ACTIONNARIAT ACTIVISTE : LA TYRANNIE DU COURT TERME
Abstract
Nous étudions l’impact de l’activisme des hedge funds sur les performances financières et sociales des entreprises. En collectant les données de 1 324 campagnes de fonds spéculatifs activistes entre 2000 et 2016, nous avons identifié des effets récurrents. Les avantages, centrés sur l’actionnaire et de courte durée, se traduisent par une hausse rapide de la valeur marchande et de la rentabilité. Mais ces augmentations ont à moyen et à long terme un coût pour les autres parties prenantes, et conduisent à une diminution des flux de trésorerie d’exploitation, des dépenses d’investissement et des performances sociales. En effet, si la valeur des sociétés en portefeuille augmente en moyenne de 7,7 % dans les douze premiers mois suivant l’intervention du fonds spéculatif, cette croissance diminue par la suite, et se fait au détriment de la performance extra-financière de l’entreprise.
Rodolphe Durand, Mark R. DesJardine, Disentangling the effects of hedge fund activism on firm financial and social performance, Strategic Management Journal, Vol. 41, No. 6, June 2020.
3 questions à Rodolphe Durand, professeur à HEC Paris
Les stratégies menées par les hedge funds activistes nuisent-elles aux entreprises ?
Disons que les fonds spéculatifs activistes ont tendance à moins valoriser les projets de moyen et long terme, et à moins prendre en compte les autres parties prenantes de l’entreprise (salariés, fournisseurs, clients, partenaires, territoires, etc.). Notre recherche confirme que les mesures de restructuration menées pèsent sur l’emploi, les investissements en recherche et développement, les projets collaboratifs et innovants.Si on regarde la valeur financière créée pendant les cinq années qui suivent l’entrée de fonds activistes au capital, celle-ci est à peu près égale à celle d’une entreprise comparable qui n’aurait pas été « attaquée ». À une nuance près : avec l’intervention des fonds activistes, l’augmentation de valeur est concentrée sur les deux premières années, tandis qu’elle est répartie sur les cinq années pour les autres entreprises. Les principaux bénéficiaires sont les actionnaires de court terme.
Comment avez-vous mesuré la performance extra-financière des entreprises en question ?
L’originalité de notre étude est qu’elle analyse à la fois les déterminants de la performance financière et ceux de la performance sociétale. Nous constatons qu’une attaque d’activistes stoppe la performance ESG de l’entreprise ciblée, tandis que ses rivales continuent de s’améliorer sur ces trois facteurs (environnemental, social et de gouvernance). L’écart au bout de cinq ans devient très substantiel, aux alentours de 25 %.Pour mesurer ces facteurs, les agences d’évaluation des données ESG agrègent et pondèrent les informations publiques et déclaratives fournies par les entreprises. Dans le cadre de nos travaux, nous nous sommes basés sur les données de la base KLD, aujourd’hui intégrée par MSCI.
Prévoyez-vous de mener des projets de recherche complémentaires sur cette thématique ?
Absolument. Dans un autre projet, nous nous demandons si les entreprises reconnues pour leur performance environnementale et sociale constituent les cibles privilégiées par les fonds activistes. En effet, compte tenu de la théorie de création de valeur défendue par les fonds activistes, la bonne performance extra-financière de ces entreprises pourrait signaler une moindre attention aux bénéfices – et donc à la rétribution des actionnaires.
Rodolphe Durand (H.93, D.97)
Professeur à HEC Paris, titulaire de la chaire Joly Family Chair in Purposeful Leadership et fondateur du centre Society & Organisations, il s’intéresse dans ses travaux de recherche aux sources d’avantage concurrentiel, ainsi qu’aux déterminants cognitifs et normatifs de la performance.
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Published by La rédaction