Mon diplôme en poche, en 1958, j’ai cherché un emploi. Je me suis adressée à la SNCF, car être fonctionnaire offrait une certaine sécurité. On m’a ri au nez. « Nous n’embauchons pas de femmes, car chez nous les cadres doivent avoir pratiqué préalablement tous les postes, y compris celui de manœuvre. Vous imaginez une femme chef de gare ? » Voulant voyager, je suis allée voir la Marine. « On peut vous proposer un poste de secrétaire, mais il est exclu qu’une femme monte sur un bateau. » Soixante ans plus tard, le ministre des Transports et celui des Armées sont des femmes.

J’ai donc suivi un parcours plus classique dans des entreprises privées, naviguant entre PME et grosses sociétés. Dans l’une d’entre elles on m’a déclaré, quand je demandais une promotion : « Il n’y aura jamais de femme cadre chez nous. » Affirmation hasardeuse : aujourd’hui, le PDG est une femme. D’autres m’ont fait confiance et j’ai parcouru la moitié de la planète pour conclure des contrats, certains dans des domaines aussi pointus que l’énergie nucléaire. À 57 ans, on m’a mise en préretraite. J’ai pensé que je n’étais peut-être pas totalement perdue pour la collectivité et j’ai pris, en tant que bénévole, la direction d’un atelier d’insertion par le travail. Le public ? Des femmes, encore, bousculées par la vie, des graines de « gilets jaunes » qu’il fallait remettre debout sur leurs deux pieds. Quand j’en croise en ville quelques-unes, bien dans leur peau et à l’aise dans leur vie, je me dis que c’est la carte de visite la plus valorisante de mon CV. J’ai 82 ans. Après un passage de dix ans comme rédactrice dans un journal à grand tirage de Normandie, je cherche un nouveau défi. La vie ne finit qu’avec la mort, dirait M. de La Palisse, et l’avenir est aux femmes. #MeToo a montré qu’elles peuvent venir à bout des obstacles les plus tenaces. Que les benjamines de HEC au féminin ne se découragent pas en approchant du plafond de verre : il est déjà bien lézardé par rapport à mon époque. De nos jours, le temps s’accélère, et elles n’auront probablement pas à attendre soixante ans pour voir les choses changer. Good luck à elles !

Andrée Verdier-Bitran (HJF.58)

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