Sommes-nous disposés à payer plus cher pour du poulet issu de l’agriculture biologique? À voir notre salaire diminuer quand notre entreprise finance un projet écologique? L’étude d’Augustin Landier et David Thesmar bouscule les idéalistes qui pensaient que leurs valeurs n’avaient pas de prix, et les économistes, obligés d’admettre qu’ils doivent prendre en compte les aspirations des populations.

Pourquoi s’intéresser au prix de nos valeurs ?

Nous avons souvent observé que les gens optent pour des solutions différentes de celles préconisées par les économistes. Le Brexit, par exemple, a été approuvé par référendum alors qu’il était considéré comme une aberration économique. Depuis Adam Smith, on faisait en sorte de séparer économie et morale. Mais en pratique, lorsque l’on prend une décision, les deux notions entrent en compte. Il manquait un référentiel pour comprendre comment s’articulent les choix entre matérialisme et idéalisme.

Comment avez-vous mesuré le prix de nos valeurs ?

Nous avons mené un sondage auprès de 6 000 individus de trois nationalités (française, allemande et américaine). Nous leur avons soumis des scénarios imaginaires les obligeant à arbitrer entre leurs valeurs ( justice, altruisme, liberté, loyauté, autorité) et le coût financier pour les défendre. Pas de réponse pour ou contre, mais un curseur qui nous a permis d’évaluer le prix de nos valeurs.

Que révèle cette étude ?

Les personnes interrogées optent pour un compromis raisonnable. Elles défendent certaines convictions mais pas à n’importe quel prix. Nous n’avons pas constaté de différences majeures entre les trois pays. Même si les Français manifestent un attachement particulier à la défense de l’identité culturelle et un ras-le-bol fiscal – ce qui fournit un indice sur les marges de manœuvre des politiques. Par ailleurs, nous avons retrouvé une opposition traditionnelle entre la droite, attachée à la souveraineté, l’autorité, la loyauté, et la gauche, soucieuse d’égalité et de justice sociale. Indépendamment de la couleur politique, un clivage intéressant est apparu : celui entre les individualistes et ceux qui affichent un esprit plus collectif.

Selon vous, comment réagiraient les entreprises face à ces dilemmes ?

Il serait intéressant de poursuivre l’étude en interrogeant les entreprises, très travaillées par l’idée de se positionner sur les questions sociales, environnementales et de gouvernance. Le message à retenir pour les dirigeants, c’est qu’ils peuvent sortir de la rhétorique win-win, qui consiste à dire « soyons vertueux, c’est un levier de croissance ». Il ne faut pas avoir peur de dire que, parfois, il y a des arbitrages à faire et des compromis à trouver.

Le Prix de nos valeurs, d’Augustin Landier et David Thesmar (Flammarion). Vous pouvez aussi répondre au sondage sur le site: www.leprixdenosvaleurs.fr

Augustin Landier

Professeur de finance à HEC Paris, il mène des recherches sur la finance d’entreprise, l’économie comportementale, la gestion d’actifs, la théorie des organisations ou encore l’économie bancaire. Il est l’auteur, avec David Thesmar, du Grand Méchant Marché (Flammarion), de La Société translucide (Fayard) et de 10idées qui coulent la France (Flammarion).

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