A la découverte du Couserans…
Connaissez-vous le Couserans ?
Non, ce n’est pas un animal mythique, ni un métier traditionnel, ni un insecte nuisible. Il s’agit juste d’une région française particulière, éloignée des grands axes de communication, où il fait bon vivre : 18 vallées pyrénéennes ne communiquant pas avec l’Espagne, mais convergeant à Saint-Girons, sa capitale (et sous-préfecture de l’Ariège), et sa voisine Saint-Lizier, important évêché depuis plus de 1500 ans. En quoi cela est-il intéressant, direz-vous ? La principale raison est que notre très engagé et très actif délégué Michel Fareng est originaire de la région et y réside toujours. Que dis-je ? Non seulement il y réside, mais il anime la région par ses initiatives et son réflexe de la mettre en avant dès qu’il en a l’occasion, comme il le fait de notre communauté HEC. Et quand il n’a pas d’occasion sous la main, il en trouve une… ce qu’il a fait avec notre promo 75, pour laquelle il a organisé de main de maître une escapade très complète et passionnante le premier week-end de juin, sans autre raison ni objectif particulier que de se retrouver pour passer un bon moment ensemble. Une occasion rare qui a amené certains d’entre nous à traverser la France, ou même, dans le cas de Philip Sherringham, l’Atlantique, puisqu’il est venu spécialement pour cet événement depuis le Wyoming, parcourant plus de 5.000 miles ou 8.000 km pour se joindre à nous avec sa délicieuse épouse Cathy !
Des rencontres marquantes
Avant l’arrivée du gros de la troupe, seuls quelques éclaireurs ont pu goûter les produits du seul fabricant européen de pâtes Soba (au sarrazin donc). Lorsque l’essentiel de notre groupe a été constitué, le ton a été donné avec une rencontre dans le vieux presbytère de Saint-Lizier, ancien évêché curieusement doté de deux cathédrales, avec le Docteur Michel Pichan, maire de ce bourg de 1 500 âmes dont les origines remontent à l’époque gallo-romaine. Venu de la Réunion, ce très dynamique édile gère son fief comme un chef d’entreprise, soutenu, voire stimulé par son énergique adjointe, Marie-Line Forneiron, et la non moins dynamique Florence Boiton, qui débordent d’idées pour animer la municipalité avec trois francs six sous. Ce soir-là, il a promu aussi bien la bière locale, baptisée la Brouche (la « sorcière » en occitan), que les charcuteries (Cazaux, lauréat au Salon de l’Agriculture et père de la polytechnicienne locale) et fromages de sa région, passionnément défendus par les artisans concernés, ainsi que des vins de terroirs voisins.
Le lendemain, la visite du Pays des Traces offrait un symbole pertinent pour notre promo qui a dépassé les 50 ans d’histoire commune. Ce lieu improbable (futur musée de l’ichnologie avec 15000 traces !) est tenu par Jean-Louis Orengo, un passionné des traces laissées par l’homme ou l’animal, que le vulgum pecus n’aperçoit même pas. Sa passion a été nourrie par la découverte sur son terrain, il y a dix ans, de crânes humains datant de l’âge de bronze, encastrés dans la pierre d’une petite grotte. De là a germé son idée d’un lieu célébrant la trace, et plus particulièrement les traces laissées par les humains, les oiseaux, les reptiles, les fauves et autres animaux dans la boue, le sable ou la neige, en France mais aussi dans le monde entier. Et comme si cela ne lui suffisait pas, ce digne descendant de Géo Trouvetout a conçu un couvert plusieurs fois primé au concours Lépine, baptisé la « Georgette » : cette dévouée auxiliaire fait usage simultanément de cuillère et de fourchette, et même accessoirement de couteau. L’objet se vendant à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires par an, en particulier dans les restaurants universitaires du Crous, notre sympathique inventeur nous a partagé ses affres face à la croissance. On aurait juré se retrouver devant un cas de cours de marketing de nos anciens maîtres le regretté Michel Badoc et Lendrevie ! Nous l’avons retrouvé le samedi soir, au Jardin bleu, où il nous a fait une démonstration de l’usage de la Georgette, suivie par un bref entretien avec Bertrand de Sentenac, prêtre du doyenné du Couserans qui gère, avec deux octogénaires et un nonagénaire, les quatre-vingts paroisses et cent trente églises du Couserans !
La veille, dans un restaurant en haut de la vallée de Bethmale, qui exposait des costumes, des photographies et des objets courants de la vie bethmalaise de la première moitié du siècle dernier, un (très) vieux berger nous a gratifiés d’une démonstration du « mobile des bergers », une série de hululements gutturaux destinés à alerter ses homologues dans la montagne sur des dangers ou des informations cruciales et nous a conté les légendes de la vallée. Dans la foulée, nous avons fait une halte chez le dernier sabotier régional. Celui-ci, parisien d’origine, a pris la succession d’un des derniers artisans sabotiers de la région, et même de France. Travaillant avec des machines-outils ad hoc dont certaines dataient du XIXe siècle – le marché des machines à fabriquer des sabots ne doit pas être dynamique… –, il nous a montré son art, pour la pérennité (improbable) duquel il recherche à l’heure actuelle un apprenti à former. Juste à côté, une des dernières maisons paysannes authentiques de la région attend des contributions financières (les candidats sont bienvenus…) pour être achetée (pour la faramineuse somme de… 35 k€) et transformée en musée des tradition populaires locales.
Le samedi, lors d’une déambulation pilotée par notre camarade Olivier Pagès (MBA 85), adjoint au maire de Saint-Girons, dans les allées du marché de Saint-Girons, élu le plus pittoresque de la région Occitanie, nous avons pu échanger avec une jeune femme ayant effectué un voyage de plusieurs années avec un âne et un mulet (et son compagnon) jusqu’aux frontières de l’Afghanistan, mais aussi avec un jeune fabricant de guitares Cigar Box, des guitares faites à partir de boîtes à cigares en bois et autres bouts de métal disponibles par les gamins pauvres du Deep South américain.
Allier tourisme, gastronomie et culture(s)
Saint-Lizier, cité médiévale inscrite à l’UNESCO au titre des chemins de Compostelle, a été l’épicentre de notre séjour. Nous avons été charmés tant par son patrimoine historique exceptionnel que par son site aux vues époustouflantes sur la vallée du Salat et les montagnes environnantes, jusqu’aux Pyrénées… par beau temps.
C’est d’ailleurs par là que nous avons commencé, avec le déjeuner cité plus haut. Après avoir fait un tour rapide du lac de Bethmale aux eaux émeraude, sous la menace d’un orage qui nous a privés d’une méditation rousseauiste (pas Sandrine…) prévue en pleine nature, nous avons fait une halte dans une entreprise fromagère locale, avant de rejoindre, le soir, la Table de Gaya, un lieu particulièrement reculé dans un hameau quasiment déserté de ses habitants. La vieille ferme, méticuleusement retapée par un jeune couple avec des matériaux disponibles sur le site, nous a régalés d’un menu conçu à partir de produits issus de son propre jardin, tandis que, en présence de la sous-préfète, Nicolas Demailly, un jeune auteur compositeur de la région qui réussit le prodige de vivre de son art, nous émouvait avec ses chansons aux textes sensibles.
Le lendemain, après le marché, nous nous sommes retrouvés dans le meilleur restaurant du Couserans, le Carré de l’Ange, installé dans une aile du Palais des évêques de Saint-Lizier, où Pierre-Jean Cadot a mis un point d’honneur à arriver exceptionnellement à l’heure. Nous y avons dégusté de subtiles recettes toutes conçues à partir des cultures locales. Dans ce cadre enchanteur (pas fous, les évêques !), bravant à nouveau l’orage, nous avons bénéficié d’un émouvant mini concert privé de Marie Cantagrill, une violoniste de renommée internationale issue d’une vieille famille locale qui a créé l’Orchestre de chambre de l’Ariège ainsi qu’un concours international dédié aux jeunes virtuoses du violon.
L’après-midi a été consacré à la visite du musée du Palais des évêques, riche en objets illustrant les traditions du pays, puis à la visite de la partie cathédrale, transformée en asile d’aliénés au XIXe siècle, où de magnifiques peintures du XVe siècle ont été découvertes dans les années 90 sous six couches de badigeons divers. Les plus vaillants d’entre nous ont accompagné l’infatigable Marie-Line dans une découverte des premiers des seize jardins communaux destinés à être aménagés sous la forme d’un parcours pédagogique et artistique, avant qu’un début d’orage nous chasse des superbes ruelles médiévales.
Le dîner, toujours sous le signe de la vivacité des initiatives locales pour assurer la préservation des traditions populaires nous a permis d’écouter un bref récital de musiques de danses populaires par Agnès Legendre, présidente de l’Association folklorique La Bethmalaise, et son mari.
Dimanche matin, nouvelle escapade à Saint-Lizier, cette fois pour nous intéresser à la « nouvelle » cathédrale… achevée en 1117 mais devenue cathédrale seulement lorsque le Palais des évêques a été transformé en asile d’aliéné au XIXe siècle. Nous avons pu jeter un œil à une intéressante chapelle brièvement consacrée au culte orthodoxe ainsi qu’à l’ancienne pharmacie magnifiquement préservée avec ses vitrines, ses tiroirs, ses très beaux pots en faïence et… ses atroces instruments de soins. Puis nous avons visité la cathédrale elle-même – et même son trésor fermé au public mais pas à nous – où des fresques des XIIe et XIVe siècles ont également été découvertes sous les enduits il y a 50 ans. Quant au cloître miraculeusement préservé, il a servi de décor au tournage de plusieurs scènes du Retour de Martin Guerre de Daniel Vigne (1982)
Après nous être élevé l’esprit, nous avons ensuite partagé un très roboratif et savoureux déjeuner d’adieu à l’Auberge d’Antan, dont le nom suffit à imaginer le menu. Nous y avons à nouveau été rejoints par le Dr. Pichan, par le lieutenant Giacomoni commandant la gendarmerie du Couserans et par Jean-José Rieu, créateur du Festival de Saint-Lizier, qui fut le premier à inviter en France des artistes devenus ensuite des stars comme Jessye Norman ou June Anderson.
Puis chacun est reparti de cette région préservée vers ses activités coutumières, lesté d’une tonne de souvenirs originaux et chaleureux… et sans doute de quelques kilos en plus.
Les sabotiers ne sont pas si mal chaussés…
En définitive, la leçon la plus intéressante de cette brève escapade est que les territoires les plus reculés ne sont pas forcément les moins armés pour l’avenir. Dans le cas du Couserans, sa pauvreté a fait que son patrimoine, entretenu tant bien que mal, a été préservé, et beaucoup de villages ont su éviter les concentrations pavillonnaires et les zones commerciales qui défigurent bien des sites et éloignent les touristes. Sur ce plan, face à l’essor du tourisme vert, la région dispose de nombreux atouts, l’un d’entre eux étant que, paradoxalement, la faiblesse de l’équipement hôtelier évite les méfaits du tourisme de masse. La nature y est belle, riche… et encore miraculeusement préservée.
Son autre force réside dans l’énergie de certains de ses habitants, dont nous avons rencontré quelques spécimens pleins d’idées et de l’envie de faire bouger les choses. Notre camarade Michel a créé le Fonds Culture, Nature et Patrimoine de Saint-Lizier et du Couserans, dont il a confié le poste de trésorier à Robert Eden. Préservation du patrimoine et de la culture locale, soutien d’initiatives entrepreneuriales, recherche de partenariats, mise en avant des productions locales, défense des animaux, bourses et mentoring pour les lycéens talentueux, son agenda est bien rempli pour les années à venir… et toutes les marques d’intérêt issues de notre réseau seront les bienvenues. Quant à Olivier Pagès, son rôle d’adjoint au maire de Saint-Girons et de conseiller communautaire à la Commission Economie et Tourisme de la Communauté de communes Couserans Pyrénées lui permet de stimuler les initiatives au sein de la communauté de communes. La preuve que, même dans des régions jugées reculées, la communauté HEC joue un rôle de moteur dans les changements en cours.
Published by La rédaction