En suédois, il existe aussi un mot pour exprimer cette idée : « lagom », qui signifie « la juste quantité », analyse-t-elle.

Autre élément déterminant dans l’engagement de la jeune femme : son passage à HEC en 2013. Elle choisit le master Sustainability and Social Inclusion (SASI), « la formation la plus ancienne et la plus complète consacrée au développement durable ». Elle y côtoie des étudiants en biologie, en droit, en commerce, venus du monde entier. De nouvelles perspectives s’ouvrent alors à elle. « Là-bas, j’ai rencontré Laurence Lehmann-Ortega et, grâce à elle, ma passion pour les business models durables a grandi. Son cours et son approche totalement novatrice sont vraiment le point de départ de tout ce que j’ai fait dans ma carrière », affirme-t-elle aujourd’hui.

 

 

« Investir dans la lumière au bout du tunnel »

À cette époque, « certains me prenaient encore pour une hippie », témoigne Cilia. Aujourd’hui, les esprits évoluent. « Les générations précédentes ont grandi dans un monde de dépendance aux énergies fossiles sans comprendre que les intérêts commerciaux et le lobbying compromettent la démocratie. Mais les jeunes générations, qui ont connu une succession de crises et le stress lié à la médiatisation grandissante de ces sujets, ont conscience de l’urgence », assure Cilia.

Les avancées de la recherche permettent aussi de progresser sur ces questions. Même si l’évolution est souvent trop lente. « De nombreuses études montrent désormais que le développement durable est un levier de performance économique pour les entreprises. On ne peut pas calculer la valeur de l’air pur et de la paix sociale (qui n’ont pas de prix), mais il y a certaines choses que l’on peut évaluer objectivement en euros ou en dollars.

Agir pour la transition permet de réduire les coûts et les risques à long terme, de garantir l’accès aux ressources naturelles, de fidéliser ses clients, de donner du sens à son activité et ainsi d’attirer les investisseurs et les talents. Si certaines entreprises ne l’ont pas encore compris, elles finiront par s’en rendre compte quand elles verront leurs résultats financiers s’effondrer, présage-t-elle. Malheureusement, le changement climatique se déroule sur le temps long et ne constitue pas un risque immédiat, il faudra que la situation empire avant que nous soyons enfin capables d’agir collectivement. »

D’où l’engagement de la Fondation EQT pour accélérer la transition. Les montants dédiés à la Fondation sont constitués de dividendes et de dons réalisés par les partenaires et les employés d’EQT. Cela représente 1% du capital d’EQT et 1% des profits générés par les fonds EQT. La Fondation gère aussi le budget qu’EQT alloue aux œuvres philanthropiques.

« Notre raison d’être est d’investir dans la lumière au bout du tunnel, explique Cilia de façon imagée. Nous soutenons des entrepreneurs dont les innovations pourraient nous permettre de continuer à respirer, à rire, à aimer et à créer sur notre planète. C’est un investissement patient, qui tolère un niveau de risque élevé. Notre approche est profondément liée aux valeurs d’EQT qui sont l’esprit d’entreprise, le respect et l’inclusion. »

 

Chercheuse de pépites

La Fondation EQT soutient déjà 14 start-up et ambitionne d’en ajouter 10 de plus chaque année à son portefeuille. Parmi eux, Molecular Attraction a mis au point un produit qui éloigne les moustiques sans éradiquer l’espèce, et réduit ainsi le risque de transmission du paludisme. Norbite mène des études sur une larve d’insecte capable de digérer les plastiques, pouvant servir à l’alimentation et dont les déjections peuvent être transformées en engrais bio. Living Carbon a réussi à modifier génétiquement des peupliers afin d’accélérer leur croissance et ainsi leur capacité à capturer le carbone et à fournir du bois pour l’industrie.

Pour repérer ces start-up prometteuses, la Fondation EQT travaille en collaboration étroite avec les départements de recherche des universités. Elle utilise également l’intelligence artificielle pour scanner la toile en quête de pépites. « Nous sélectionnons les entrepreneurs selon deux principaux critères : premièrement le caractère novateur et impactant de la solution qu’elles proposent ; deuxièmement la faculté qu’elles ont à changer d’échelle, c’est-à-dire à apporter une valeur suffisante à une grande partie de la société pour, à terme, générer des profits commerciaux. »

Les heureux lauréats bénéficient non seulement d’un soutien financier mais aussi de l’accompagnement et de l’expertise du réseau EQT pour développer et pérenniser les jeunes entreprises. Une façon de poser des jalons pour assurer l’avenir de la planète.

 

Article par Marie Tourès 

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