Championne de l’ultra-trail et adepte des extrêmes (elle a effectué une traversée de 2000 km dans l’Antarctique), Stéphanie Gicquel (H.06) participe aussi à des études scientifiques sur la performance des sportifs, menées avec l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep).

 

En tant que sportive, vous avez participé à des études sur la performance physique. En quoi consistaient ces travaux ?

Stéphanie Gicquel : C’est parti d’une idée simple. Lorsque l’on se prépare à une course dans un pays où il fait très chaud (35 °C à l’ombre, par exemple), on s’entraîne une heure par jour en chambre thermique, par des températures de 38 à 43 °C. Grâce à cette préparation, qui peut durer d’une à deux semaines, on réalise quasiment les mêmes performances en milieu très chaud qu’en milieu tempéré. Cela signifie que ce proto­cole permet de s’adapter à des conditions extrêmes, en réduisant sa fréquence cardiaque et en augmentant sa sudation, notamment. À force de recourir à ce procédé, nous avons eu l’idée, avec les chercheurs, d’étudier les mécanismes qui entraient en jeu pour voir comment ils pouvaient être adaptés au grand public.

 

On vous connaît surtout pour avoir traversé l’Antarctique, pourtant l’étude ne porte pas sur l’adaptation au froid…

S.G. : Il y a un processus d’acclimatation aux fortes chaleurs, mais il n’y a pas d’acclimatation au froid. S’exposer à de basses températures ne modifie pas nos paramètres biologiques. En revanche, il semble qu’il existe une mémoire du corps liée à l’exposition au froid. Mais c’est une mémoire inscrite pour la vie, ce n’est donc pas une acclimatation. L’acclimatation, c’est à court terme.

 

Pourquoi chercher à adapter un processus d’acclimatation à la chaleur au grand public ?

S.G. : À cause du réchauffement climatique ! L’idée est de s’adapter à notre environnement plutôt que de toujours chercher à adapter l’environnement à nos besoins. On ne va pas vers un monde plus durable. Développer cette capacité d’adaptation est un moyen de survie face aux vagues de chaleur, de plus en plus fortes et fréquentes avec le dérèglement climatique. D’ailleurs, un premier article scientifique présentant les résultats de cette étude sera publié cette année.

 

Et participez-vous à une nouvelle étude scientifique actuellement ?

S.G. : Oui, tout à fait. Nous sommes un panel de 18 sportifs de haut niveau à contribuer à une étude lancée par le nutritionniste Didier Chos, avec qui je travaille depuis plus de dix ans. Nous formons un groupe d’athlètes de différentes disciplines – il y a, entre autres, Thibaut Collet, Mélanie Henique, David Gaudu, Pauline Ferrand-Prevot, Charlotte Bonnet.

Le but de cette étude est de comprendre comment le mode de vie et la nutrition modifient l’expression et la répression des gènes. Ce polymorphisme génétique (les différentes formes que peut prendre un gène) s’observe en effectuant des tests ADN. On mesure pour chaque sportif sa sensibilité à l’inflam­mation, son métabolisme des lipides et des sucres, sa capacité à assimiler les vitamines et les minéraux, et on adapte son mode de vie en fonction. Ainsi, Certains gènes vont être inhibés tandis que d’autres vont au contraire s’exprimer, ce qui aura un effet sur la performance.

Quels sont les premiers résultats recueillis par cette étude ?

S.G. : Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions de ce travail. La première partie de l’étude (bilan nutritionnel, séquençage du microbiote intestinal et analyse des polymorphismes génétiques) a été menée fin 2023. La deuxième partie est en cours, et aura pour but de voir comment évoluent les bilans nutritionnels et le microbiote en fonction des ajustements des modes de vie des sportifs. À terme, cette approche pourrait être bénéfique au grand public, dans une optique de prévention personnalisée. En modélisant le profil des individus, il pourrait être possible de prédire l’apparition de maladies chroniques et d’accroître l’espérance de vie en bonne santé.

 

Pour ma part, cette étude m’a déjà appris que j’avais une forte sensibilité aux glucides, ce qui est un effet de mon entraînement aux épreuves d’ultra-endurance, mais aussi que j’avais du mal à assimiler la vitamine B12, ce qui a un effet sur la concentration et l’humeur.

Cela confirme l’intérêt d’une approche personnalisée : la singularité de chacun nécessite une indivi­duali­sation des solutions en fonction de nos gènes, de nos activités et de l’environnement dans lequel on évolue.

 

Les travaux scientifiques autour de la performance sportive ouvrent-ils des débouchés commerciaux pour les entreprises ?

S.G. : Les recherches peuvent avoir des débouchés commerciaux, notamment dans le secteur des équi­pements sportifs ou des compléments alimentaires. Le laboratoire PiLeJe, spécialisé dans la micro­nutrition, est d’ailleurs partenaire de l’étude que nous menons actuellement avec Didier Chos et la chef cuisinier des Jeux olympiques Amandine Chaignot. Mais en France, le financement des études, qui fait appel à des subventions publiques et des privées, est très compliqué : il faut parfois des années pour réunir les fonds nécessaires.

 

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