Pour les entreprises, s’engager pour le climat consiste à identifier et intégrer dans leur stratégie à la fois les enjeux de transition vers une économie décarbonée et ceux de résilience et d’adaptation face aux effets du changement climatique.

L’engagement nécessaire des entreprises pour le climat

Un environnement d’affaires compatible avec l’accord de Paris affectera les entreprises en matière de réduction d’émissions. Par ailleurs, elles devront être plus résilientes dans un monde où l’évolution des conditions climatiques et les événements extrêmes affecteront de plus en plus les conditions de travail, les infrastructures et les ressources comme l’eau ou la biomasse1. Cet exercice est d’autant plus contraignant qu’il doit s’accommoder des incertitudes quant aux échéances et aux amplitudes (1,5 °C / 2 °C / 3 °C ?) du changement climatique. L’analyse prospective par scénarios permet aux entreprises de tester la résilience de leurs activités économiques dans plusieurs futurs possibles différents notamment sous contraintes énergie-climat. Il est important de connaître les postulats sous-jacents des scénarios (comme ceux de l’AIE 2) utilisés dans le cadre de ces analyses, la plupart n’ayant pas été conçus dans cet objectif 3.L’engagement pour le climat d’une entreprise est donc crédible lorsque ses actions d’atténuation et d’adaptation répondent à la nécessaire décarbonation des modèles de production et de consommation, en tenant compte d’un contexte technologique, politique, économique et social instable mais aussi et surtout des enjeux sectoriels et de filière. Dès lors, comment apprécier un tel niveau d’engagement ? Prenons l’exemple des constructeurs automobiles et focalisons-nous sur la seule dimension de décarbonation.

L’exemple du secteur automobile

Responsable de 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), le transport automobile a un rôle clé dans la décarbonation de l’économie. Pourtant seulement 5 constructeurs automobiles parmi les 25 plus grands prévoient de réduire les émissions de GES liées à l’utilisation des véhicules produits de façon à aligner leurs trajectoires de transition bas carbone avec les objectifs d’atténuation de l’accord de Paris 4. Aussi les ventes de véhicules bas carbone 5 de 16 d’entre eux représentent moins de 1 % de leurs chiffres d’affaires. Autrement dit, 99 % des ventes de ces constructeurs verrouillent des émissions futures au travers de véhicules à combustion interne qui vont parcourir des milliards de kilomètres. La décarbonation du secteur automobile peut être soutenue par des politiques publiques qui créent un environnement favorable au développement et à la commercialisation de véhicules bas carbone. C’est le cas en Europe où l’anticipation des récentes normes en matière de seuil d’émissions explique en partie une meilleure performance des constructeurs automobiles qui commercialisent sur ce marché. Des investissements R&D sont nécessaires dès maintenant pour développer des technologies appliquées aux systèmes de transmissions bas carbones mais aussi pour réduire le coût de technologies matures afin d’augmenter leur pénétration du marché.Enfin, de nouveaux modèles d’affaires fondés sur l’accès à la mobilité en tant que service créent des avantages compétitifs. Mais le déploiement de ces modèles comme le covoiturage et la mise à disposition de véhicules partagés reste limité et ne transforme pas suffisamment l’accès à la mobilité pour atteindre les objectifs de réduction de décarbonation du secteur.

Évaluer l’engagement des entreprises automobiles

Quel est le profil d’une entreprise du secteur de la construction automobile qui s’engage pour la transition ? Selon la méthode développée par l’initiative ACT 6 pour le secteur automobile, cela ne doit pas se refléter uniquement sur la fixation d’objectifs de décarbonation ambitieux mais bien imprégner toute la stratégie de l’entreprise. Celle-ci s’est donc a minima fixé des objectifs de réduction des émissions de GES, fondées sur la connaissance scientifique des évolutions du climat 7, pour la flotte de véhicules vendus (et pas seulement pour la performance de ses usines) alignés avec la trajectoire de décarbonation du secteur8. Ces objectifs, en valeur absolue, doivent couvrir au moins 80 % de la durée d’utilisation du véhicule mis sur le marché et tenir compte des émissions de GES de l’énergie depuis l’extraction jusqu’à la consommation des véhicules (WTW 9) pour avoir un impact significatif. Pour atteindre ces objectifs, l’entreprise s’est déjà engagée durablement dans la réduction de l’intensité carbone10 des véhicules qu’elle met sur le marché.Le niveau de réduction est significatif au regard des contributions sectorielles attendues en termes de transition bas carbone.Par ailleurs, afin d’atteindre ces objectifs, les responsabilités de la transition bas carbone doivent être portées au plus haut niveau décisionnel de l’entreprise et le plan stratégique de transition bas carbone de l’entreprise présente des objectifs, jalonnés dans le temps, de la croissance des ventes de véhicules à très faibles émissions rapportée au taux de croissance requis par le secteur de la construction automobile pour rester dans sa trajectoire de transition alignée au scénario 2 °C 11. L’horizon temporel de ces objectifs correspond au moment où l’offre de l’entreprise est uniquement constituée de ce type de véhicules. Un constructeur automobile ainsi engagé investit dans la R&D sur des technologies non matures pour développer des alternatives qui ne sont pas encore source de revenus.Une entreprise réellement engagée va aussi soutenir des standards et des politiques publiques plus contraignants permettant de répondre aux enjeux du changement climatique et contribuer à changer le comportement de ses clients vis-à-vis de la mobilité. En effet, peu d’entreprises de ce secteur font la promotion d’un accès à la mobilité autre que la voiture unipersonnelle.

Des défis spécifiques à chaque secteur

En résumé, pour rendre compte de l’engagement d’une entreprise vis-à-vis d’une transition zéro carbone12, les enjeux associées à la décarbonation doivent se refléter quelle que soit l’entreprise, à tous les niveaux de sa stratégie : objectifs, investissements matériels et de R&D, performance carbone des produits ou services, management, mobilisation fournisseurs, engagement avec les clients et les pouvoirs publics et modèle économique. Les défis sont néanmoins différents d’un secteur d’activité à l’autre et il convient d’identifier et de suivre différents indicateurs pour tenir compte des opportunités et risques face à la transition bas carbone de chacun.

Lisa Bertrand, Business developer initiative internationale ACT (évaluation de la Stratégie bas carbone des Entreprises) au sein de l’ADEME.

1. An IPCC special report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty. https://www.ipcc.ch/sr15/
2. Agence internationale de l’Énergie.
3. Scénarios énergie-climat, Rapport du think tank The Shift Project pour l’Afep https://afep.com/wp-content/uploads/2019/11/Etude-Sc%C3%A9narios-Afep_TSP-4-pages-FR-2.pdf
4. https://climate.worldbenchmarkingalliance.org/
5. Hybrides, hybrides rechargeables et électriques à batteries.
6. ACT – Assessing Low Carbon Transition®, portée par l’ADEME et le CDP, soutenue par le gouvernement français et reconnue par le Marrakech Partnership for Global Climate Actions, permet d’évaluer l’engagement des entreprises secteur par secteur au regard de l’objectif de mitigation de l’accord de Paris. actinitiative.org
7. Alignée sur les objectifs de mitigation de l’accord de Paris, comprenant des objectifs de réduction en valeur absolue mais aussi en termes de vitesse de décarbonisation des activités émettrices.
8. Calculée à partir des scénarios climatiques monde en utilisant par exemple la méthode Sectoral Decarbonisation Approach développée par la Science Based Targets initiative.
9. Well to Weel (WTW).
10. WTW gCO2e/p.km.
11. Objectif de mitigation de l’accord de Paris approuvé suite aux négociations de la COP21 par 195 pays reconnus par l’ONU et entré en vigueur en novembre 2016.
12. Net Zéro en 2050.

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