Initiés en 1984, les Matins HEC fêtent cette année leurs 40 ans. La patronne d’Orange, Christel Heydemann était le 18 octobre la 340e invitée de cet événement iconique. Souriante et solaire, elle a exposé dans un langage vif et direct les grands enjeux de la téléphonie mobile en Europe. Retour sur un petit-déjeuner riche en échanges. 

Dans l’élégante grande salle du pavillon Vendôme, cernée de murs noirs, douze tables aux nappes blanches ont été dressées pour le petit-déjeuner. Une odeur de viennoiseries et de cafés et le murmure des conversations flottent dans l’air. Raymond Barre, Jacques Chirac, Vincent Bolloré, Jérôme Seydoux, Clara Gaymard, Agnès Pannier-Runacher (H.95)…. En quatre décennies, une multitude de grands dirigeants, hommes politiques et personnalités médiatiques se sont succédé sur cette estrade. Interrompu lors de la crise sanitaire en 2020, ce rendez-vous privilégié et à huis clos a progressivement repris depuis juin 2024.  

Ce matin-là, c’est Christel Heydemann, directrice générale du groupe Orange depuis avril 2022 qui a passionné l’auditoire pendant plus d’une heure. 

Après l’évocation du parcours et de la personnalité de la DG d’Orange par Hortense de Roux (H.05), présidente de l’association HEC Alumni, c’est à Bruno Despujol (MBA.00), du cabinet de conseil Oliver Wyman, qu’est revenue la tâche d’exposer les principaux enjeux d’avenir pour le marché de la téléphonie. Il est à peine 8 heures et le ballet des questions orchestré par Vincent Beaufils, directeur de la publication du magazine Challenges, commence. 

Un marché « machine à laver » 

Invitée en premier lieu à expliquer comment survit un opérateur téléphonique sur un marché chahuté par la guerre des prix, la cheffe d’entreprise a répondu sans détour, d’une manière claire et sincère. « En France, il y a quatre opérateurs qui promettent tous des plans de croissance aux investisseurs. Il n’y a pas trente-six solutions pour dégager de la croissance : il faut miser soit sur le volume, soit sur la valeur. Sur un secteur où les volumes augmentent peu, cela crée un climat très compétitif. C’est encore plus marqué en Espagne, où les opérateurs perdent 25 % de leur base client tous les ans. Cela veut dire qu’ils dépensent énormément d’argent pour conquérir des nouveaux clients. Le marché espagnol est tellement concurrentiel qu’on le surnomme “la machine à laver” ! »,  

Évoquant ensuite la stratégie du groupe Orange, qui opère sur les deux marchés les plus compétitif d’Europe (la France et l’Espagne), elle a précisé que celle-ci était axée sur la valeur plus que sur le volume, et reposait sur la qualité du réseau et des équipements. « On reçoit d’ailleurs encore des félicitations du monde entier pour la couverture inégalée pendant les JO de Paris » s’est-elle félicitée, rappelant que sa société avait fait de la France le pays le plus fibré d’Europe et déployé massivement la 5G sur le territoire.  

Investir dans les infrastructures 

Le groupe Orange investit 3 milliards par an pour l’entretien et le développement du réseau fibre et de téléphonie mobile. « On est actuellement en train d’opérer une migration progressive de notre réseau cuivre vers le réseau de fibre optique. L’avantage, c’est qu’on peut vendre le cuivre : la transition écologique et la migration vers l’électrique fait qu’on arrive bien à le valoriser. L’inconvénient, c’est que le prix du cuivre est tellement monté qu’on se le fait voler… Il faut donc qu’on arrive à le vendre avant de se le faire piquer ! C’est actuellement l’un de nos enjeux industriels. » 

Autre source de revenu pour le groupe, la diversification des activités a été marquée par l’échec d’Orange Bank. « Cela partait d’une bonne idée, se défend Christel Heydemann aujourd’hui. À l’époque, tout le monde pensait que les banques en ligne allaient révolutionner le secteur. Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé, et il faut savoir s’arrêter avant de perdre un milliard ! » D’autres services développés par Orange ont eu un destin plus heureux. « Nous sommes notamment présents sur la cybersécurité, qui représente plus d’un milliard de chiffre d’affaires. » 

Opérateur historique 

En l’an 2000, trois ans après la privatisation de France Télécom, avec le rachat de cette société britannique Orange, la branche de téléphonie mobile change de nom. Cette nouvelle appellation est un atout, selon Christel Heydemann, sur un marché européen où les opérateurs historiques, comme Deutsche Telekom ou Telecom Italia, ont mauvaise presse. « Quand je suis arrivée, certains investisseurs m’ont dit qu’Orange était une boîte parapublique aux mains d’un gouvernement bolchevique ! », confie-t-elle, provoquant des rires dans la salle. Aujourd’hui, l’État détient 23 % du capital du groupe.  

Interrogée ensuite sur sa collaboration avec Jacques Aschenbroich, ex-patron de Valéo nommé président du conseil d’administration d’Orange et décrit comme une personnalité « pas commode », la polytechnicienne répond avec humour : « On a un binôme très fluide, car je ne suis pas particulièrement commode non plus ! ».  

Est enfin abordée la question de la parité dans les effectifs du groupe, où l’objectif affiché est d’atteindre 35 % de femmes au sein des équipes dirigeantes. Sur son parcours personnel de dirigeantes du CAC 40, Vincent Beaufils évoque une disparité de traitement salarial entre la dirigeante et d’autres grands patrons. « La rémunération d’un DG n’est pas un sujet homme/femme, rétorque-t-elle alors. C’est un sujet d’histoire d’entreprise, de contexte, de concurrence mondiale. »  

ChatGPT recalé 

Avant de laisser la parole au public, pour une session de questions réponses avec l’invitée, un journaliste de Challenges soumet à Christel Heydemann l’analyse de Chat GPT sur les principaux risques qui pèsent sur le développement futur d’Orange : endettement, accords de temps partiel ou perte de contrôle exclusif d’Orange Espagne… « Alors, l’IA a-t-elle fait un bon travail ? » Réponse cinglante de l’intéressée : « Pas du tout ! ». Et c’est peut-être une bonne nouvelle pour nous… 

Citant l’un des administrateurs d’Orange, Vincent Beaufils a judicieusement conclu cette matinée en déclarant : « Christel est lumineuse et directe ». Son aisance en public et son franc-parler placent la barre très haut pour les prochains invités des Matins HEC. Paul Hudson, DG de Sanofi, sera le premier à relever le défi, le 29 novembre. 

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