Il y a dix ans, Victor Lugger (H.08) cofondait Big Mamma avec son acolyte Tigrane Seydoux (H.08). Immersion à Londres, dans la journée d’un CEO pas comme les autres.

Hampstead, dans les hauteurs de la ville, au nord du centre londonien. C’est dans ce quartier cossu que Victor a choisi de s’établir il y a six ans. Ici, les rues calmes sont bordées de maisons de styles victorien et géorgien. On est loin de la frénésie ambiante de Camden, Shoreditch ou Soho que Victor sillonne tous les jours à vélo – quand il n’est pas sur les routes d’Italie, à la rencontre de ses différents fournisseurs (et amis, pour certains). En plus de ses activités au sein de Big Mamma, Victor, Tigrane et Christine de Wendel (ex-Zalando et Mano Mano) ont mis sur pied Sunday, une fintech qui fait gagner du temps aux restaurateurs. Cette application de paiement permet au client de régler son repas directement par QR Code, de diviser facilement les additions entre les convives et d’ajouter un pourboire en un clic. La solution a franchi le cap du milliard de dollars d’additions payées en un temps record.

La chaîne Big Mamma s’étend aujourd’hui à travers 6 pays et compte 25 restaurants à Paris, Bordeaux, Londres, Munich, Berlin, Madrid, Marseille, Monaco, Milan ou encore Hambourg. Ces restos chaleureux aux airs de trattoria italienne sont aussi les premiers utilisateurs de la solution de paiement par QR Code Sunday. Avec ses deux activités, les journées de Victor sont faites de « test and learn », d’affaires de goût et d’études de coûts. On embarque avec le fondateur, qui mène une vie loin de la City.

9h30 A casa

Les trois enfants ont été déposés à l’école. Apolline, la femme de Victor, est en Italie. Elle aussi fait partie de l’aventure Big Mamma puisqu’elle s’occupe du studio Kiki en charge du design, des plans et des pièces de mobilier de tous les restaurants du groupe. Entre modernité et déco chinée, leur home sweet home est un espace raffiné et chaleureux. On comprend mieux pourquoi les restaurants de la marque sont joliment décorés. Café oblige, on discute de la photo de famille. Tigrane et Victor se connaissent de leurs années campus à Jouy-en-Josas. Après des fausses bonnes idées dans le milieu de la finance, Victor monte l’Incubateur HEC avec d’autres camarades. Les années passent, les idées s’affinent et Big Mamma naît. Presque dix ans après le premier East Mamma dans le 11e arrondissement de Paris, le duo d’entrepreneurs s’est réparti les rôles : « Tigrane fait les courses, moi, je fais les machines », lance Victor qui est full CEO de Sunday et, toujours actionnaire et co-CEO de Big Mamma.
Un tiers de son temps est alloué à ses activités dans la restauration. « Je m’occupe essentiellement du développement du groupe et de l’expérience client, précise-t-il. Je veille à ce que les plats arrivent en même temps. Je veux que le client ressente de l’émotion lorsqu’il goûte ce qu’il a commandé, que ce soit comme en Italie, avec un twist de modernité et la touche Big Mamma. »

11h30 La truffe chez Carlotta

Après une traversée de Londres à vélo électrique, Victor franchit la porte de Carlotta, le cinquième et dernier-né londonien, en plein coeur du Marylebone Village. « Buongiorno, come stai ? » Cet originaire de Strasbourg a appris l’allemand quand il était à l’école. Aujourd’hui quadrilingue, il passe de l’anglais à l’italien avec un naturel confondant. Après avoir salué Armando, Filippo et les autres membres de la squadra, Victor s’attable avec Alfredo, un producteur de truffes qui vient d’Ascoli Piceno, une jolie ville sur l’Adriatique. Téléphone en main, celui-ci montre des photos de son exploitation familiale, et aussi de ses chiens. Avant de sortir un sac de plusieurs kilos de truffes noires.

Ici, chez Carlotta, le cadre élégant confine avec le haut de gamme. Les clients réservent deux à trois mois à l’avance et viennent pour le homard à la sauce caviar, les linguine au crabe et, bien sûr, les pâtes à la truffe. L’établissement de 150 couverts ne désemplit pas midi et soir. Les ingrédients qui composent les plats proviennent des côtes anglaises comme des terres italiennes. Leur qualité est un élément prépondérant. « Chaque semaine, on commande 330 kg de stracciatella fumée des Pouilles, 130 kg de mozzarella di bufala de Naples, mais aussi 20 kg de T-bone et autant de crabes, tous deux en provenance des Cornouailles », décortique Mari Volkosh, responsable food and beverage pour le Royaume-Uni.

Le groupe Big Mamma, certifié B-Corp, représente parfois un marché important pour les petits producteurs italiens avec lesquels il travaille, mais il s’impose une règle : ses commandes ne doivent pas dépasser 10% de leur chiffre d’affaires. « Si l’on décide de changer ou d’arrêter, c’est trop risqué pour eux », précise Victor Lugger.

Changement de table, Victor rejoint Filippo La Gattuta, qui parle très bien le français et l’anglais. Il est le chef exécutif pour l’ensemble de Big Mamma au Royaume-Uni. Entré dans l’aventure à ses tout débuts, Filippo a grandi avec le groupe qui réalise 71% de ses promotions en interne. Issu de la région de Venise, il fut le deuxième à signer un CDI dans l’entreprise qui emploie aujourd’hui 2 200 personnes à travers le monde. « Fili » et Victor se livrent à leur food testing hebdomadaire. L’enjeu est inlassablement le même : tester, améliorer, trouver le meilleur.
« On ne fait pas des opérations à coeur ouvert, but still, si les clients sont mécontents, la tension se ressent jusqu’aux plongeurs ! », estime Victor tout en réclamant 25 % de basilic en plus pour sa salade, moins d’huile de paprika et des arancinis plus souples. À l’aube du mois de mai, le ciel londonien est bleu, mais le mercure plafonne timidement à 10 degrés. Ce début de printemps est aussi le temps de créer une nouvelle carte. « On change de menu quatre fois par an pour suivre les saisons », rappelle Mari pour qui le sourcing de la tomate est un défi perpétuel.

 

13h30 Déjeuner chez Jacuzzi

Trente minutes de vélo et une traversée de Hide Park plus tard, nous voici devant les portes de Jacuzzi, le quatrième restaurant londonien de la chaîne, dans le très chic quartier de Kesington. Cette ancienne maison de quatre étages a été transformée en un restaurant aux allures de manoir italien très lumineux. « Buongiorno, ciao ! », Victor salue l’équipe en salle et la brigade en cuisine, fait le tour du propriétaire et s’installe avec Filippo pour déjeuner. Ici, trois amies quinquagénaires semblent habituées des lieux. Là, deux touristes se font prendre en photo avec leurs plats. Vers l’entrée, un couple venu des émirats s’attable, tandis qu’une famille italienne monte s’installer à l’étage.

Ce jour-là, Filippo commande plusieurs plats végétariens (qui constituent 65% de la carte Big Mamma). Pâtes à la truffe, ravioli de petits pois et feta, aubergines grillées à la ricotta et tomate… les plats sont goutés, analysés, critiqués, parfois savourés.

Le duo est exigeant. L’heure tourne et Victor file au dernier étage du restaurant où il doit retrouver Caterina et Catriona qui travaillent pour le studio Kiki. Sur un coin de table, on sort des plans, des échantillons de tissus et quelques pièces de décoration. Des projets pour agrandir la famille Big Mamma sont à l’étude. Si Victor tient personnellement à ouvrir une enseigne à Strasbourg où il a grandi, d’autres villes méditerranéennes sont aussi dans le viseur. Victor touche les tissus, les passe devant la lumière et le couperet tombe : « Ça fait un peu trop Versace des années 80. Ça manque de féminité et de glamour. » On apporte café et un tiramisu parfait, « la seule recette qui n’a pas bougé depuis le tout début », sourit Filippo, soulagé.

16h00 Changement de décor chez Sunday

Vélo encore. Hyde Park dans l’autre sens. Victor gare son vélo sur une place dans le quartier de Mayfair. « En restauration, le management est plutôt top down alors que chez Sunday, l’ambiance est très différente », lance Victor qui entre dans un bâtiment abritant des bureaux partagés. Second floor, bout du couloir, on pénètre dans une pièce blanche, éclairée par un néon rose au logo de Sunday. L’équipe de dix personnes qui travaillent pour cette fintech à Londres est réunie au grand complet. Commerciaux, développeurs, tous portent un boa rose autour du cou et des lunettes en formes de cœur.

Car aujourd’hui, Sunday fête ses 3 ans. Victor salue la team avec bonhomie et franche camaraderie. L’un d’entre eux n’hésite pas à le charrier sur sa conduite à vélo. Les vannes fusent mais le temps presse. Il lui reste quelques minutes pour écrire un petit speech destiné à l’anniversaire de Sunday. C’est Christine de Wendel qui fait le kick off : « Les trois dernières années ont été incroyablement challenging. Je veux maintenant vous emmener dans une vision long terme pour Sunday », explique-t-elle en visio depuis chez elle à Atlanta,. Les États-Unis représentent un marché important pour ce software qui opère aussi en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne. « On a passé la barre du milliard, that’s fucking good, guys ! », tonne à son tour Victor qui a entre-temps réussi à changer de costume, pour enfiler une tenue plus décontractée. Derrière lui, un panneau avec une liste de noms, leurs clients, ici à Londres. S’ils ont de gros clients comme Dishoom ou le groupe Bertrand, les acteurs de restauration rapide comme les food courts utilisent, eux aussi, les services de Sunday.

Il faut dire que les établissements qui l’ont adopté y trouvent leur compte. « En moyenne, ils ont un ticket en hausse de 15 %, parce que les serveurs ont 30 à 40 % de temps en plus : ils accueillent mieux les clients, ils expliquent mieux la carte et les gens prennent plus de café et de desserts, parce qu’ils maîtrisent le moment où ils vont partir », affirme Victor Lugger. Aucun doute que les jours de Sunday vont continuer à briller. Mais l’heure est à la fête et l’équipe londonienne part faire un escape game pour célébrer ce jour d’anniversaire aux excellents résultats. Victor, lui, enchaînera les réunions Zoom avant de les rejoindre pour un moment cher au coeur des Londoniens.

19h00 Apéro

C’est à Soho que l’équipe se retrouve pour savourer les cocktails aux accents botaniques, spécialité du lieu. Certains préféreront tout de même une bière. Un vent de satisfaction souffle sur Victor et sa team ce soir-là. « Je me souviens quand tout a commencé. Un soir, je donnais le biberon à mon nouveau-né et je regardais des images de la Chine et des États-Unis qui n’étaient plus confinés. Je les voyais commander dans les restos réouverts, avec un QR Code. Pour moi, le moment de payer au restaurant est une souffrance comparable à celle où tu cherches un taxi alors qu’il te suffirait de commander un Uber », lance Victor. L’idée était née avec l’ambition d’améliorer l’expérience pour les clients et les serveurs.

Trois ans et quelques levées de fonds plus tard, Sunday est en phase de devenir un incontournable de la transaction en restauration. En témoigne Alex Aleksic, qui est là, lui aussi, ce soir-là pour fêter les trois ans de Sunday. Ce Serbe, arrivé à Londres pour les JO dans la catégorie kayak, n’en est jamais reparti. Il y a fondé Japes, un concept de pizzeria qui a déjà trois adresses dans cette ville cosmopolite. « Nous sommes très satisfaits de Sunday, c’est plus facile pour les clients, il n’y a plus d’erreurs dans les additions de la part des serveurs. La machine à carte est une technologie qui n’avait jamais changé. Sunday est un super service qui nous change la vie », déclare le restaurateur, conquis. À l’anglaise, la fine équipe file dans la nuit… Arrivederci !

photographies : © Big Mamma – Sunday

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