Capucine Collin (H.16) : « j’ai décidé d’être prof en REP »
Capucine Collin (H.16) a quitté son job de consultante pour devenir enseignante en réseau d’éducation prioritaire (REP). Nous l’avons retrouvée, un jour de classe, dans son établissement de Villetaneuse, en banlieue parisienne.
Une fois n’est pas coutume, en ce lundi matin, nous allons à l’école, en classe de 5e. Nous sommes au collège Lucie Aubrac de Villetaneuse, établissement REP 1 situé dans la banlieue nord de Paris; pour assister au cours de français de Capucine Collin (H.16), diplômée HEC reconvertie en prof. Une vingtaine d’élèves débarquent, visiblement excités par la présence d’un média. « On va passer à la télé ? », lance l’un d’eux. « C’est pour Le Parisien ? », s’enquiert un autre. Le cours n’a pas commencé, mais « Madame Collin » doit déjà faire preuve d’autorité pour calmer la classe. » Vous pourrez vous asseoir quand vous serez tous silencieux. Houda, tu fais perdre du temps à tout le monde ! « .
Habillée en tenue décontractée, la jeune femme semble en tout cas comme un poisson dans l’eau. Difficile d’imaginer qu’elle pratique depuis moins de deux ans ce métier auquel ses études ne l’avaient pas destinée. Ce matin, les élèves travaillent par groupe de deux. Ils doivent écrire une satire sur un métier de leur choix en reprenant les codes de l’écriture théâtrale. Les consignes ont été rappelées au tableau. Préciser le nom de la personne qui parle en majuscules avant la réplique, donner des indications sur le jeu d’acteurs grâce aux didascalies, etc. Le duo d’élèves devant nous a choisi de se moquer du président de la République. L’idée est séduisante, mais ils n’avancent pas vraiment sur la rédaction…
La classe est dissipée et Mme Collin doit durcir le ton à plusieurs reprises. Au bout d’une vingtaine de minutes, elle passe à autre chose. « Vous terminerez l’écriture chez vous, vous me rendrez votre texte lundi prochain ». La professeure impose une minute de silence avant d’aborder la seconde partie du cours, la lecture de texte. La classe prépare un spectacle de fin d’année sur L’Amour médecin de Molière. » Entrez dans la peau de votre personnage, n’hésitez pas à faire des tentatives. Allez-y avec de la personnalité, sinon le public va s’ennuyer ! « , exhorte l’enseignante.
Après cette heure mouvementée de français, suivie d’un cours de latin heureusement bien plus calme, Capucine Collin peut souffler. Elle évoque avec nous sa reconversion tout en prenant son déjeuner. Après son M2 à HEC, la jeune femme qui a grandi à Saint-Cloud a voyagé pendant six mois avec une camarade de promo. Formées par l’association InFocus, les deux amies sont parties tourner des vidéos de communication pour des ONG spécialisées dans l’éducation inclusive en Afrique, en Asie et en Amérique latine. « Nous avons découvert des projets impressionnants, raconte Capucine Collin. J’ai été très touchée par le travail et la dévotion des professeurs. » Elle a pourtant commencé sa carrière de manière assez classique pour une HEC : dans un cabinet de conseil en développement international. Mais elle démissionne au bout de six mois…
“ C ’est un job très physique, mais ça ne me déplaît pas. La première année, je m’écroulais de fatigue en rentrant chez moi ! ”
« Me retrouver derrière un ordinateur, ça ne m’a pas du tout plu », glisse-t-elle. Rattrapée par son envie de transmettre, elle candidate au programme proposé par Le Choix de l’école, une association qui encourage les jeunes diplômés ou actifs à s’engager comme enseignants dans des collèges REP et REP+. « J’avais découvert cette association aux Carrefours HEC. J’ai adoré préparer les épreuves de sélection pour rejoindre le programme. Je me suis sentie tout de suite dans mon élément. »
Dans sa promotion, elles ne sont pas moins de six – toutes des filles – à avoir intégré ce programme ! « Je suis sûre que ce chiffre va continuer à progresser, présage-t-elle. La question du sens se pose de manière croissante chez les gens de ma génération et je pense que nous sommes de plus en plus nombreux à porter sur le métier de prof, aujourd’hui très dévalorisé, un autre regard qui nous donne envie de nous engager dans cette voie.» Dans le cadre du programme, Capucine a bénéficié d’un mois de formation en amont de sa première rentrée (l’université d’été), puis d’un accompagnement pendant ses deux premières années d’enseignement.
L’université d’été lui a permis d’aborder la préparation des cours et la gestion de classe tout en se familiarisant avec le système scolaire public. Elle en a profité pour nouer des liens précieux. Par exemple, elle prépare ses cours de latin en binôme avec une collègue du Choix de l’école. De Jouy-en-Josas au « 9-3 », la transition a été rock’n roll, mais Capucine Collin veut faire taire les clichés. « Je ne me suis pas fait une montagne d’arriver en REP, et ça n’a pas été le choc que certains s’imaginent. » Elle passe sa première année de prof dans un collège REP+ à Saint-Denis, et relève le défi. « C’était bien musclé. Déjà, à la base, ce sont des ados, ils sont prompts à mettre le bazar. En plus, certains grandissent dans des environnements familiaux compliqués. Comment leur demander de se calmer quand c’est le chaos permanent à la maison ? »
Des élèves qui la provoquent volontiers. La tentation de les renvoyer est parfois grande, mais ils n’attendent que ça… « C’est un job très physique, mais ça ne me déplaît pas. La première année, je m’écroulais de fatigue en rentrant chez moi ! », confesse-t-elle. Qu’à cela ne tienne, elle adore son nouveau métier. « Je ne m’ennuie jamais. Les élèves me surprennent tout le temps avec leurs idées ! Il y a beaucoup de solidarité entre professeurs en REP et ce métier offre une grande liberté. » Elle dispose, de fait, d’une autonomie totale dans l’ordre des sujets abordés et la longueur des séquences.
« Cela fonctionne par thèmes, par exemple, le voyage. Comme je suis passionnée de littérature, j’ai plaisir à préparer mes cours. » On est loin des modules de comptabilité et de logistique à HEC… Ses années sur le campus lui ont toutefois été profitables, ne serait-ce que pour l’esprit d’initiative qu’elle s’y est forgé. « Je me lance dans un projet, je mets la charrue avant les boeufs, puis je me débrouille pour trouver les moyens adéquats ! » Elle a organisé cette année un voyage scolaire à Arles et à Nîmes pour ses élèves de latin, qu’elle a financé en décrochant diverses subventions.
Elle a aussi monté un atelier de philosophie le vendredi midi, qui réunit une quinzaine de collégiens volontaires, surtout des sixièmes. « Ils sont épatants, ils ont plein de choses à dire sur des questions comme : ‘‘Qu’est-ce que le bonheur ?’’ ou ‘‘Que fait-on sur Terre ?’’ »
Avec sa rémunération mensuelle de 2 000 euros pour une cinquantaine d’heures de travail hebdomadaires (18 heures de cours et « environ le double » pour les préparer), Capucine est consciente de gagner beaucoup moins que la plupart de ses camarades de promo, avec des perspectives d’augmentation limitées. Mais elle ne se plaint pas. « Je m’estime chanceuse, j’ai trouvé un job qui me plaît. » De là à le faire toute sa vie ? « Tant que j’aurai de l’énergie et de l’envie à transmettre aux élèves, je continuerai ! Mais probablement pas pendant trente ans. ». Le plus beau métier du monde fonctionne à la passion.
- Le Réseau d’éducation prioritaire regroupe des établissements situés dans des quartiers socialement défavorisés (précédemment appelés Zones d’éducation prioritaires, ou ZEP). Les élèves et les équipes éducatives du REP doivent bénéficier de dispositifs spécifiques pour réduire l’inégalité des chances et d’améliorer les résultats scolaires.
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Published by Thomas Lestavel