Les sixièmes Rencontres HEC de l’Agroalimentaire se sont tenues à la Maison des Chambres d’agriculture de Paris le 13 juin dernier.

Une douzaine d’intervenants, industriels, agriculteurs et acteurs de la grande distribution ou de la restauration, étaient invités à s’exprimer autour d’un thème d’une actualité brûlante : comment financer la transition écologique du secteur tout en préservant le pouvoir d’achat des consommateurs et des agriculteurs ?
Organisé par le Club HEC Agroalimentaire, ce rendez-vous, particulièrement suivi par les professionnels du secteur, était présenté et animé par Hubert Lange (H.90) et Frédéric Milgrom (H.92), coprésidents du Club, ainsi que par Philippe Girard, directeur associé de Kéa, et Delphine Nicolas-Tucou (H.99), partner chez French Food Capital.

1. Le mot d’introduction

En ouverture des débats, Julien Denormandie, ancien ministre de l’Agriculture et co-auteur de Nourrir sans dévaster, a évoqué le diptyque « fin du mois, fin du monde » et fait valoir que, face à cette injonction contradictoire, le secteur agroalimentaire se trouvait confronté à une équation a priori insoluble : celle d’accroître la valeur de sa production, en y intégrant des externalités positives, tout en diminuant ses coûts. Il a appelé à une compétitivité basée sur la décarbonation plutôt que sur les coûts, adossée à des politiques sociales permettant l’accès de tous à une alimentation équilibrée.

2. Table ronde : vers des modes de production agricole durables ?

La première table ronde de l’après-midi portait sur la manière de produire de façon durable et rentable avec comme fil rouge « Comment faire évoluer les modèles agricoles français ? ».

Arnaud Rousseau, président du groupe Avril et de la FNSEA, et Christian Grinier, directeur général de la coopérative Even, ont souligné que les effets du changement climatique affectaient concrètement le travail des agriculteurs, en changeant les dates de récoltes et des types de plantations possibles. Pour autant, face à une faible demande pour les produits bios et décarbonés lorsqu’ils sont plus chers et à un taux de rentabilité réduit, la filière manque de moyens pour investir dans la transition écologique.
Un constat partagé par Romain Faroux, COO de la Ferme Digitale, et Anne Trombini, directrice générale de Pour une Agriculture du Vivant, qui constatent des freins encore importants dans l’adoption d’outils digitaux et de modes de production responsable par les exploitations agricoles.
Le manque de moyens humains et financiers constitue le principal obstacle au déploiement de nouvelles technologies et méthodes de production agricole. Le financement public, via des aides ou des plans d’investissement ciblés, pourrait apporter une première solution, mais à terme, le coût de l’investissement devra être partagé entre agriculteurs, industriels, distributeurs et consommateurs.

3. L’avis des experts : décrypter le comportement du consommateur

Dominique Levy-Saragossi, fondatrice du cabinet de conseil George(s), et Emmanuel Fournet, directeur commercial de NielsenIQ France, à un exercice de synthèse et de prise de recul sociologique , étayé par des chiffres et des études, pour se glisser dans la tête du consommateur moyen. Ils expliquent que le consommateur situe ses objectifs sur des temporalités différentes, qui voient de bonnes intentions écologiques à long terme coexister avec une priorité au plaisir et au pouvoir d’achat à court terme, surtout après la « tempête parfaite » qu’a été la succession du Covid et de l’explosion des prix qui a suivi guerre en Ukraine. L’acte d’achat est ainsi le résultat d’un arbitrage entre des attentes diverses : la recherche du plaisir, qu’il soit gustatif ou lié à la convivialité ; et la recherche d’une alimentation saine, pour la santé ou pour l’environnement. La notion de plaisir et celle du bienfait de l’alimentation se déclinent ainsi toutes sur le plan collectif et individuel. Pour autant, malgré cette boussole équipée de quatre points cardinaux, peu de consommateurs semblent prêts à assumer le coût d’une alimentation durable, et aucun ne souhaite pas se sentir culpabilisé et contraint alors que sa perception est qu’il fait « sa part d’efforts ».

 

4. Table ronde : créer une offre d’alimentation responsable et attractive

La réduction de l’empreinte carbone est un objectif affiché par les enseignes de grande distribution et les industriels du secteur agroalimentaire. Ainsi, Caroline Dassié, directrice exécutive marketing de Carrefour, rappelle que le groupe s’est fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2040. Une ambition que partage le groupe de restauration Sodexo, comme le souligne son directeur commercial Marc Plumart.
Pour atteindre ces objectifs, la lutte contre le gaspillage (qui représente aujourd’hui 30 % des denrées alimentaires) est un levier important. Une autre initiative est de réduire la proportion de viande dans l’offre alimentaire – c’est ce que fait Bettina Aurbach (H.98), administratrice de Cofigeo, en adaptant les recettes des plats cuisinés de William Saurin, et c’est également la « raison d’être » de la société Hari&Co, selon les mots de son fondateur Emmanuel Brehier. Enfin, l’accompagnement des agriculteurs partenaires dans le processus de transition écologique, via des contrats de filières, est une des voies vers la neutralité de la chaîne d’approvisionnement (le fameux volet « scope 3 » des émissions carbone).

Et les distributeurs, les marques et les fournisseurs vont devoir sortir des négociations limitées aux seuls prix pour promouvoir les innovations en matière de durabilité et trouver des terrains d’entente autres que purement monétaires.

5. Conclusion et prospective

Le « mot de la faim » revient à Florian Delmas (E.16), PDG du groupe Andros et auteur du livre « Planète A, plan B ». Il commence par rappeler qu’en France, 9 millions de personnes n’ont pas accès à une alimentation saine, faute de revenus suffisants. Pourtant, il estime que ce sont les consommateurs qui, in fine, auront à régler la facture de la transformation du secteur. Car, dans un monde où la population mondiale devrait atteindre les 10 milliards d’individus à l’horizon 2050 et de par les incidents climatiques et le besoin de freiner le réchauffement climatique, se nourrir deviendra mécaniquement de plus en plus cher.

À plus court terme, la pression exercée sur les prix de l’alimentation en France par la réglementation et la distribution conduit, selon Florian Delmas, les acteurs de l’agroalimentaire à investir d’autres maillons de la chaîne alimentaire afin de continuer à développer leurs niveaux de marges. Ainsi, les distributeurs développent fortement leurs propres marques au détriment de celles de leurs fournisseurs, les industriels cherchent à sécuriser leur amont agricole. L’agroalimentaire ne va-t-il pas finir par être totalement dominé par les coopératives, à a fois celle du retail et celle de l’agricole ? peut-on s’interroger.

Et à plus long terme, le secteur s’achemine vers une troisième révolution agricole, portée par l’essor des technologies numériques et de la robotique, ainsi que par les progrès de la génétique. Les outils de pilotage et de suivi numériques permettent déjà de réduire les intrants, jusqu’à 70% dans certains cas, ce qui permet de baisser les coûts et de mieux préserver la qualité des sols.

Un mouvement de transformation globale, qui permettra d’associer performance et respect de l’environnement, mais demandera une forte mobilisation et certains bouleversements au sein de la chaîne agroalimentaire.

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