Ancien officier des forces spéciales devenu professeur de stratégie à HEC, il a formé des générations d’entrepreneurs et marqué durablement l’enseignement supérieur.

C’est une figure majeure de l’enseignement de l’entrepreneuriat qui s’est éteinte. Robert Papin, fondateur du programme HEC-Entrepreneurs et professeur emblématique de l’école de Jouy-en-Josas, est décédé. Il laisse derrière lui une empreinte profonde dans le monde académique et dans celui de l’entreprise.

Né avec une vocation pour l’engagement, Robert Papin débute sa carrière au sein des forces spéciales françaises, officiant tour à tour chez les commandos parachutistes et les nageurs de combat. Ce goût de l’action et du défi, il le transposera ensuite dans le champ de la formation. Docteur d’État en droit, titulaire d’un DEA de sciences économiques, du CAAE, et professeur agrégé des universités en économie et gestion, il incarne l’excellence académique. Son parcours le mène jusqu’à Stanford, où il exerce en tant que Visiting Research Professor à la prestigieuse Business School.

C’est en 1973 qu’il rejoint le Groupe HEC, d’abord comme professeur de stratégie. Quatre ans plus tard, il y crée ce qui deviendra l’un des programmes phares de l’école : HEC-Entrepreneurs, initiative inédite à l’époque, centrée sur une pédagogie active, ancrée dans le réel. « Il aura marqué des générations d’étudiants et de collègues au sein de l’école », souligne HEC dans un hommage officiel.

Visionnaire, Robert Papin conçoit une formation à l’entrepreneuriat fondée sur l’immersion professionnelle, la rigueur intellectuelle et l’apprentissage par l’action. Fort d’un réseau de plusieurs centaines de professionnels, il engage ses étudiants au plus près de la réalité du terrain. Il publie deux ouvrages devenus des références dans le domaine, « Stratégie pour la création d’entreprise » et « La création d’entreprise », traduits, enseignés, et repris bien au-delà des frontières françaises.

À la fois exigeant et passionné, il défend une vision de l’enseignement où l’ambition individuelle sert un projet collectif. « Il a profondément marqué l’enseignement de l’entrepreneuriat en France et à l’international », témoigne un de ses anciens étudiants. Jean luc Allavena (H.86), Président d’Honneur de l’Association et de la Fondation HEC l’avait fait nommer professeur émérite, en 2018.

 

Hélène Bourbouloux (H.95), administrateur Judiciaire FHB et présidente de HEC We&men, décrit l’homme comme « emblématique d’un courant un peu anticonformiste à HEC mais illustrant combien notre école a toujours accueilli en son sein la diversité et a su offrir aux étudiants les parcours leur convenant. Avant d’ajouter : Les anciens pineurs parfois raillés, enviés, honnis sont des fidèles à HEC et Robert y a contribué {…} Je suis de ceux qui lui doivent beaucoup et je suis fière de porter un héritage ».

Pierre Mechentel (Mastère entrepreneurs.92), ancien élève et collaborateur de Robert Papin, témoigne et revient sur une méthode de formation au management et à l’entrepreneuriat « unique » : « Partant de différentes constatations dont l’ennui de certains élèves dans les écoles de commerce, l’inefficacité de la méthode des cas sur des gens qui n’avaient jamais travaillé et le décalage entre la théorie enseignée par des profs éloignés du terrain et ce même terrain, Robert Papin inventa un système de formation de différentes missions RÉELLES, en groupes de 2 ou 3 étudiants d’horizons divers (création, redressement, rachat, bras droit, conseil et communication), encadrées par des professionnels et guidées par le fameux « jeter les gens à l’eau pour leur apprendre à nager ». Ceci donna naissance à la majeure et au mastère HEC-Entrepreneurs qui fut pendant longtemps une sorte de mythe à hashtag#HEC et dans le microsystème des formations de management et pas seulement à cause du saut en parachute qui débutait l’année. »

​De son côté, l’écrivain et entrepreneur Nicolas Vanbremeersch (H.98), connu sous le pseudonyme Versac, a lui aussi rendu hommage et décrit son programme comme :  » révolutionnaire, qui en a inspiré énormément, un peu partout, de Harvard à Moscou, et dans plein de business schools françaises. On était loin des valeurs de la startup nation, du fundraising industrialisé, du confort des incubateurs, et bien dans la réalité de ce qu’est un dirigeant-créateur d’entreprise, quelle que soit cette entreprise ».

Jacques Birol (H.74), autre figure de l’écosystème entrepreneurial et ancien collaborateur, souligne quant à lui la portée générationnelle de son œuvre : « En effet, triste nouvelle. De certains, on dit qu’ils ont marqué leur époque. Dans son cas, pour la communauté éducative à l’entrepreneuriat, il aura aussi marqué la suivante, la nôtre. Ne pas l’oublier. »

« Pour moi, il y a eu un avant et un après Papin et HEC entrepreuneurs », indique Magalie Pigeon (promo 02) « L’enthousiasme de vivre, en seulement 10 mois, « l’entreprise entière » de l’intérieur – par l’action et les retours d’expérience terrain. Les rencontres humaines fortes, notamment en binômes/trinômes Le ferment de la prise de hauteur dans ma vie professionnelle Et enfin ce lien précieux avec vous tous. Ici sur cette Liste ou dans la « vraie » vie.

« Robert Papin a su insuffler un vent de liberté dans l’univers corseté des business schools », témoigne Alexis Roux de Bézieux qui se définit aujourd’hui comme un Pineur.98.  » Seule formation à ne pas avoir de tests de logique lors de l’admission, privilégiant les entretiens de personnalité et la mise en situation, le fameux « jury des banquiers » lors du séminaire de création d’entreprise, cette approche originale a formé plusieurs générations de dirigeants partageant des traits de caractère commun et un sens certain de la débrouille. Robert, c’était également l’homme pudique, doté d’un fort caractère et d’un esprit d’indépendance certain. Mû par de solides convictions, il savait tout à la fois s’entourer de personnalités fortes voire parfois clivantes (Alain Jausselme, Alain Dominique Perrin, Jacob Abbou pour ne citer qu’eux…) et dans le même temps utiliser la process comm développée par Taibi Kahler. Je garde de mon année de mastère le souvenir d’une dilatation du monde et d’un processus de développement accéléré pour le juriste que j’étais ».

« En 2000-2001, nous étions nombreux parmi les élèves d’HEC à vouloir suivre la majeure Entrepreneurs créée et dirigée par Robert Papin, « se souvient Valérie Boutant, (promo .02 avec Florian Grill). » La sélection était rude et les entretiens à l’entrée, légendaires, conduits par le binôme Stéphane Woog – Pierre Méchentel. J’ai dû pour ma part m’y reprendre à deux fois pour être acceptée. Je ne me voyais nulle part ailleurs, ressentant, après deux ans de cours théoriques et de stages focalisés sur un seul métier, un besoin d’immersion dans la diversité des problématiques d’un dirigeant d’entreprise. L’année démarrait par un séminaire d’intégration et un saut en parachute. Celui-ci était une métaphore très juste de la réalité de la vie d’entrepreneur, responsable de sa destinée, acceptant le risque, apte à prendre des décisions audacieuses et faisant face aux aléas de son environnement. Cette année-là, j’ai bien plus appris qu’après des milliers d’heures d’amphis grâce aux missions terrain qui occupaient le plus clair de notre temps. J’ai énormément apprécié le corps enseignant haut en couleur et la mixité des profils étudiants de la Majeure et du Master, issus de filières et de cultures différentes. HEC Entrepreneurs fut de loin la meilleure année de ma vie estudiantine et surtout la plus utile. Merci à Robert Papin et à son équipe d’avoir rendu cela possible ».

 

De la part des 40 promotions d’HEC-Entrepreneurs

Robert,

On a décidé de t’adresser un discours. Mais ce n’est pas parce que tu nous as fait sauter en parachute qu’on n’est pas de grands timides et qu’on n’aura pas beaucoup, beaucoup, de mal à te dire les choses. Tu comprends, tout à coup, à l’occasion de cet anniversaire un peu imposant des 40 ans d’HEC-Entrepreneurs, on est nombreux à avoir réalisé qu’il y a tant de choses que toutes ces années, on aurait aimé te dire sans jamais, justement, osé te les dire…

Alors, voilà… C’est pour aujourd’hui, c’est pour maintenant. La forme est un peu maladroite, tu nous excuseras, un peu brutale quelquefois. C’est que tout nous est venu dans le désordre : toutes ces années qui passent, tous ces souvenirs qui reviennent, tous ces moments de grande trouille et ces moments de grande joie… On avait tous un peu plus de vingt ans. On se retrouve un beau matin « intégrant » la majeure HEC-Entrepreneurs… Comment en parler, que te dire de ce qui nous en est resté ?

Dans la préparation de cet anniversaire, tu sais, on s’est tous retrouvés à t’écrire des petits mots par-ci, par-là… Alors, voilà ce que ça donne…

D’abord, il y a une métaphore qui, c’est vrai, revient souvent, c’est celle qui dit que ta pédagogie, ça consiste d’abord à jeter les gens à l’eau pour leur apprendre à nager. En l’occurrence, à nous jeter dans les airs pour nous apprendre à voler… Ou plutôt à atterrir… Ou plutôt à comprendre qu’un entrepreneur, c’est d’abord un gars à qui on demande de se jeter tout seul pour la première fois hors d’un avion avec un sac sur le dos, et qui est capable de le faire parce qu’il se dit : « Pas de problème, tout va bien… Ce n’est pas un sac à dos que j’ai accroché derrière, c’est un parachute… »

Car c’est vrai, on peut bien te le demander maintenant, quel rapport – franchement – entre entreprendre et sauter en parachute ? N’empêche que plus tard, quand on monte sa boîte et qu’on doit trouver de l’argent à tout prix sur la base d’un business model auquel jamais personne d’autre n’a pensé, ou défendre un projet innovant auquel on le seul à croire, c’est fou comme ça peut aider soudain, cette pensée de nous dégringolant à travers le ciel avec un sourire à la fois extatique et ravagé… On se dit : « ça ne peut pas être pire que le saut en parachute : au moins, cette fois, on est sur la terre ferme… »

Ensuite, il y a les fameux jurys, et le premier de tous, le plus flippant, on est tous d’accord, celui des banquiers. Et puis, il y a les missions. On commence avec la mission de création, exaltante, et puis tout de suite après, une fois qu’on s’est senti pousser des ailes, on se prend une énorme claque avec la mission de reprise ou de liquidation. On rêvait de bouleverser les marchés avec une idée révolutionnaire et on se retrouve sans transition chez l’administrateur judiciaire, voire au tribunal de commerce… Et on devient tout à coup capable, mine de rien, de mesurer avec une précision quasi-chirurgicale la largeur du fossé qui peut séparer nos rêves de la réalité…

Les semaines passent, les jurys aussi… On fait plus facilement sa cravate le matin. On a appris à dormir une nuit sur deux, quand on peut, à manger au lance-pierre, quand on peut… On mélange allègrement HEC et Mastères HEC dans le bâtiment G… On amuse ou on inquiète nos tuteurs, on découvre de nouvelles fonctions d’Excel ou Powerpoint, on fait de la stratégie, de la com, de la vente chez Darty…. On n’a jamais vendu autant d’aspirateurs rouges de toute notre vie… Etait-ce le meilleur sur le plan technique ? Non, mais c’est le plus joli… On fait notre stage de bras droit, on commence à loucher vers la sortie… On est des chrysalides rêvant de devenir papillons…

Et tout cela, Robert, se passe sous ton regard. Vigilant, vaguement goguenard… Oui, tu as bien entendu, vaguement goguenard. Car on comprend bien à la manière dont tu nous regardes que t’en as vu défiler bien d’autres, de ces jeunes recrues, de ces p’tits morveux, avec cette même maladresse, ce côté pataud, cette envie de bien faire et parfois même, ce soupçon d’arrogance… Cependant, c’est vite réglé : dans les jurys, si l’un d’entre nous se met trop en avant, c’est toute l’équipe qui est sanctionnée.

Alors on a compris : on n’est pas des stars du foot, on fait du rugby… On se jette dans la mêlée, on pousse, on fait des passes, on se roule dans la glaise s’il le faut mais on essaie de transformer l’essai. On sait bien que tu ne nous passeras rien. On sait bien que tu ne nous passeras rien parce que tu nous as tout donné. Les jurys voient passer les équipes, ils peuvent en « casser » une pour l’exemple, mais toujours avec un certain attendrissement : comme toi, en somme.

Et tu vois, il se passe un truc bizarre : tu ne nous fais jamais directement cours, tu ne nous encadres pas non plus directement et pourtant, on sent ta « patte » partout… Au fil des mois, un lien se tisse entre toi et toutes les promotions que tu as accompagnées, de la première à la vingt-septième, puis de la vingt-huitième à la quarantième, ici présente… Un lien tissé chaque année, toutes ces années… Ni prof, ni tuteur : tu es « l’ADN » ou si tu préfères, l’âme d’HEC-Entrepreneurs et pendant une année entière, notre année de majeure, on aura pour unique pensée d’être à la hauteur de la confiance que t’as placée en nous, pour te montrer que non, tu ne t’es pas trompé en nous donnant notre chance.

Car on est fiers d’être pineurs. On la promène obstinément, cette appellation, sur le campus de Jouy-en-Josas. On porte parfois un T-shirt spécifique en soirée pour bien le montrer, pour impressionner les filles, provoquer les garçons. On en rajoute même un peu, rien qu’un peu, sur le mystère de cette pédagogie Robert Papin, sur tous ces rites initiatiques, du saut en parachute aux missions, aux jurys…

Etrange alchimie qui change notre vie. Car c’est la deuxième métaphore qui revient le plus souvent dans les messages : pour nous tous, il y a eu un avant et un après HEC-Entrepreneurs. Pour certains, c’est la meilleure année de leur scolarité à HEC. Pour d’autres, de leur scolarité tout court. Pour d’autres, enfin, la meilleure année de leur vie.

Parce que patiemment, à travers cette pédagogie précise, concrète, exigeante, tu nous apprends. Tu nous apprends l’entreprise non comme un tableur Excel mais comme une aventure humaine, collective. Tu nous apprends que les entreprises sont des êtres vivants qui ont une histoire, un destin, un sens. Qu’on peut se jeter dans la création d’entreprise comme un appelé sous les drapeaux, parce qu’on y croit, parce qu’on a une vision, parce qu’on est prêt à se battre et à prendre des risques pour ça. Et on finit par comprendre que pour être un bon entrepreneur, il faut bien connaître son environnement et surtout bien se connaître soi.

Et le plus fou, c’est que, même lorsque tu as passé la main, quelque chose de cet esprit est resté dans la majeure : ce goût du risque, de l’aventure. Il y a un peu de tout ça dans le verbe « entreprendre » tel que tu nous l’as appris. Ce goût pour les missions commandos, voire les missions impossibles. Ce goût pour les GE, ETI, PME mais aussi les TPE… Cette petite musique en nous qui dit : « Et si on essayait… ? On verra bien… De toute façon, ce n’est pas un sac à dos que j’ai accroché derrière, c’est un parachute… »

Même si en sortant, soyons honnêtes, on n’a pas tous créé notre boîte. Mais de cette année très particulière de notre scolarité à HEC, il nous est toujours resté quelque chose, comme un appel, une fêlure, d’où le fait que chaque jour sur le forum d’HEC-Entrepreneurs, on continue d’écrire aux autres pineurs la plupart du temps pour vendre notre caisse, trouver une nouvelle nounou, se battre avec le fisc mais aussi quelquefois se rendre service, discuter philo ou politique, et continuer à refaire le monde encore et toujours, à notre échelle.

C’est tout cela que tu nous as appris et transmis Robert. Tu as changé toutes nos vies. Mais on ne te l’a jamais dit. Alors voilà, c’est dit. On éprouve tous pour toi une immense gratitude, une immense reconnaissance, une dette morale impossible à rembourser. On est venus étudier mais tu nous as donné quelque chose qui va beaucoup plus loin que les études. Une leçon de vie. Un regard sur les hommes et tout ce qu’ils sont capables d’accomplir, ensemble. Ensemble, encore et toujours, croire, avancer, se battre, entreprendre.

Laisse-nous te dire, juste une fois, toute notre admiration pour tout ce que tu as accompli, et notre indicible fierté d’en avoir fait un peu partie. On sent tous ce soir la présence de ce quelque chose qu’on ne sait pas bien nommer mais on tenait tous à être là aujourd’hui, autour de toi, pour le partager et ensemble, le célébrer.

Merci à toi.

 

Les obsèques de Robert Papin auront lieu le mercredi 16 avril à 15h en l’église Sainte-Catherine de Honfleur. Sa famille invite chaleureusement tous ceux qui l’ont connu et apprécié à se joindre à elle pour lui rendre hommage.

 

 

Published by