1. De quoi parle-t-on ?

La réponse de Bénédicte Faivre-Tavignot (H.88), directrice du Master HEC Management du développement durable

Née aux États-Unis en 2006, la certification B Corp est attribuée à des entreprises à but lucratif qui répondent à des critères sociaux, environnementaux, de transparence et de gouvernance. La certification est décernée par l’ONG B Lab si l’entreprise qui en a fait la demande obtient une note supérieure à 80/200 lors d’une évaluation réalisée sur l’outil en ligne BIA, B Impact Assessment. Lors de l’évaluation, renouvelée tous les trois ans, l’organisation réalise un état des lieux assez exhaustif de sa performance extra-financière. Grâce à ce standard, elle peut se comparer à d’autres entreprises. Au-delà du processus de certification, les B Corps constituent un mouvement international qui tente d’influer sur la décision politique. Début 2019, plus de 2 800 entreprises étaient certifiées (sur un total d’environ 80 000 entreprises candidates) dans plus de 60 pays et 150 secteurs.

2. Quelles entreprises sont déjà certifiées ?

La réponse d’Alain Étienne (H.17), cofondateur du site e-commerce bio Kazidomi, en cours de certification

La plupart sont des PME peu connues du grand public, mais on trouve aussi des grands noms comme les vêtements Patagonia, les glaces Ben & Jerry’s ou les lessives Seventh Generation. Ces entreprises ont longtemps été reconnues pour leur engagement et le label ne vient que le confirmer. Des noms plus inattendus se sont ajoutés depuis, y compris ceux de sociétés cotées en Bourse comme Danone – notamment sous l’impulsion de son PDG Emmanuel Faber (H.86). Les trois secteurs les plus représentés sont l’alimentation, la formation et l’habillement. Des activités comme la gestion de prisons, de zoos ou d’aquariums ne peuvent prétendre à la certification. Une société pétrolière, en revanche, est théoriquement admissible. Mais pour cela, elle devra prouver son impact sociétal positif et les moyens conséquents qu’elle déploie pour développer les énergies renouvelables.

Illustration B Corp par Severine Scaglia
©Severine Scaglia

3. Qu’est-ce qui motive les entreprises à devenir B Corp ?

La réponse de Philippe Platon (H.91), ex-directeur finances et ressources humaines de La Ruche qui dit oui

Pour prendre le cas de La Ruche qui dit oui, la start-up avait déjà obtenu en 2012 l’agrément officiel délivré par l’État aux entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS). Pour cela, nous avions défini une mission sociale dans nos statuts, mis en place une grille de salaires resserrée et réinvesti les profits dans la poursuite de l’activité. Mais comme on dit dans le monde des coopératives, « statut n’est pas vertu ». Nous nous sommes lancés car nous voulions rendre mesurables et comparables les engagements de notre société. A savoir : proposer de la nourriture bio, assurer un meilleur niveau de vie aux agriculteurs, promouvoir les circuits courts, etc.

La prospérité de La Ruche qui dit oui dépend aussi de la crédibilité de sa mission. B Corp y contribue, même si sa notoriété est pour l’instant assez faible en Europe. On trouvait que l’agrément ESUS était un peu excluant, car il se définissait de manière négative – il dénonçait en creux les excès du capitalisme. La certification B Corp, au contraire, nous a permis d’affirmer une mission positive en faveur de la société et de l’environnement, liée à l’objet social de l’entreprise. L’idée n’est pas de se mettre en retrait du marché, mais de gagner de l’argent tout en ayant des valeurs. Comme le dit un de slogan de B Corp : « business is no longer a bad word ».

4. Est-ce compliqué ou coûteux de se faire certifier ?

La réponse de Victor Lugger (H.08), cofondateur des restaurants Big Mamma qui viennent d’obtenir la certification

Le processus d’audit mené par B Corp est très professionnel, le coût modéré et adapté à la taille de la structure : 10 000 euros par an dans notre cas. Ce qui peut être compliqué, ce sont les changements structurels à mettre en place pour faire bouger les lignes de l’entreprise vers une gestion plus durable. Mon conseil : la responsabilité du projet doit être portée par le chef d’entreprise. Chez Big Mamma, la responsabilité est assumée par un des deux fondateurs en direct, et notre note B Corp est un des 5 indicateurs de performance suivis par les actionnaires, au même titre que la satisfaction client, par exemple. Alors forcément, les équipes se mobilisent !

Concrètement, cela nous a pris huit mois, en 2018, pour être labellisés. Le projet a mobilisé une quinzaine de personnes dans l’entreprise, mais certains changements sont portés par toute l’équipe dans les restaurants. Quant au coût, cela n’a eu aucun impact sur le budget 2018 de l’entreprise : les changements que nous avons dû opérer – respecter la parité hommes-femmes au sein du Comex ou faire signer à tous nos fournisseurs en Italie une charte détaillée, par exemple – ne coûtaient rien. Même si nous sommes déjà bien au-delà des 80 points sur 200 nécessaires pour avoir le label, nous continuons les efforts. Nous avons décidé cette année d’allouer un budget de 150 000 euros pour améliorer notre performance énergétique. Il s’agit d’un investissement rentable à long terme.

Illustration B Corp critères d'évaluation par Severine Scaglia

5. Sur quels critères est-on évalué ?

La réponse de Laurence Lamoureux Grandcolas (H.06), fondatrice de la société MySezame certifiée en 2018

Le questionnaire de B Lab se décline en cinq catégories : l’impact de l’entreprise sur l’environnement, sur les salariés, sur les communautés, sur les clients et enfin l’approche en termes de gouvernance. Les 200 questions couvrent l’engagement vis-à-vis de toutes les parties prenantes, y compris les fournisseurs. Certaines exigent une réponse écrite, par exemple sur la mission, mais la plupart sont de type QCM. Il faut être en capacité de fournir des pièces justificatives à l’équipe B Lab, ce qui prend du temps, mais permet d’être dans une vraie logique de transparence. Les différentes catégories et réponses rapportent plus ou moins de points. Le questionnaire est revu par un comité indépendant tous les dix-huit mois, ce qui contraint à progresser entre deux certifications !

Nous nous sommes lancés dans la démarche au premier semestre 2018 chez MySezame. Cela nous a amenés à nous interroger sur nos pratiques. Une vingtaine de questions ont provoqué des actions en interne. Par exemple, nous avons créé un guide d’accueil des salariés pour pouvoir répondre « oui » à la question sur le sujet, car cela nous semblait être un vrai levier d’inclusion et de transparence. Il y avait aussi une question sur le partenaire bancaire. Nous n’avions pas identifié cette dimension comme levier d’impact côté fournisseurs. Du coup, nous avons choisi La Nef (une banque éthique coopérative, ndlr) pour un emprunt destiné à financer le développement d’un produit digital.

6. Qui est derrière le B Lab ?

La réponse de Jean-Christophe Laugée, professeur affilié à HEC et consultant en économie inclusive chez Hystra.

Le B Lab, l’ONG qui décerne la certification B Corp, a été fondée par trois entrepreneurs : Bart Houlahan, Jay Coen Gilbert et Andrew Kassoy. Bart Houlahan avait auparavant dirigé AND 1, une entreprise d’équipements sportifs pour le basketball. Il l’a revendue à des investisseurs qui ont ensuite réduit les coûts en sacrifiant la qualité des produits. Bart Houlahan a gardé un souvenir amer de cette expérience. Il s’est dit qu’il fallait faire quelque chose pour empêcher des « prédateurs » d’enlever tout leur sens à des projets entrepreneuriaux. La création de B Lab reprend en outre les idées d’Ed Freeman, selon lequel l’entreprise n’a pas pour unique finalité de générer des profits, mais doit créer de la valeur pour tout un ensemble de parties prenantes (stakeholder capitalism).

Cette position académique a soutenu l’apparition aux États-Unis de statuts de société alternatifs comme celui de benefit corporation (qui est différent de la certification B Corp, bien qu’également promu par B Lab). En France, la loi Pacte ouvre d’ailleurs la voie à un équivalent : l’entreprise à mission. Le questionnaire d’évaluation B Corp est accessible gratuitement en ligne. Il permet aux entreprises de se faire une idée de leur responsabilité environnementale et sociale. Avec l’effet d’entraînement créé par des entreprises comme Patagonia, Nature & Découvertes ou Danone, l’association rencontre actuellement quelques difficultés pour étudier les dossiers de toutes les entreprises candidates.

©Severine Scaglia

7. Quelles critiques peut-on formuler à l’égard de B Corp ?

La réponse de Karen Lemasson (M.06), directrice RSE et Open Innovation des laboratoires Expanscience (qui détiennent la marque Mustela)

B Corp est un label très prometteur, mais encore assez confidentiel et porté jusqu’alors majoritairement par des PME. Nous avons certifié le groupe Expanscience dans son ensemble, avec ses 16 filiales à l’étranger, en 2018. Expanscience, groupe familial qui compte un peu plus de 1 000 collaborateurs, était ainsi jusqu’en avril dernier la plus grande B Corp française ! L’engagement récent de plus grosses entreprises comme Blédina montre que le label fait son chemin… Les villes ou les accélérateurs de start-up ont aussi un rôle à jouer pour s’emparer de cet élan et créer un écosystème d’entreprises à impact positif. La commune de Genève a mis en place un programme « Best for Geneva » (bestforgeneva.ch).

Il est dommage qu’aucune ville française ne fasse la promotion de B Corp auprès des entreprises de son territoire. D’autant que grâce au questionnaire BIA accessible en open source, toute organisation peut mesurer son impact sociétal et identifier ses axes d’amélioration, sans être obligée d’aller jusqu’à l’audit et la certification, qui engendrent des coûts. Des adaptations du questionnaire seraient cependant utiles, car il est aujourd’hui très lié à la culture et à la réglementation américaines. Il ne prend pas en compte les spécificités locales ou la complexité de firmes multinationales. Par exemple, la mesure de la diversité ethnique des salariés est impossible en France, puisque la collecte de statistiques ethniques y est interdite. Actuellement, un groupe de travail réfléchit à ces questions. Restera à trouver dans quelle mesure l’adapter, de manière à maintenir une possibilité de comparaison à l’international.

8. En quoi B Corp se distingue-t-il d’autres certifications similaires ?

La réponse d’Emery Jacquillat (H.93), PDG de Camif Matelsom, distributeur de meubles et literie par internet

En 2009, j’ai repris la Camif à la barre du tribunal de commerce. J’ai relancé l’entreprise grâce à un modèle d’impact qui a réengagé les parties prenantes : clients, fournisseurs, salariés et territoires. Nous avons fait partie des premières sociétés françaises certifiées B Corp, en 2015. Et nous voulions en effet évaluer et chiffrer notre impact. Au départ, nous avions établi un prédiagnostic avec la norme ISO 26000, mais finalement nous avons préféré poursuivre avec la certification B Corp, et cela pour quatre raisons. Le formulaire est détaillé, pratique et adapté au secteur et à la taille de l’entreprise. Il couvre toutes les dimensions de la performance extra-financière, jusqu’au choix des partenaires bancaires.

L’évaluation est publique. Il est ainsi possible de comparer ses résultats avec ceux d’autres distributeurs, partout dans le monde, sur tel ou tel critère. En obtenant la certification, on rejoint une communauté de dirigeants qui partagent une même vision (réconcilier le profit et l’impact positif ) et échangent leurs bonnes pratiques. C’est chouette de faire partie du même « groupe » que Patagonia ou Ben & Jerry’s ! Enfin, B Corp est un label vivant, qui continue d’évoluer avec le temps. Nous sommes certifiés tous les trois ans. Entre 2015 et 2018, j’ai découvert par exemple une nouvelle question relative à l’inscription d’une mission à impact social ou environnemental dans les statuts.

©Severine Scaglia

9. La certification B-Corp a-t-elle un impact positif sur le business ?

La réponse de Blandine Surry (H.99), directrice B Corp chez Danone

Danone a conclu en 2016 un partenariat avec B Lab visant au développement du modèle de certification pour les multinationales. Depuis, le groupe a annoncé son ambition d’être certifié au niveau mondial d’ici à 2030. À ce jour, quatorze entités, qui représentent plus de 30% du chiffre d’affaires consolidé, ont été certifiées. Cette ambition est une source de motivation et de fierté pour nos collaborateurs. Elle renforce le sens de leur mission au quotidien et les incite à faire bouger les lignes, comme l’a révélé en 2018 une consultation des 100 000 collaborateurs portant sur la stratégie d’entreprise.

B Corp constitue également une preuve objective de la performance environnementale et sociale de l’entreprise. En 2018, Danone a modifié sa ligne de crédit auprès d’un groupe de 12 banques afin d’y inclure des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ayant un impact direct, à la hausse ou à la baisse, sur les taux d’intérêt. Une première ! L’un des critères retenus pour mesurer cette performance est le pourcentage du chiffre d’affaires consolidé de Danone couvert par des certifications B Corp. Enfin, le label répond au niveau d’exigence grandissant des clients en matière de transparence des pratiques environnementales et sociales. Une marque de confiance, donc, pour nos consommateurs qui cherchent à donner du sens à leurs achats.

10. B Corp peut-il sauver le monde?

La réponse d’Élisabeth Laville (H.88), fondatrice d’Utopies (première entreprise française certifiée en 2014) et du mouvement B Corp en France

L’objectif de B Corp est bien d’utiliser l’entreprise comme une force de changement positif dans le monde ! Michel Serres disait d’ailleurs que si l’on veut sauver la planète, il ne faut pas travailler sur la politique, mais sur l’économie, car c’est elle qui détruit la nature. De ce point de vue, B Corp apporte une contribution majeure. Sa philosophie et le contenu de son questionnaire mettent l’accent sur des aspects essentiels à la « transition écologique » du capitalisme comme la raison d’être de l’entreprise ou la façon dont elle explicite sa contribution positive à la société. Alors, bien sûr, on pourrait douter de la capacité de B Corp à sauver le monde en regardant le nombre d’entreprises certifiées : environ 3 000 sociétés dans 64 pays… contre près de 3 millions d’entreprises rien qu’en France !

©Severine Scaglia  illustration B Corp Terre

D’autant que les sociétés certifiées sont historiquement des PME, alors que les plus gros impacts aujourd’hui proviennent des très grands groupes. Cela dit, les grandes entreprises s’intéressent de manière croissante à B Corp, et cette certification va les amener à s’engager… Ainsi, les petites entreprises innovantes inspirent les plus grandes. Souvenons-nous de la phrase de l’anthropologue Margaret Mead, disant qu’il ne faut jamais douter qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde, car c’est la seule chose qui se soit jamais produite !

©Severine Scaglia  illustration B Corp super héros
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