Soyons clairs : jamais je n’avais pensé à correspondre avec un détenu et surtout pas avec un condamné à mort. J’y ai été pratiquement obligé : en effet, depuis mon temps à l’école ( j’ai maintenant 84 ans), je lis des romans policiers anglais dans le texte (bien plus savoureux que les traductions souvent infidèles ou insipides). Cela m’a donné une bonne connaissance de l’anglais écrit, bien que j’aie encore de grosses difficultés avec l’anglais oral.

Or, il y a plus de onze ans, j’ai vu, dans Le Courrier de l’ACAT, un appel angoissé pour trouver des correspondants capables de lire et écrire l’anglais (l’ACAT, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et de la peine de mort, est une ONG de défense des droits de l’homme créée en 1974). Il me semblait que je n’avais pas le droit de ne pas répondre à cet appel, mais je me sentais dans l’état de quelqu’un jeté dans une piscine sans savoir nager : que dire à un homme d’un autre continent, ce qui entraînait, en plus de la langue, une culture différente.

De plus, s’il était en prison, cela pouvait impliquer une moralité discutable…. Mais je me suis vite rendu compte qu’il s’agissait d’un homme intelligent, sensible, ouvert sur l’extérieur. Comme, au départ, je n’avais pas trop de sujets de conversation, je lui ai parlé de notre vie de famille. Il m’a répondu, envoyé des poèmes, des dessins (qui servaient aussi à lui procurer de l’argent de poche…).

Petit à petit, nous avons été amenés à le considérer comme un membre de notre famille. Et puis, au bout de dix ans, j’ai appris que nous pouvions tenter la grande aventure : lui rendre visite (après dix ans de correspondance !). Le contact avec Frank Raiford a eu lieu dans son milieu carcéral, au milieu de criminels étonnamment chaleureux et humains.

Son message ? « Nous ne sommes pas des rebuts, des ordures, de la racaille : nous sommes des hommes, je suis quelqu’un. » Cette expérience m’a profondément marqué et changé, et j’invite chacun à s’engager pour que la torture, la maltraitance et la peine de mort disparaissent, partout dans le monde.

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