Charles-François Lebrun, figure méconnue de l’Empire
L’année du bicentenaire de la mort de Napoléon est pour moi l’occasion de remettre à l’honneur une des figures majeures du Consulat et de l’Empire : Charles-François Lebrun (1739-1824), troisième consul, duc de Plaisance…. J’ai écrit en 2014 une biographie de cet ancêtre direct, grâce à des archives familiales inédites (dont des lettres de Napoléon) et de nombreux témoignages de ses proches.
Il naît le 19 mars 1739 à la Bouchelière (Manche), étudie à Paris et maîtrise parfaitement à 22 ans cinq langues (latin, grec, espagnol, italien et anglais). Il parcourt ensuite pendant un an l’Europe (Belgique, Hollande, Angleterre) où il se passionne pour le système politique anglais. Rentré en France en 1763, il est nommé à différents postes de confiance (dont celui de censeur royal) et devient l’adjoint du chancelier de Maupeou. Il bénéficie déjà d’une belle réputation. Louis XV ne dit-il pas : « Que ferait Maupeou sans Le Brun ? ». Mais la révolte des parlements entraîne sa chute en 1774 avec celle de Maupeou.
Il publie, de façon anonyme, au début de 1789 un livre politique prémonitoire La Voix du Citoyen, puis est élu député du tiers état de Dourdan aux États généraux, tout en appartenant au second ordre. Membre de l’Assemblée constituante en 1789 (avec de fortes responsabilités financières), président du Directoire de Seine-et-Oise en 1791, il est emprisonné à deux reprises à Versailles (1793, 1794) et échappe de peu à la guillotine.
Le cercle du pouvoir. Bonaparte essaye de l’amadouer pour qu’il accepte le poste de troisième consul. Il refuse d’abord, puis se laisse convaincre. Après l’avoir côtoyé pendant plus de quinze ans, Napoléon le décrit comme un « mentor influent », un homme sage, modéré, capable, insensible aux honneurs, et pourtant les relations entre les deux hommes sont parfois tendues. Troisième personnage de l’État sous le Consulat, il effectuera ensuite des missions prestigieuses en Italie et en Hollande, où il représentera l’Empire. Son parcours politique est remarquable et mouvementé : censeur royal en 1765, troisième consul, prince architrésorier de l’Empire, duc de Plaisance … et enfin pair de France en 1814.
Le monde des affaires. Spécialiste des questions budgétaires et financières pendant plus de vingt ans, Lebrun est également le grand organisateur de la Cour des comptes en 1807. Soucieux du développement industriel de la France, il crée des manufactures et promeut le développement des voies navigables et terrestres pour favoriser le commerce. Attentif au bien-être de ses ouvriers, il leur construit des maisons et encourage les associations de bienfaisance…
« C’était à la fois, ce qui est rare, un homme d’Etat, de lettres et de finances, aidant au bien sans bruit, laissant parler pour lui ses bonnes actions, comme il avait écrit, sans se nommer, ses meilleurs ouvrages », écrit le général comte de Ségur.
Le terrain des lettres. Au-delà de ses talents politiques et financiers, il est également reconnu pour ses talents littéraires et ses traductions de La Jérusalem délivrée (1774), L’Iliade (1776), L’Odyssée (1819)… Très attaché à ses racines terriennes, il acquiert d’importantes propriétés foncières dans la Manche (Brévands, Brix, Chiffrevast, Laulne, La Luzerne, Sébeville, Vierville…) et près de Dourdan (Grillon, Sainte-Mesme…) où il meurt le 16 juin 1824, à 85 ans.
Ainsi, en près de cinquante ans de vie politique, il sert la France sous Louis XV, Louis XVI, Napoléon et Louis XVIII, sans compromission.
J’ai ainsi souhaité rendre un hommage plus que mérité à ce personnage méconnu et injustement oublié par l’histoire, dont la personnalité a été occulté par celles de Bonaparte et de Cambacérès. Intègre, humble, austère, quelquefois raillé par ses contemporains, il a pourtant largement contribué au redressement de la France après les heures sombres de la Révolution.
Patrice de Villette (H.80) – pdevillette@hotmail.fr
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