10 idées reçues sur le Brexit
1. Historiquement, le Royaume-Uni a toujours mis un frein à la construction européenne.
Arnaud Van Waeyenberge, professeur associé de droit de l’Union européenne à HEC Paris.
PLUTÔT VRAI – Depuis les années 1960, les Britanniques ont adopté une position cohérente : favorable à la création d’un marché européen, sans plus. Face à l’échec de l’Association européenne de libre-échange qu’ils avaient fondée, ils ont rejoint la Communauté économique européenne (CEE), créée en 1957, qui, jusqu’au Traité de Maastricht en 1992, est restée une organisation principalement économique. La Grande-Bretagne y a contribué à renforcer le marché européen, en apportant les compétences de la City au secteur financier. Elle a été volontaire sur la diplomatie ou la lutte contre le terrorisme. En revanche, elle s’est toujours montrée réticente à la construction d’une Europe politique. Les gouvernements successifs se sont battus pour que le budget européen soit réduit au strict nécessaire. Ils ont opté pour le « Out » sur la monnaie unique et ont mis un frein important à la construction d’une véritable armée européenne. Cette approche économique de l’Europe les a conduits à opposer leur véto à la nomination de présidents de la Commission jugés trop fédéralistes, comme le Belge Jean-Luc Dehaene. Enfin, le Royaume-Uni a toujours accueilli frileusement les mesures liées au droit du travail ou au droit social et a négocié un régime dérogatoire quant à l’application de la Charte des droits fondamentaux, craignant sans doute une européanisation de pans entiers de compétences.
2. La campagne du référendum sur le Brexit, en 2016, s’est basée sur des arguments fallacieux : si les Britanniques revotaient aujourd’hui, le non l’emporterait.
Ingrid François-Feuerstein (H.05), journaliste correspondante au Royaume-Uni pour Les Échos.
PAS SI SIMPLE – L’un des arguments phares des « pro-Brexiters » était la maîtrise de l’immigration. De fait, les nouvelles règles rendent plus compliqué l’accès au territoire : il faut posséder un visa de travail, obtenu notamment en présentant une offre d’emploi au revenu annuel supérieur à 25 600 livres, ce qui est sensiblement élevé. Mais l’argument de la maîtrise des frontières était en partie fallacieux : le Royaume-Uni ne faisait pas partie de l’espace Schengen et son caractère insulaire facilite les contrôles. Difficile enfin de prédire si le Brexit aura des conséquences sur l’immigration illégale. Une population peut s’estimer lésée par le Brexit : les pêcheurs, qui espéraient retrouver la souveraineté sur leurs eaux territoriales – or les navires européens ne devront renoncer qu’à 25% de leurs prises, et ce, petit à petit, sur les cinq prochaines années. Pour autant, les élections législatives de 2019 ont conforté Boris Johnson, l’un des visages du « Leave » en 2016, qui défendait un Brexit dur : il semble donc que les électeurs soient restés cohérents avec leur position lors du référendum. Et si la popularité du Premier ministre a depuis été entamée, c’est principalement à cause de sa gestion de la crise sanitaire.
3. Personne n’est sorti réellement gagnant des négociations sur l’accord de sortie.
Elvire Fabry, spécialiste du Brexit à l’Institut Jacques Delors.
PLUTÔT VRAI – C’est la première fois que l’Union européenne a dû mener des négociations qui n’allaient pas dans le sens d’une coopération ou d’une adhésion. Un accord comme celui du Brexit, qui a restauré des barrières, ne peut qu’être pénalisant pour les deux parties. Dans cette optique, quand Michel Barnier déclarait après la signature qu’il s’agissait d’un « accord perdant-perdant », il avait raison. Mais il semble tout de même plus perdant côté britannique que côté européen. L’Union européenne perd un État membre clé par ses compétences diplomatiques, ses capacités militaires ou son poids économique. Mais Bruxelles a préservé l’essentiel : l’intégrité du marché unique. D’une part, en évitant le développement d’une concurrence déloyale voisine : Londres s’est engagé à maintenir le niveau de protection actuelle des normes sociales, environnementales et climatiques. Puis en préservant le fonctionnement des chaînes de production pour les entreprises du continent, grâce au maintien de règles d’origine. Chaque exportateur doit prouver qu’environ la moitié de la valeur de son produit a une source britannique ou européenne, sous peine de taxe. De nombreux secteurs de l’économie britannique sont dépendants de fournisseurs de pays tiers. Boris Johnson martèle le slogan du « Global Britain » qui oriente le pays vers le reste du monde, mais n’a pas précisé comment il compte compenser le coût des frictions et assurer la transition en cas de divergence. Cet accord est tant soumis à révisions qu’il faudra des années pour redéfinir la relation, d’où l’expression d’un ancien ministre de Tony Blair : « Brexeternity ».
4. L’Union européenne aura plus de mal à assurer sa défense et sa sécurité sans le Royaume-Uni.
Thomas Gomart (E.10), directeur de l’Ifri (Institut français des relations internationales), auteur de Guerres Invisibles aux éditions Tallandier.
PLUTÔT FAUX – La sécurité européenne continuera d’être assurée avec le Royaume-Uni. Historiquement, le pays s’est imposé comme une puissance navale dominante. Par ailleurs, il se considère comme un pays vainqueur et a longtemps vu dans l’Europe des Six, à l’origine du projet européen, une alliance entre le vaincu de 1940 (la France), celui de 1943 (l’Italie) et celui de 1945 (l’Allemagne). Depuis 1949, la sécurité du Royaume-Uni se construit dans le cadre de l’Otan, de sa relation privilégiée avec les États-Unis notamment dans le domaine du nucléaire, et des « Five Eyes » (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande) pour le renseignement. À cela s’ajoutent des partenariats bilatéraux avec l’Allemagne et la France, à travers les accords de Lancaster House sur la coopération nucléaire, qui ne sont nullement remis en question par le Brexit. Londres a également rejoint l’Initiative européenne d’intervention lancée par Paris en 2018. Par ailleurs, l’augmentation des dépenses militaires annoncée par Boris Johnson rappelle que le pays est l’un des piliers de l’industrie de défense européenne. La sécurité de l’Union européenne ne sera donc pas affaiblie par le Brexit, d’autant qu’une grande majorité des pays de l’Union sont aussi membres de l’Otan. En revanche, l’UE pourrait pâtir du départ du Royaume-Uni dans le sens où il était l’un des rares États membres à disposer d’une vision géostratégique globale et de capacités de projection importantes. Seule la France est désormais dans cette situation au sein de l’UE.
5. Le Brexit ouvre la voie au départ d’autres pays membres et à un démantèlement de l’Union.
Jérémy Ghez (H.05), professeur associé et codirecteur du centre de géopolitique à HEC Paris.
FAUX – Lors des négociations sur le Brexit, il n’y a pas eu d’implosion de l’Union européenne. Les États membres ont même fait preuve d’une remarquable unité. Cela traduit une volonté de rester soudés. Aucune velléité de départ n’a été clairement exprimée pendant le processus de sortie du Royaume-Uni. Quelques factions en Finlande, aux Pays-Bas ou en Allemagne ont laissé entendre une tentation, mais cela reste marginal. L’exemple du Brexit a probablement montré aux 27 que quitter l’Union reviendrait à se tirer une balle dans le pied. Car si même le Royaume-Uni, ex-première puissance mondiale, terre d’accueil de la finance et jouissant d’une relation de proximité avec les États-Unis, se retrouve dans une situation délicate, quel pays pourrait ressortir grandi d’un départ ? Il se pourrait que Bruxelles sorte renforcé du Brexit : l’Union européenne s’est montrée très ferme sur les termes de l’accord pour protéger ses intérêts. Et devant l’éloignement progressif des Américains vis-à-vis de l’Europe et la peur de se soumettre au protectorat chinois, faire partie de l’Union européenne est un gage de sécurité. Cela implique d’évoluer dans un espace économiquement cohérent face à l’incertitude internationale. Un espace qui a en outre une carte intéressante à jouer : celle d’arbitre entre les États-Unis et la Chine.
6. Les échanges commerciaux entre le RU et les autres pays européens vont chuter en flèche.
Noëlle Lenoir, présidente de l’Institut de l’Europe d’HEC Paris et ancienne ministre des Affaires européennes
PAS SI SIMPLE – Ce n’est pas la volonté de Bruxelles de réintroduire des droits de douane avec le Royaume-Uni. D’ailleurs, ces derniers ne sont pas importants en matière industrielle, l’Europe étant le continent le plus ouvert aux échanges commerciaux. En revanche, la règle de l’OMC sur les produits d’origine, obligeant les exportateurs à prouver que plus de 50 % d’un produit provient d’Europe ou du Royaume-Uni s’appliquera. Et même si certains « opérateurs de confiance » seront présumés respecter cette règle, elle constituera une barrière administrative risquant de freiner les échanges. La bureaucratie est mal-aimée, notamment du côté des Britanniques, et peut être source de corruption. Pour compenser une possible baisse de la part britannique dans les échanges avec l’UE, Londres pourrait être tenté de se tourner davantage vers son special partnership avec les États-Unis. Mais le nouveau président américain Joe Biden considère les Européens comme des alliés et ne compte pas prendre part aux éventuels conflits entre eux et les Britanniques. Enfin, rappelons qu’en cas de litige, comme sur l’octroi d’aides d’État aux entreprises de part et d’autre de la Manche, celui-ci sera tranché par un tribunal arbitral. On verra si ce mode de résolution s’avère plus favorable aux intérêts du Royaume-Uni que la Cour de justice de l’UE, très critiquée par Londres.
7. Le Brexit est un coup dur pour le secteur de la finance britannique : la City aura du mal à s’en remettre.
Matthieu Favas (H.07), journaliste financier à The Economist basé à Londres.
PLUTÔT FAUX – Il est certain que la perte du passeport financier, qui permettait à des banques et d’autres firmes britanniques d’accéder directement au marché unique européen, va causer du tort à la City de Londres. D’autant que les accords d’équivalence censés remplacer ce passeport n’ont pour la plupart pas encore été mis en place, et tout porte à croire que Bruxelles n’est pas pressée de le faire. Cela traduit une volonté de l’Union européenne de rapatrier un grand nombre de ses activités en euros vers ses propres places financières, comme Paris, Francfort, Amsterdam ou Dublin. Là-dessus, la finance du Royaume-Uni est donc clairement perdante. Mais on estime que les transactions financières avec l’Europe ne représentent qu’un quart des activités de la City, qui reste incontournable dans des domaines comme le courtage, la compensation de dérivés ou le marché des changes. Des acteurs très importants, tels que de grands fonds souverains comme ceux des pays du Golfe, ou les fonds de pension américains, continueront de passer par la place londonienne, qu’ils jugent accueillante et stable. Elle propose en effet un écosystème incomparable pour attirer des investisseurs, avec tout un panel de professions périphériques comme des consultants, auditeurs, comptables ou avocats, un fuseau horaire plus proche des États-Unis, et peut s’appuyer sur le droit anglais, sûr et universellement reconnu. Enfin, il est possible que, sans l’Union européenne considérée plus protectionniste en termes de finance, Londres devienne plus « agile » et se permette d’expérimenter dans des secteurs d’avenir tels que la finance verte ou la fintech.
8. Le marché de l’immobilier à Londres va s’effondrer.
Christophe Chambon (M.98), directeur de l’agence immobilière French Touch Properties.
FAUX – Ces dernières années, certains observateurs ont pu s’alarmer face à un chiffre : la baisse de 15 % de l’immobilier premium londonien lors des cinq dernières années. Mais ce chiffre ne reflète absolument pas la réalité du marché. D’une part, il convient de rappeler que le secteur premium ne concerne que les biens à plusieurs millions de livres. Le reste du marché est globalement resté stable, avec une faible hausse pour les biens peu chers et une légère baisse pour les biens intermédiaires. Ensuite, il serait faux de penser que ce petit coup de mou est dû au Brexit. En 2015 et 2016, face à l’extrême dynamisme du marché, le gouvernement, pourtant conservateur, a pris une série de mesures pour augmenter les taxes sur la propriété. Cette hausse soudaine de la fiscalité, conjuguée à la panique créée par le résultat du référendum, explique en grande partie la mauvaise passe du marché. Et tout porte à croire qu’il va bientôt repartir à la hausse. Les chiffres d’abord, avec, en 2020, une hausse de 34 % du nombre de transactions et un prix moyen d’un bien pour la première fois au-dessus du seuil des 500 000 livres. Surtout, l’immobilier londonien constitue une valeur refuge. Entre 1985 et 2015, le marché était en hausse constante de 10 % par an. Une tendance qui s’explique notamment par le manque de logements face à une population grandissante. Pour répondre à la demande, au moins 400 000 nouveaux logements devraient voir le jour chaque année. Or le gouvernement peine à en construire 200 000. Ce déficit énorme de l’offre par rapport à la demande ne peut qu’engendrer une hausse des prix.
9. Le rayonnement des universités anglaises à l’international va pâtir de l’arrêt du programme Erasmus.
Thomas Roulet (H.14), professeur associé à l’Université de Cambridge.
PLUTÔT FAUX – La fin d’Erasmus n’est pas une bonne nouvelle pour les universités britanniques. Elles vont devoir établir des partenariats de manière individuelle avec les facs européennes et ne pourront plus bénéficier des facilités du programme qui réglait les frais d’inscription des étudiants étrangers. Pour autant, elles ne devraient pas subir une perte de prestige, car elles jouissent d’une réputation sans pareille en Europe. Je ne parle pas seulement d’Oxford ou Cambridge, mais aussi de UCL, Imperial, King ’s College, Warwick ou Edimbourg et St. Andrews en Écosse. Toutes font partie du top 50 mondial de la plupart des classements. Les facultés du Royaume-Uni ont un autre avantage incomparable : la langue anglaise, celle du business. Comme l’enseignement supérieur britannique est largement pro-européen, il y aura un énorme effort pour faire venir les étudiants du continent. Il existe déjà de nombreux accords hors Erasmus entre établissements : HEC et la London School of Economics, Sciences Po avec Oxford et Cambridge, l’ESSEC avec King ’s College… Et il y a toujours la demande de la Chine et de l’Inde, qui ne cesse d’augmenter. Le lancement du programme Turing, destiné à envoyer des Britanniques étudier à l’étranger, montre qu’il n’y a pas d’inquiétude à avoir : les étudiants européens continueront de venir au Royaume-Uni.
10. L’Écosse et l’Irlande du Nord risquent de quitter le Royaume-Uni pour rester dans l’Union européenne.
Jérémy Ghez (H.05), professeur associé et codirecteur du centre de géopolitique à HEC Paris.
PLUTÔT VRAI – Au moment du vote de 2016, l’Écosse s’était montrée la plus réticente à une sortie de l’Union européenne parmi les nations du Royaume-Uni, avec 62 % en faveur du maintien. Depuis, le gouvernement écossais a martelé que les résultats du référendum de 2014, lors duquel 55 % des votants s’étaient opposés à l’indépendance, étaient caducs puisqu’il n’était alors pas question d’un départ de l’Union. Les derniers sondages révèlent d’ailleurs que l’opinion serait désormais majoritairement favorable à une rupture avec le Royaume-Uni. Ce sentiment que leur voix n’est pas prise en compte par Londres, ajouté à l’attrait du marché unique, pourrait conduire les Écossais à vouloir gagner leur indépendance à moyen terme. Pour les Nord-Irlandais, c’est un peu différent. Politiquement, il n’y a aucune volonté de rompre avec les Britanniques. Mais de facto l’Irlande du Nord s’est économiquement rapprochée de l’Eire, puisque les biens circulent librement dans toute l’île irlandaise, la frontière s’étant « déplacée » dans la mer d’Irlande, entre l’île et la Grande-Bretagne. En effet, les accords de paix de 1998 interdisent tout rétablissement de frontière entre les deux Irlande. En outre, rappelons que, grâce au soutien de Dublin, l’Irlande du Nord a pu se maintenir dans le programme d’échanges étudiants Erasmus, contrairement la Grande-Bretagne. Par la force des choses, une réunification devient possible, à plus long terme.
Propos recueillis par Marc Ouahnon
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Published by Marc Ouahnon