Transport maritime, une responsabilité entre deux eaux
Plus de 80 % des échanges internationaux de marchandises transitent par voie maritime. Cette industrie en pleine croissance illustre la vitalité de la mondialisation, mais aussi ses travers. Chercheur à HEC Paris, Guillaume Vuillemey a étudié les pratiques des armateurs sur les quatre dernières décennies. Il met en évidence les mécanismes permettant aux transporteurs d’échapper à leurs responsabilités.
Vous mettez en évidence les procédés mis en œuvre par les armateurs pour limiter leur responsabilité en cas de sinistre. Quels sont-ils ?
L’un d’eux consiste à créer une société dédiée pour chaque navire. En droit, chacune de ces sociétés bénéficie de la « responsabilité limitée », c’est-à-dire que sa maison mère ne peut pas être tenue pour responsable en cas de sinistre. Ainsi, si un accident survient, ces filiales qui ne possèdent qu’un seul bateau, ne pourront pas verser de dédommagements au-delà de leurs moyens propres. Ce système explique la grande difficulté à obtenir compensation en cas de marée noire. Une autre stratégie consiste à enregistrer ces filiales sous des « pavillons de complaisance », qui offrent des réglementations laxistes et un cadre fiscal favorable. La vaste majorité de la marine marchande est immatriculée dans des pays comme le Panama, le Liberia ou encore les îles Marshall. L’usage de ces stratégies d’évasion s’est accru au fil du temps. Plus de 80 % du tonnage mondial de porte-conteneurs navigue aujourd’hui sous des pavillons de complaisance, contre moins de 20 % en 1980.
Comment avez-vous procédé pour réaliser cette étude ? Quelle a été votre méthodologie ?
J’avais repéré quelques cas flagrants d’irresponsabilité, mais pour avoir une vision globale, je devais me procurer une base de données exhaustive sur la marine marchande à l’échelle mondiale – les informations qu’utilisent les autorités portuaires de la planète. Pour chaque navire dans le monde, un très grand nombre de caractéristiques techniques, juridiques, financières, etc., sont renseignées dans ces documents. J’ai donc pu étudier, de manière systématique et à l’aide d’outils statistiques, les navires de plus gros tonnage. Je me suis concentré sur ces derniers, car la construction de séries historiques requiert une abondante collecte de données, qui doit être effectuée manuellement. J’ai complété ce travail par une analyse de l’environnement réglementaire, du fonctionnement des pavillons de complaisance et du droit maritime. Les tendances que je mets au jour concernent la quasi-totalité des grands acteurs mondiaux : Maersk, MSC, etc.
D’après vous, quelles mesures permettraient de responsabiliser davantage les armateurs, et à quel niveau devraient-elles être prises ?
C’est la question la plus compliquée. Beaucoup des réponses toutes faites, comme l’interdiction aux navires immatriculés dans des pavillons de complaisance d’accéder à nos ports, ne suffiront pas. Il faudrait plutôt augmenter la responsabilité juridique et financière des maisons mères vis-à-vis de leurs filiales. Nous devons également nous interroger sur le « vrai prix » du transport maritime, une fois qu’on a pris en compte son impact environnemental. Des taxes sur le transport maritime pourraient permettre aux armateurs de payer le « coût complet » de leurs activités, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Guillaume Vuillemey
Titulaire d’un master à l’École polytechnique et d’un doctorat en économie à Sciences Po, il a été économiste au département de recherche de la Banque de France. Il est aujourd’hui professeur de finance à HEC Paris et chercheur associé à la chaire de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Published by Thomas Lestavel