La refonte des programmes pré-expérience, en gestation depuis deux ans, entre en vigueur en cette rentrée de septembre. Une étape majeure pour HEC Paris, qui vise à mieux tenir compte des défis écologiques et sociaux de notre époque. Doyen associé des programmes pré-expérience et spécialiste des problématiques de confiance, l’économiste Yann Algan a orchestré la métamorphose du parcours académique. Il revient sur ce changement de grande ampleur.

Le programme académique de la Grande École change. Pourquoi et comment s’est opérée cette transformation ?

Yann Algan : Cela faisait une dizaine d’années qu’HEC Paris n’avait pas modifié la structure de son programme de formation. Cela ne signifie pas que rien n’a été fait auparavant. Il y a eu de nombreuses expérimentations, de nouveaux cours et parcours ont été lancés… Mais il nous semblait important de capitaliser sur ces expériences pour réformer le curriculum de manière systémique.

Il était de notre responsabilité, en tant que première business school en Europe, de nous positionner face aux profondes transformations climatiques, sociétales et technologiques de notre temps. Nous ne formons pas seulement de futurs dirigeants, mais des responsables éclairés qui auront un impact important sur le monde de demain. Nous devons les accompagner au mieux dans ce sens.

Le programme Grande École n’est pas un programme de business school étriqué. Nos étudiants ne font pas juste du business. Beaucoup rejoignent le service public, le monde associatif, les organisations internationales. À la lumière des nouveaux programmes, je dirais que la Grande École HEC Paris est devenue une école à la croisée du management, des sciences sociales et de la science des données.

 

Cette nouvelle vision de l’école fait-elle l’unanimité ?

Y.A. : Nous avons mis un an et demi pour mobiliser l’ensemble des écosystèmes. Le comité d’experts qui s’est saisi de la réforme comprenait les deans des business schools d’Oxford et du MIT, des PDG comme Ada di Marzo de Bain & Co, des personnalités publiques comme Anne-Marie Idrac (ancienne ministre, ex-présidente de la RATP et de la SNCF), des experts tels que Gilles Babinet (coprésident du Conseil national du numérique) ou Marguerite Cazeneuve (H.13, numéro deux de l’Assurance maladie). Et bien sûr, des représentants de nos étudiants et diplômés. C’est ce mouvement collectif qui a permis de redéfinir le narratif de la Grande École.

 

Quel est le modus operandi de cette réforme des programmes ?

Y.A. : Nous avons défini trois paliers. Le premier, c’est de former nos étudiantes et étudiants avec une approche ouverte à tous les savoirs. Il s’agit de les préparer aux grands enjeux de la transition climatique, ainsi que des transformations sociétales, technologiques et géopolitiques.

Le deuxième, c’est de leur transmettre une connaissance approfondie des organisations, privées et publiques, avec une approche pluridisciplinaire en sciences de management, sciences sociales et science de la donnée. Enfin, nous formons de futurs responsables dotés d’un véritable esprit entrepreneurial, c’est-à-dire une capacité à apporter des solutions concrètes et innovantes.

“Après les années de classe préparatoire exclusivement centrées sur le savoir académique, il est crucial pour nos étudiants de s’ouvrir à la société et au monde de l’entreprise.”

 

Le premier pilier implique de renforcer la culture générale des étudiants. Comment cela se traduit-il dans les cours ?

Y.A. : La première année (L3), celle qui suit la classe prépa, a été profondément revue avec une approche davantage pluridisciplinaire : des cours en droit, en économie et finance, en comptabilité, en analyse des données… Le cycle Master (années M1 et M2), lui, est placé sous le signe du management et d’un développement de l’esprit orienté « solutions » au travers d’un parcours entrepreneurial.

En L3, les étudiants suivront un cours de 30 heures sur les enjeux planétaires, prodigué par le chercheur François Gemenne. Co-auteur du sixième rapport du GIEC, il vient d’être nommé professeur à HEC, ce qui est une excellente nouvelle pour l’École. Il abordera les problématiques du vivant et du réchauffement planétaire, avec pour ambition d’aller au-delà du constat pour proposer des outils et solutions.

Par ailleurs, les étudiants de L3 pourront choisir un grand cours au choix sur la géopolitique et les espaces mondialisés par Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales ; sur les enjeux de l’intelligence artificielle avec Gilles Babinet ; sur les comportements humains et la psychologie ; ou encore sur le futur de la démocratie et les transformations sociétales.

 

Les étudiants de première année vont également devoir s’engager de manière très concrète…

Y.A. : Après deux ou trois années exigeantes de classe préparatoire centrées exclusivement sur le savoir académique, il est crucial pour nos étudiants de s’ouvrir à la société et au monde de l’entreprise.

Chaque étudiant devra réaliser 30 heures d’engagement civique dans l’économie sociale et solidaire (ESS) ou dans des associations humanitaires avec des actions concrètes de terrain telles que des maraudes, des distributions alimentaires, des opérations de dépollution, ou encore du soutien scolaire. Un après-midi par semaine sera consacré à ce parcours d’engagement citoyen.

Par ailleurs, leur découverte de l’entreprise débutera avec un stage de terrain de trois semaines,« les mains dans le cambouis », c’est-à-dire sans responsabilité managériale et davantage tournée sur des tâches d’exécution, pour qu’ils appréhendent la réalité du monde du travail dans toutes ses dimensions. Au second semestre, ils pourront toujours choisir de se spécialiser dans un cycle universitaire ou de partir à l’étranger. Nous proposons plus de cinquante destinations dans les meilleures universités du monde.

Les cours de comptabilité présentent désormais des méthodes pour tenir compte de l’impact immatériel de l’entreprise sur l’environnement et la société.

Ce qui nous amène au M1…

Y.A. : Le cycle du Master in Management débute en 2e année (année M1, 800 étudiants) avec un cursus en sciences du management, un parcours en sciences des données, un travail de fond sur les compétences managériales (gestion d’équipes, négociation, leadership)… et le choix de cours dans un catalogue de plus d’une centaine d’électifs. Il s’agira alors de montrer comment l’entreprise ou le secteur public peuvent répondre aux enjeux présentés en L3.

Les cours de management ont été mis à jour pour intégrer les critères d’environnement, de société et de gouvernance (ESG). Les étudiants suivront les cours traditionnels de HEC avec une prise en compte systématique des problématiques RSE : finance durable, logistique durable, etc.

 

Un exemple ?

Y.A. : Un cours de comptabilité « classique » explique uniquement comment il convient de transmettre l’information financière aux actionnaires. Suite au changement de paradigme, nos professeurs de compta présentent aussi des méthodologies permettant de comptabiliser l’impact immatériel de l’entreprise sur l’environnement et la société (ses externalités positives et négatives, en quelque sorte), ainsi que les trajectoires vers le zéro carbone net.

Un autre exemple, le cours de supply chain. Le paradigme de base en logistique était de minimiser les coûts et de maximiser la flexibilité des flux de transport. À présent, il s’agit de réfléchir aux chaînes d’approvisionnement qui diminuent l’empreinte carbone. Nous avons la chance d’avoir un corps professoral de renommée internationale, très investi sur ces questions. Sur les trois dernières années, 40% des publications de nos chercheurs portaient sur des sujets ESG. J’ajoute qu’en entreprise, nos jeunes vont avoir la lourde tâche de créer du consensus, d’embarquer des équipes, de négocier, de gérer des crises. Nous proposerons aux étudiants de M1 de nombreux ateliers sur ces soft skills.

Au second semestre, ils vont suivre un parcours « entrepreneurial mindset » où ils travailleront sur des défis posés à une entreprise, une administration ou une ONG. Ils auront un semestre pour aller de l’idéation au prototypage.

 

Dans les grandes lignes, quelle proportion du programme Grande École a changé avec cette réforme ?

Y.A. : Je dirais, plus de la moitié de l’année de L3 et de M1. Nous entamons à la rentrée une réflexion sur l’année de M2 consacrée aux spécialisations. Bien sûr, certaines compétences fondamentales seront toujours enseignées comme avant, mais appliquées à des enjeux contemporains avec des études de cas profondément actualisées.

 

Avez-vous rencontré des réticences, des obstacles à cette refonte des programmes ?

Y.A. : Franchement, non. En revanche, il a fallu réfléchir sur la meilleure manière d’intégrer l’ensemble de ces nouvelles dimensions dans les cours. Notre corps enseignant ne se contente pas d’un simple ravalement de façade, mais réfléchit aux changements de paradigme. Cela consacre l’effort d’HEC d’investir dans la recherche en lien avec l’enseignement.
Tout l’exercice a été de créer des espaces communs de discussion entre les différents départements.

 

Les professeurs ont-ils reçu une prime ou une contrepartie pour leur contribution à ce nouveau curriculum ?

Y.A. : Pas de prime, non. Le coût d’entrée de cette réforme était élevé, certes. Mais nos enseignants ont le goût de la transmission et du savoir, ils ont à cœur de renouveler leur recherche et leur enseignement.
Cela donnera lieu à des expérimentations, à des évaluations pour corriger ce qui ne fonctionne pas et renforcer ce qui marche. Soyons modestes, nous sommes au début du chemin, face à des enjeux d’une redoutable complexité.

 

L’an dernier, des étudiants du campus ont interrompu une table ronde sur le climat en présence de salariés de Société Générale, Shell et TotalEnergies. L’énergéticien français avait d’ailleurs été interpellé lors d’un forum de recrutement. HEC veut préparer les leaders responsables de demain. Doit-elle bannir certains sponsors si leur politique est incompatible avec les accords de Paris ?

Y.A. : Les étudiants sont évidemment au cœur du projet d’HEC et ont participé à la réforme. En revanche, notre responsabilité pour réussir la transition énergétique est d’avoir autour de la table l’ensemble des acteurs majeurs. Un diplômé qui fait bouger de 1% la trajectoire de TotalEnergies dans le bon sens aura un impact au moins aussi déterminant qu’un autre impliqué dans une petite ONG focalisée sur l’environnement.

Quelles que soient les convictions de chacun, HEC doit rester un espace de dialogue où tous les acteurs ont leur place – tant que les débats sont fondés sur la science, les faits, les données. Nous ne voulons pas jouer les censeurs en disant qui a le droit de s’exprimer ou non.

 

D’après vous, quelle sera l’incidence la réforme du programme sur la valeur du diplôme HEC ?

Y.A. : À mon avis, elle va la renforcer. Les jeunes générations veulent affronter les enjeux du monde contemporain. Nous leur donnons les savoirs et les outils pour y parvenir. Les entreprises, les pouvoirs publics et la société en général en ont besoin.

 

Pour finir, quel message aimeriez-vous transmettre à la communauté des alumni HEC ?

Y.A. : Nous avons besoin de vous et de vos conseils pour continuer d’améliorer notre formation et de renforcer l’impact de HEC Paris sur l’économie et la société.

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