Le Club HEC Agro-alimentaire a réuni 70 décideurs lors d’une conférence dédiée aux impacts de la vague d’inflation que nous connaissons depuis 18 mois, autour du témoignage de 4 intervenants, parmi lesquels Thomas Auriau (H97), Directeur Général de Pagès.

Pour Thierry Pouch, économiste en chef des Chambres d’Agriculture de France, les hausses considérables des prix agricoles subies depuis un an et demi traduisent la double dépendance des marchés agricoles aux aléas climatiques et géopolitiques.

La détente espérée pour cet été est très incertaine en raison des nombreux facteurs de volatilité : maintien incertain du corridor d’exportation ukrainien, hausse des stocks de précaution chinois (triplement des stocks de céréales et d’oléagineux depuis 2010), renchérissement des engrais, baisse de la production et hausses de prix entre 25 % et 80 % pour les productions animales …

En définitive, on peut se demander si cette crise n’était pas la 1ère crise de la transition agricole, marquée par des baisses structurelles de certaines productions, de forts déséquilibres offre / demande, des aléas climatiques marqués et des incertitudes géopolitiques, avec pour résultat des pénuries et une grande volatilité des prix.

Emmanuel Fournet, NielsenIQ, expert des marchés de la consommation, souligne l’apparition d’une situation relativement inédite avec une inflation (cette fois des prix de vente consommateurs) au plus haut depuis 1984. La France fait face pour la première fois depuis très longtemps à une déconsommation significative – même si elle reste moindre que celle des grands pays voisins – avec des « pointes » sur certaines catégories jusqu’à – 15%.

Comme lors de la dernière crise de pouvoir d’achat de 2008/2010, les achats sous promotions et de MDD/Premiers prix progressent, mais cette fois-ci, la hausse des prix est beaucoup plus ample et s’annonce plus durable selon Nielsen IQ , avec à la clé des changements probables de fond dans les comportements d’achat.

Yves Legros, directeur général de Yoplait, est effectivement frappé par la baisse de la consommation en Angleterre, un des marchés phares de Yoplait et un pays beaucoup plus marqué par l’inflation que la France ; de nombreux consommateurs ont commencé à sauter des repas depuis que l’inflation cumulée a dépassé les 15 %.

Face à de tels changements de comportement, les producteurs vont devoir s’efforcer de réagir suffisamment vite plutôt que de chercher à (bien) prévoir. Et simplifier ses process et sa gamme pour se recentrer sur l’essentiel : fabriquer des produits bons et sûrs, avec un taux de service impeccable. Il constate d’ailleurs avec plaisir que la pénétration de l’ultra-frais résiste bien en France avec des vraies réussites comme le Skyr, yaourt fortement protéiné, qui attire sans doute des consommateurs de protéines animales.

Thomas Auriau (H97), DG du producteur auvergnat de thés et infusions Pagès, et leader de la production de marques de distributeur (MDD), confirme que la MDD a fortement bénéficié du report des achats des consommateurs au détriment des marques. Dans ce contexte, il a dû adapter sa production à cette nouvelle donne, tout en s’efforçant de répercuter les hausses de prix enregistrées sur des centaines de matières premières différentes, alors que les changements quasi continuels de législation ont alourdi voire tendu les négociations.

Au final, les participants se sont accordés sur la complexité du paysage, dans lequel piloter sera un véritable défi, même si de vraies opportunités ne manqueront pas de s’y dégager. Peut-être les consommateurs accepteront-ils de réinvestir un peu dans leur alimentation, un domaine marqué par la désinflation lors de la dernière décennie. Et peut-être cette crise amènera-t-elle davantage de Français à réduire leur gâchis alimentaire – une des premières solutions « anti-crise » mises en avant par les ménages.

Si tel est le cas, alors cette crise massive de pouvoir d’achat se sera accompagnée de changements d’habitudes vertueux ! Ou comme le disait Einstein « dans la complexité trouvez la simplicité … au milieu de la difficulté, se trouve l’opportunité ». Frédéric Milgrom (H92) & Hubert Lange (H90)

Avec l’aide, pour le reportage photos, de Simon Bonaventura O’Casicci (H23) et Yuanfang Long (MBA24) et, pour la prise de notes, de Katia Faour (H06) et Mathieu Crabos (M13)

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