La négociation professionnelle permet de bâtir des accords entre des parties soucieuses de traiter pacifiquement leurs différends sans compromettre leurs intérêts. Éclairage de Laurent Plantevin, président et fondateur du Groupe ARCANTE et auteur du livre « Bâtisseurs d’Accords ».

La crise du Covid-19 impacte les entreprises sur le plan contractuel. Qu’avez-vous pu observer à ce niveau ? Quelles sont les tendances qui se dessinent ?

Tout d’abord, nous constatons une terrible ambiguïté : d’abord, une vraie convergence d’intérêt entre tous les acteurs économiques pour faire vivre et maintenir l’activité, la production, la consommation. En effet, nous avons assisté à une forme « d’Union Sacrée » entre tous les acteurs, y compris l’État, pour faire face à cette situation présentée comme un « état de guerre ». Bien que la guerre sanitaire soit désormais derrière nous, la vigilance est de mise durant les mois qui suivront. Par ailleurs, nous notons aussi une vraie divergence d’intérêt, sourde, latente, entre ces acteurs au sujet du coût économique de cette crise. L’état ne pourra pas aider toutes les entreprises qui constatent un fort accroissement de leurs coûts d’exploitation ou une forte baisse de leur productivité. La question qui se pose est donc de savoir comment vont se répartir ces coûts entre clients, fournisseurs et sous-traitants. Cela étant, il est évident que les relations et les négociations entre les entreprises seront fortement affectées par la répercussion sur elles et la répartition entre elles des conséquences économiques de cette crise.

Comment voyez-vous les relations et négociations entre les grandes entreprises évoluer dans ce cadre ?

La négociation d’affaires mêle étroitement rapport de force et rapport d’intérêt. Elle s’inclut le plus souvent dans des relations durables entre les acteurs, clients, fournisseurs et sous-traitants. C’est d’ailleurs pour cela, que certaines approches de négociation, telle que la négociation de crise, sont peu efficaces ou pertinentes entre entreprises : nous ne pouvons pas considérer client ou fournisseur comme des preneurs d’otages ou des victimes de rapts ! Dans ce cadre, la crise va fortement affecter ce contexte de relations et négociations. Tout d’abord, le rapport de force va s’exacerber. C’est la conséquence à la fois de l’accentuation des enjeux économiques de court terme pour toutes les entreprises et de leur fragilisation : tout le monde a faim, dans un univers où les ressources sont raréfiées et où beaucoup d’acteurs sont affaiblis. Or le monde des affaires est un univers pragmatique, pas forcément cynique, et c’est au nom de ce pragmatisme, un peu égoïste, que les plus forts tenteront d’imposer leurs intérêts, leurs positions, aux plus faibles. Cependant, si le rapport de force va s’accentuer, le rapport d’intérêt sera aussi plus dense : la crise va provoquer une concentration des acteurs. Certains vont purement et simplement disparaître, d’autres seront rachetés par leurs concurrents, d’autres aussi chercheront à bâtir de nouvelles alliances. Dans un monde plus concentré, les acteurs ne sont plus aisément interchangeables l’un pour l’autre, les relations d’intérêts durables s’accentueront, ce qui peut apaiser et équilibrer les rapports de force.

Dans ce cadre, comment accompagnez-vous vos clients dans ce contexte incertain et tendu ?

Le groupe Arcante est le leader européen du conseil en négociation professionnelle. Notre métier consiste à aider nos clients à bâtir les meilleurs accords avec leurs partenaires en affaires, clients, fournisseurs et tiers. C’est précisément dans ce contexte incertain et tendu, que les entreprises ont besoin des meilleurs experts en négociation pour défendre au mieux leurs intérêts face à cette exacerbation des rapports de force précédant sûrement une accentuation des rapports d’intérêts. À cet égard, nous avons constaté une croissance majeure de notre activité de conseil en stratégie de négociation, qui a augmenté de près de 20 % cette année.La grande question qui nous est souvent posée par nos clients est celle de la renégociation des accords et des contrats existants suite à cette crise. Nous leur rappelons d’abord que le terme de « renégociation » est inapproprié. Toute négociation conclue aboutit à un accord, un contrat, qui engage les parties. La question qui devrait réellement se poser, est celle de savoir si une nouvelle négociation doit s’ouvrir.Il convient alors d’être circonspect parce qu’une divergence d’intérêts n’est jamais à sens unique, il faut donc bien définir les bases de cette négociation nouvelle pour qu’elle soit favorable aux intérêts de la partie qui l’initie. Ainsi, la question de la « renégociation » est souvent bien plus complexe qu’on ne l’imagine dans beaucoup d’entreprises !

“La négociation d’affaires mêle étroitement rapport de force et rapport d’intérêt.”

Vous avez récemment sorti un livre à ce sujet : « Bâtisseurs d’Accords ». Dites-nous en plus.

Bien qu’il existe de multiples livres sur la négociation de crise, la théorie de la négociation, la négociation raisonnée, très peu d’ouvrages évoquaient jusqu’à présent la négociation professionnelle. Cette dernière recouvre des activités multiples dans l’entreprise et porte souvent sur des enjeux majeurs mais elle est difficile à appréhender pour le grand public. Elle est peu relayée par les organes d’information, n’inspire aucun scénario de séries et les médias n’y ont pas leur place, ni avant, ni pendant, ni après son déroulement. Pourtant, elle a des conséquences directes sur la vie quotidienne, le travail, la tranquillité d’esprit, la sécurité matérielle de millions de personnes, clients, fournisseurs, partenaires et salariés des entreprises. Cependant, la négociation d’affaires à deux particularités majeures qui la distingue des autres formes de négociation.

D’abord, elle s’inclut dans des relations durables entre les parties. Je le répète, à l’inverse de la négociation de crise, il y a eu un « avant » la négociation et il y aura un « après ». Cette négociation s’inclut dans des relations d’intérêts qui l’influencent et qui seront impactées par elle. Il est rare qu’un négociateur du GIGN ait eu à connaître les terroristes qu’il affronte et devra à l’issue de la négociation maintenir une relation d’intérêt avec eux !Ensuite – et contrairement aux principes très théoriques de l’approche dite de la négociation raisonnée – elle ne peut pas imposer une forme de transparence, de coopération, entre les parties. Celles-ci ont bien entendu des relations d’intérêts entre elles, mais elles ont aussi des divergences fortes, parfois stratégiques, elles peuvent être concurrentes, elles veulent protéger leurs secrets, il est donc vain de prétendre leur faire dévoiler leurs intentions réelles en vue de rechercher un intérêt commun supérieur. Pourtant, il leur est nécessaire de bâtir un accord pérenne et profitable avec leurs clients, fournisseurs, partenaires économiques.

Ainsi, ce livre a pour but de faire connaître et parfois de réhabiliter la négociation des affaires. Nous voyons souvent derrière une négociation réussie, le triomphe de la persuasion, de l’habileté, de la patience, bref, d’une intelligence relationnelle aiguisée. Tout ceci est en partie vrai mais aussi très incomplet. Savoir négocier nécessite une préparation affûtée, une maîtrise rigoureuse de schémas stratégiques et tactiques robustes, un contrôle précis de leur déploiement, une régulation permanente du processus et des échanges entre les parties. Un négociateur est d’abord un stratège, un technicien, un planificateur avant que d’être un orateur persuasif ou un intervenant habile. Dans ce livre, je détaille les stratégies, tactiques, techniques, postures et systèmes argumentaires les plus performants et les plus modernes de la négociation professionnelle. Je confronte aussi les différentes approches et théories existantes de la négociation à l’expérience du réel dans les entreprises et les organisations.

Laurent Plantevin, est président et fondateur du groupe Arcante. Il intervient personnellement dans le domaine du conseil en négociation, et il anime des conférences sur la technologie de négociation professionnelle. Il est à ce jour le conseiller en négociation de nom-breuses équipes dirigeantes d’entreprises majeures dans leurs secteurs d’activité.

ARCANTE créé en 2000, est le leader européen dans le secteur du conseil et de la formation en négociation profession-nelle. Intervenant dans plus de 50 pays, Arcante a développé une technologie de négociation inédite, fondée entre autres sur les outils, techniques et méthodes de la négociation internationale.

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